Interviews

Le cinéma classique est un outil de propagande. 
Le cinéma de Jaime Rosales est traversé par la question du langage cinématographique. Le réalisateur interroge la forme classique du cinéma et cherche de nouvelles pistes dans lesquelles le spectateur aurait une plus grande liberté. Illustration de cette réflexion avec Un Tir dans la tête.
Jaime Rosales
Dans vos films, vous utilisez des dispositifs cinématographiques originaux, comme la polivision dans La Soledad ou le téléobjectif dans Un tir dans la tête. Dans quels buts?

Lorsqu'on fait du cinéma, trois choix sont possibles: le premier est celui de la tradition, suivre ce qui a déjà été fait, ce qui implique souvent de dire ce qui a déjà été dit. Une autre voie est de chercher de nouvelles frontières par rapport à la tradition. La troisième option, la plus radicale, est de faire un cinéma qui n'a rien à voir avec ce que l'on pense qu'il est. C'est le cas de certains artistes conceptuels qui font de la vidéo sans aucun rapport avec le cinéma classique. J'ai fait le choix intermédiaire, avec comme figure paradigmatique Jean-Luc Godard, qui cherche de nouvelles formes en maintenant des liens avec le cinéma traditionnel. Dans cette perspective, j'ai utilisé pour Un Tir dans la tête de l'image et du son sans parole, un "cinéma brut".

Quels effets pensez-vous produire chez le spectateur à travers ce "cinéma brut"?

Je pense que le cinéma classique, tel qu'il a été conçu, est un outil de propagande. La construction du cinéma, avec des premiers plans pour les émotions, des plans moyens pour les actions, des plans longs pour les situations, le raccord-temps et le lien de causalité, forme un langage très puissant. Griffith, le père de ce cinéma, s'en est servi pour défendre ses positions d'extrême-droite, tout comme Eisenstein pour mettre en valeur ses idéaux communistes. Dans les deux cas, ce langage établit selon moi une violence très subtile dirigée vers les spectateurs. Pour ma part, je ne souhaite pas convaincre. Je cherche un langage qui permettrait au spectateur de conserver sa liberté et de penser en dehors des idéologies dominantes. C'est ce que j'ai essayé de faire avec ce "cinéma brut" que j'expose dans Un Tir dans la tête. Je ne voulais pas faire un film de propagande, je voulais poser une réflexion par rapport à un problème qui affecte mon pays, celui du terrorisme basque.

On a l'impression que vous cherchez dans Un Tir dans la tête à rendre absurde la violence politique.

Effectivement, dans ce film on voit une personne normale en tuer une autre et l'on ne comprend pas pourquoi. C'est l'esthétique même du film qui rend les choses absurdes. C'est une façon de dire que la manière dont nous abordons la question du terrorisme mène à une impasse. Tout problème de violence est pour moi une question de pouvoir. Dans tous les conflits politiques où il y a du terrorisme, que ce soit en Israël, en Afghanistan, en Irlande ou en Espagne, les plus forts exercent une pression sur la société pour légitimer leur violence et rendre illégitime la violence de l'autre. Sans vouloir justifier les actes terroristes, je crois que les pouvoirs en place doivent rompre avec cette logique et accepter un certain partage du pouvoir. Mais cela est extrêmement difficile parce que la nature humaine est guidée par le désir de domination.


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