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Interview de l'actrice Itsaso Arana

A l’occasion de la 27e édition du festival Cinespaña à Toulouse, nous avons rencontré l’actrice Itsaso Arana. Venue présenter Venez Voir (Tenéis que venir a verla), le dernier film de Jonás Trueba, qui a remporté le prix de la meilleure réalisation lors de ce festival, elle a répondu à quelques-unes de nos questions.

Avec elle, nous avons entre autres parlé de son rôle dans Venez Voir (Tenéis que venir a verla), de sa collaboration avec Jonás Trueba mais aussi de la série Les filles du dernier rang (Las de la última fila) actuellement sur Netflix, où elle interprète le rôle de Sara. Nous avons également évoqué sa casquette de toute jeune réalisatrice avec son premier long métrage, Las chicas están bien, qui devrait sortir en 2023.

Montage Pola

En 2019, tu as reçu, ici à Toulouse, le prix du meilleur scénario et de la meilleure interprétation féminine pour Eva en août, un film de Jonás Trueba. Vous êtes de retour tous les deux cette année pour présenter son dernier film Venez voir. Comment vis-tu ce retour dans ce festival ?

Cinespaña est le premier festival de cinéma où je me suis rendue en dehors de l’Espagne avec mon premier film Las altas presiones. Je suis déjà venue trois ou quatre fois à Toulouse et j’en garde de très bons souvenirs. C’est un festival avec beaucoup de public dans une très jolie ville et où j’ai toujours été bien reçue. Je suis très contente d’être ici.

Peux-tu nous parler du dernier film de Jonás Trueba : Venez Voir, dans lequel tu joues ?

Venez voir est un petit film que nous avons tourné fin 2020 et au printemps 2021, après la pandémie et j’aime dire que c’est, comme film, post traumatique car nous avons choisi de faire du cinéma à un moment où nous ne savions pas encore ce qu’il allait advenir du cinéma. C’est un film radical par sa simplicité, fait avec très peu d’éléments : il n’y a que quatre personnages et il ne se passe presque rien. Je pense que c’est justement parce que c’est un film relativement vide, qu’il permet au spectateur d’en prendre pleinement possession. Et je crois que le spectateur a l’opportunité d’entrer dans une sorte de sensorialité qui n’est pas habituelle avec les autres films. Pour moi, c’est un geste très audacieux de la part de Jonás d’oser faire un film avec si peu d’éléments mais aussi un reste d’une grande confiance dans le cinéma. C’est un art où l’on peut faire de grandes choses avec peu d’éléments. Venez voir est un film pour lequel j’ai une affection toute particulière car il nous apporte de très belles choses et le tournage a été très agréable. D’ailleurs, nous l’avons tourné en seulement huit jours.

Tu retrouves comme partenaires Vito Sanz et Francesco Carril avec lesquels tu avais déjà joué dans des films de Jonás (Eva en août et La Reconquête). Vous êtes donc habitués à travailler ensemble. Comment s’est passé le tournage ?

Cela m’a fait très plaisir. Je pense que tourner ce film ensemble a été comme lorsqu’un groupe de rock arrête de jouer pendant un temps et d’un coup, décide de se retrouver. Il y avait quelque chose de spécial dans le fait de se retrouver entre amis pour faire un film, sortir du confinement et se rendre compte à quel point le travail en équipe te rend vivant. En effet, il y a Vito Sanz, qui jouait mon partenaire dans Eva en août, et avec qui j’ai tourné dans d’autres productions. J'adore travailler avec lui, c’est toujours une expérience très surprenante car c’est un acteur très vivant et avec une maladresse géniale. Cela se passe toujours très bien lorsque nous travaillons ensemble. J’ai aussi une relation spéciale avec Francesco car j’ai tourné La Reconquête avec lui, c’est un vieil ami. Et pour ce dernier film, nous avons travaillé avec Irene Escolar qui est une brillante actrice, très connue, surtout dans le monde du théâtre. Elle était assez surprise de la manière de travailler de Jonás. C’était beau d’avoir une nouvelle personne dans l’équipe car c’était aussi se rendre compte que cette façon si particulière de travailler avec Jonás est aussi très gratifiante pour les acteurs. Quand le tournage s’est terminé, elle nous a dit qu’elle ne s’était jamais sentie aussi vivante sur un tournage.

C’est le troisième film sur lequel tu travailles avec Jonás (La Reconquête, Eva en août, Venez Voir), vous formez un duo artistique plutôt solide. Comment vois-tu votre collaboration ?

De mon côté, je ne le vois pas aussi solide (rires) et je pense que c’est ça le secret. Cela me semble même un miracle quand il pense à un film et qu’il m’imagine dedans. A ce moment-là, je me réjouis profondément car pour moi, non seulement Jonás mais aussi la famille artistique qui l’entoure, Los ilusos (société de production), c’est ma référence côté cinéma. Avec eux, j’ai appris le peu que je sais de cet art et c’est comme ma maison. J’ai appris beaucoup de choses qui ne peuvent pas forcément s’appliquer ailleurs car il y a plusieurs façons de travailler mais c’est une façon d’aimer et de faire du cinéma à petite échelle. Ce n’est pas un cinéma pauvre, c’est un cinéma humble et de luxe car le cinéma est au centre de tout. Il ne s’agit pas d’argent, de reconnaissance ou d’autres intérêts commerciaux. Il est très artisanal, fait avec beaucoup d’amour et très audacieux. Moi, je tournerais tout le temps avec Los Ilusos ! Jusqu’à présent, ça a toujours été une belle expérience. Mais il ne faut pas croire que, parce que c’est un ciné “entre amis”, les tournages sont faciles. C’est difficile, c’est un cinéma exigeant à tourner et qui demande beaucoup de créativité. Cela fait aussi peur de voir que les scènes se créent en même temps que ça tourne. Mais c’est très excitant.

Dans les films de Jonás Trueba, la ville de Madrid est très présente et l’on pourrait dire qu’elle joue un rôle à part entière. Quelle est ta relation à Madrid ?

Madrid est la ville où je suis devenue adulte. Je viens d’un petit village du nord de l’Espagne et je suis arrivée à Madrid quand j’avais 17 ans. C’est l’endroit où j’ai appris tout ce que je sais. J’ai commencé avec une troupe de théâtre que j’ai créée, La Tristura, et ici, c’est un peu l’endroit dont rêvent les provinciaux. C’était comme une ville à conquérir et je la perçois encore ainsi. Mon amour pour Madrid est toujours présent et c’est une belle ville pour vivre. Peut-être pas aussi belle dans le sens photographique du terme mais les gens de Madrid sont très accueillants et la ville est remplie de personnes qui ne sont pas nées là-bas, et je pense que c’est ça qui la rend plus généreuse et ouverte.

Comme le personnage d’Elena dans Venez Voir, tu es donc plus de la ville ! Peux-tu nous en dire plus sur elle ?

Oui, on peut dire ça ! Elena est une écrivaine même si cela n’a pas beaucoup d’importance pour l’histoire car Jonás ne travaille pas avec des personnages très marqués mais plutôt des personnages très proches de nous. Et pour ce film, j’ai eu la chance de pouvoir oser construire un personnage qui n’a ni mon caractère ni mon énergie. Elle est davantage dévitalisée, moins complaisante. Mais c’était bien aussi, je n’avais pas à être tout le temps prévenante. C’est un personnage qui, quand ses amis lui font visiter sa maison, se tait, elle reste dans son monde et ne fait pas trop de commentaires. Elle se permet une très grande intériorité et ne fait pas d’efforts pour être agréable aux autres. Au début, ça me coûtait un peu car elle me semblait antipathique mais c’est agréable de jouer des personnages moins complaisants que moi.

Tant dans les films de Jonás que par exemple dans la récente série Les filles du dernier rang (Las de la última fila), tu interprètes le rôle de femmes qui se questionnent beaucoup sur leur vie. Est-ce que ce sont des questions existentielles que tu partages avec tes personnages ?

Je crois que je continue de les partager tous les jours. Je me demande comment je veux vivre, comment honorer le fait d’être vivante. Pour moi, c’est un état naturel. Je ne sais pas si ce sont mes personnages qui me rendent comme ça ou si c’est moi qui rends mes personnages ainsi. C’est sûr que dans la série, du fait qu’une des amies ait un cancer, c’est un moment où on se questionne sur sa vie et où tu te demandes si la vie que tu mènes est celle que tu souhaites. Dans Eva en août, nous traitions justement cette question où Eva, mon personnage, faisait comme une pause dans sa vie pour voir si celle-ci lui convenait vraiment : est-ce que je veux être comme je suis ou bien peut-être autrement ? Je crois aussi que le travail d’actrice entraîne intrinsèquement ce genre de questions, du moins dans ma façon de percevoir le jeu tel une sensibilisation envers la vie. Et d’une certaine façon, j’adore tourner car je sens que c’est comme la vie mais en plus vivante, comme à travers la littérature ou quand tu vois un film. Je crois donc que mes personnages finissent par en garder quelques traces.

La série Les filles du dernier rang (Las de la última fila) fait beaucoup réfléchir sur la vie en général et sur tout ce que nous n’osons pas faire et vivre par peur des conséquences. Comment as-tu vécu ce tournage ?

 

Ce fut un tournage très transformateur et pas seulement parce que j’ai dû me raser la tête. Nous avons passé beaucoup de temps loin de chez nous et pour moi, ça a été un tournage difficile. La série traite beaucoup de la vitalité où nous faisons plein de choses folles entre amies, et ça c’est super. Mais pour le tournage en soi, j’ai dû faire un double travail pour jouer tout ce bonheur que je ne ressentais pas autant sur le tournage. J’essayais de garder toujours à l’esprit le thème de la maladie, d’autant plus que nous ne savions pas laquelle avait un cancer donc, pour moi, une partie fondamentale du travail n’était pas de faire un travail d’élévation frivole, il fallait que le voyage ait toujours cette force obscure de fuite de la mort. Si la mort n’avait pas été présente, ce voyage n’aurait pas eu beaucoup de sens. Ce n’était donc pas facile car il fallait passer de bons moments mais rester en contact avec cette peur que suppose la maladie.

Beaucoup espèrent voir une suite à cette série. Que penses-tu d’une deuxième saison ?

 

Dani (Daniel Sánchez Arevalo) ne l’a pas écrite pour qu’il y ait une suite. Je ne sais pas comment il serait possible de continuer la vie des personnages mais il est vrai qu’en ce qui concerne mon personnage, cette histoire d’amour reste un peu en suspens et c’est dommage. Il y a en effet des choses qui pourraient se faire… Allez, appelons Dani ! (rires)

Tu as joué avant dans plusieurs séries (La gente hablando, Alta Mar, Los reyes de la noche…), peux-tu nous parler de ton travail d’actrice sur une série ?

Je considère que mon travail est le même et ça n’a pas tant d’importance que ça que ce soit un film, une série ou du théâtre. Le dévouement et la passion sont identiques. Après, il est vrai que le produit (c’est comme ça qu’ils appellent désormais les séries) n’est pas le même dans la façon de l’éditer, de le vendre ou encore de le promouvoir. Mais ce qui est beau dans le travail d’un acteur c’est le dévouement qui est toujours le même. Pour moi, c’est pareil de jouer un rôle au théâtre devant six personnes ou un rôle dans une série qui se verra dans le monde entier. L’écriture ou encore la façon de tourner sont très différentes et oui, tu peux développer plus longtemps un personnage que dans un film plus court. Il est certain que j’ai pu davantage développer le personnage de Sara dans Les filles du dernier rang (Las de la última fila) et me poser plus de questions que celui d’Elena dans Venez Voir (Tenéis que venir a verla).

Tu viens de terminer le tournage de Las chicas están bien, ton premier film en tant que réalisatrice, à partir de ton propre scénario et dans lequel tu joues aussi. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur le film et nous raconter cette première expérience ?

Je suis encore en train de le monter et je n’ai pas encore donné d’interview à ce sujet mais le film traite de quatre actrices et d’une écrivaine qui partent une semaine en été dans une maison de campagne pour répéter une pièce de théâtre. Il réunit les deux passions de ma vie qui sont le théâtre et le cinéma. C’était un saut dans le vide car je ne savais pas diriger et j’ai appris à faire un film en même temps que je le faisais. C’était donc un peu dingue mais je suis très heureuse d’avoir osé. Je pense que d’avoir tourné la série toute l’année dernière m’a donné de la force pour réaliser aussi mon propre projet, faire les choses à ma façon et très humblement. C’est une toute petite production avec des actrices merveilleuses pour lesquelles j’ai écrit spécialement les personnages. Je savais que sans elles je ne pouvais pas le faire car j’avais besoin d’elles pour raconter ça. Si elles n’avaient pas pu le faire, il aurait fallu que j’écrive d’autres choses. Le film a aussi un petit aspect documentaire. Je pars aussi de leurs histoires pour écrire ces personnages et je pense que c’est un film particulier qui traite de sujets qui m’intéressent ou du moins que je maîtrise un peu plus : le jeu d’actrice, l’amour, la mort d’êtres chers. Ce film est d’ailleurs né à la suite du décès de mon père où avec toutes les femmes de ma famille nous nous sommes retrouvées autour de lui avant la fin. J’ai senti que je devais tirer quelque chose de cette expérience. Ce n’est pas du tout un film triste mais il contribue à ma ligne existentielle. La mort revitalise aussi et te permet de voir la vie sous un autre angle.

Est-ce qu’écrire et tourner un film c’est quelque chose que tu avais en tête quand tu as commencé ta carrière d’actrice ?

Je ne pensais pas que je serais capable ou que j’aurais l’opportunité de tourner un film. J’avais eu quelques expériences mais sur des toutes petites choses. J’ai la sensation que ma vocation d’actrice se combine beaucoup à l’écriture. Quand j’étais plus jeune, je disais que je voulais être créatrice. Car pour moi, écrire et jouer n’est pas si différent. C’est quelque chose de naturel. Oui, le travail est différent mais j’aime les deux. J’aime jouer et raconter mes propres histoires, mes ressentis. Je ne sais pas si j’en tournerai d’autres, c’est pour moi un mystère. J’ai eu cette idée d’histoire, de film et il fallait que ce soit moi qui le dirige car c’était quelque chose de très personnel. Je devais le faire.

C’est quelque chose que tu avais en toi depuis longtemps ?

Oui. Faire quelque chose qui m’appartienne était très important pour moi puisque j’ai toujours écrit et tourné avec d’autres personnes. Et je sentais que je devais faire quelque chose dont j’allais être entièrement responsable, que ce soit en bien ou en mal. Créer quelque chose du début jusqu’à la fin m’a donné beaucoup de confiance. C’est un travail en équipe mais dont j’étais entièrement responsable.

Les réalisatrices sont de plus en plus nombreuses et surtout, reconnues. Que penses-tu de cette représentation féminine dans le cinéma espagnol ?

 

Bien entendu, c’est une bonne chose. Ce qui me semble moins bien c’est que ce ne soit pas arrivé plus tôt. Simplement, c’est naturel. Il y a des politiques mises en place qui nécessitent de forcer un peu la réalité et j’espère que dans quelques années, ce ne sera plus nécessaire, aussi bien dans le cinéma que dans le monde pour que nous ayons une représentation égalitaire. Pour l’instant, il est important de nous rééduquer et d’avoir de nouvelles références. Je pense que nous sommes dans une époque de transition et j’espère que bientôt, il ne sera plus nécessaire de se poser la question. J’ai très envie de travailler avec des femmes. Sur le film que je viens de tourner, toutes les cheffes d’équipe étaient quasiment des femmes et j’adore. Le féminisme est quelque chose que l’on a au plus profond de soi et moi aussi, je me rééduque sur ma relation aux femmes, aux actrices. Et ce film a été une étude du genre féminin et des femmes qui m’entourent.

Est-ce que tourner à l’étranger et travailler dans une langue étrangère est quelque chose à laquelle tu as déjà songé ?

J’aimerais beaucoup mais je me dis que c’est déjà un travail difficile de tourner en espagnol. Alors, ça me paraît compliqué de rêver avoir un niveau suffisant pour travailler dans d’autres langues. J’ai travaillé en basque quelques fois, des petites choses en anglais et j’ai beaucoup de respect pour celles et ceux qui le font. Bien sûr, le cinéma français est ma plus grande inspiration mais je ne parle pas français pour autant. Mais j’adorerais tourner en France !

Quels sont tes projets actuels et futurs ?

Je suis en train de monter mon film et je termine aussi la promotion de la série de Netflix. Je suis aussi sur une tournée de Pascal Rambert, un directeur de théâtre français. Nous avons des représentations en février au théâtre Chaillot à Paris avec une pièce qui s’appelle Trois annonciations où je fais un monologue en espagnol, une autre actrice le fait en français et une autre en italien. J’ai été en tournée en France avec cette pièce et nous allons peut-être la terminer à Paris. Nous allons voir.

Merci Itsaso et bonne continuation dans tes projets !

Agathe Ripoche

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