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Le Jour de la bête

Un Film de Álex de la Iglesia
Avec Alex Angulo, Armando De Razza, Santiago Segura, Terele Pavez, Nathalie Sesena
Comédie | Espagne | 1995 | 1h43
Sortie en DVD le 17 Octobre 2003
Le Jour de la bête
Quand on dit que le genre est le laboratoire idéal pour développer le cinéma de demain, le mode le plus original, inventif et créatif pour véhiculer un propos, une thèse ou une simple vision de la société, il semblerait que le réalisateur Alex de la Iglesia en ait fait son credo et son mode d'inspiration. Qui mieux et plus que lui a jonglé, depuis ses débuts, avec les genres : de son tout premier film, Action Mutante (1997), film d'anticipation / science fiction un peu trash teinté de comédie, à Crimes à Oxford (2008), brillant cluedo « so british » et dernier en date sorti sur les écrans français, l'ibérique feu follet s'en est donné à coeur joie.
Si Alex de la Iglesia manie admirablement bien les codes, qu'ils soient visuels ou narratifs, pour les mixer à un humour plus ou moins acide, noir ou déluré selon les films, il les met toujours au service d'un propos et ne les sert que très rarement froids et gratuits. Nourri à la contre-culture, ancien dessinateur de bande-dessinée, cinéphile averti et ouvert à tous les horizons, Alex de la Iglesia n'a pas un modèle, mais des milliers. Et il n'est pas étonnant de trouver dans sa filmographie aussi bien des road-movies à l'américaine (Perdita Durango, 1997), des satires sociales (Mes chers voisins, 2002 ; Le crime farpait, 2005), des films de pure horreur (La chambre du fils, 2008) ou encore des revival de westerns (800 balles, 2004).

Fort de sa cinéphilie dont il se sert plus comme d'un brouillon que comme d'une bible, Alex de la Iglesia commettait en 1997 un film qui allait durablement marquer toute une jeune génération de cinéphiles... et de réalisateurs. Et nous ne sommes pas loin de penser qu'Alex de la Iglesia et son Jour de la bête, au même titre qu'Alejandro Amenábar et son Tesis (1996), sont les précurseurs de ce raz de marée du fantastique espagnol qui inonde aujourd'hui encore (et pour longtemps semble-t-il) les écrans du monde entier.

Le Jour de la bête est d'autant plus important et intéressant que, comme tous les films fantastiques réussis, il parvient à exister par lui-même et par ses qualités esthétiques, tout en délivrant un sous-texte construit et assez flippant. Le postulat de base est assez simple : un curé basque, assez quelconque bien qu'un peu illuminé, pense avoir trouvé la date de naissance de l'Antéchrist mais doit pour cela trouver le bébé qui servira de réceptacle à l'Immonde. Afin d'identifier le bébé en question et le tuer, il doit se rapprocher du Diable, et afin d'y parvenir pense devoir faire le Mal... Point de départ assez classique, si ce n'est que le génie du réalisateur est d'associer à ce petit curé (brillamment interprété par Alex Angulo) un parterre d'acolytes dignes représentants de la société espagnole (telle que de la Iglesia semble la voir à cette époque-là) qui va sublimer le postulat et le rendre social tout en conservant une légèreté comique désarmante. Le jeune sataniste (faute de croire à autre chose), fan de heavymetal, paumé, un peu crade mais bon fils tout de même (inénarrable Santiago Segura), le présentateur de télé ésotérique qui n'arrive même pas à croire en son gagne-pain, et la bimbo blondasse écervelée (idéal féminin de toutes les émissions de télé-réalité dix ans plus tard) qui pourrait fort bien servir de victime sacrificielle (n'est-ce déjà pas le cas dans lesdites émissions ?)... De l'autre côté et potentielles victimes (car larguées et complètement hors du coup) des dommages collatéraux d'une guerre avec le Diable : la famille, les institutions, les fonctionnaires, etc. Bref, et si l'Espagne et l'Humanité trouvaient leur salut dans la clairvoyance de ses illuminés et de ses « inutiles » ?

Outre une évolution narrative plutôt réussie (malgré quelques balbutiements) et une atmosphère particulièrement lourde et efficace, le film s'emballe et propose quelques morceaux d'anthologie (comme la Messe Noire), trouvant son essence dans l'improbable mais ultra-efficace cohabitation entre la comédie et le film fantastique, à tel point qu'on ne sait plus trop à quel démon se vouer ! Doit-on rire ou frissonner ? Le spectateur est ainsi ballotté entre des situations plus que délirantes (le curé et ses multiples options pour « faire le mal ») et des scènes de pure épouvante... Et n'importe quel réalisateur à la petite semaine n'aurait pu obtenir un tel résultat, car il s'agit ici d'un savant dosage, d'un excellent travail d'écriture et... d'une maîtrise parfaite des codes des genres !

Sans dévoiler le dénouement, il est tout de même important de préciser que l'emballement du récit et l'inévitable rencontre finale avec le Diable ouvriront encore une nouvelle dimension inattendue au sein même du film, une (pré)vision sociale qui glace finalement plus que le visage du Démon. Plus qu'une morale, la fin du film agit peut être plus comme une prophétie : et si le Diable n'avait pas une queue fourchue et une tête de chèvre, mais bel et bien un visage humain, proche du vôtre... Et cette fin, finalement assez ouverte, prend une tournure bien plus politique que sociale, ce que certains fans du film reprocheront d'ailleurs parfois à de la Iglesia. Au contraire, cette fin justifie sans aucun doute les moyens mis en œuvre tout au long du film, car ne croit-on pas plus facilement à une histoire qui nous a fait rire, qui nous a fait peur, et à laquelle nous avons été continuellement ouverts, attentifs et sensibles, dans laquelle le réalisateur, par son talent, nous a plus ou moins obligés à embarquer ?

Plus que simple film de genre réussi, Le Jour de la bête est sans aucun doute l'un des premiers films fantastiques espagnols de l'ère moderne à avoir fait plus que peur ou rire, et à avoir véhiculé de manière efficace et spectaculaire un sous-texte social ou politique. Un schéma narratif et d'écriture aujourd'hui très largement usité par ses très prometteurs héritiers que sont les Guillermo del Toro et Jaume Balagueró.

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