Portraits

Interview de Marta Nieto

Venue présenter au public français son premier court-métrage « Son » lors du festival Les Arcs Film Festival (dédié au cinéma européen), l'actrice - et désormais réalisatrice - Marta Nieto (Madre, En décalage) a eu la gentillesse de nous accorder une interview. L'occasion de faire le point sur sa première expérience derrière la caméra et sur ses nombreux projets.
Martin Vagnoni
Synopsis :

Ana ne sait pas comment s'y prendre avec Son, son enfant de six ans, et décide de partir en voyage pour tenter de renouer avec lui. En chemin, ils se perdent dans un labyrinthe dans lequel la confusion, l'inconscience et la tension entre eux vont apparaître. Les blessures du passé vont resurgir et les amener à commencer à se comprendre et se retrouver.

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Cinespagne.com (Martin Vagnoni) : Comment est née l'idée de ce court-métrage ?

Marta Nieto : « Son » est né d'un projet de long-métrage (ndlr : « La mitad de Ana ») sur lequel je travaillais déjà depuis deux ans. Lorsque ma productrice María Zamora est arrivée sur le projet, elle m'a dit : « Avant de démarrer le tournage du long-métrage, essaie d'abord de monter un court-métrage, pour voir comment tu te sens, t'entrainer, tester et découvrir des choses. » De là est née l'idée de reprendre les personnages du long-métrage, tout en les sortant du contexte initial, car la situation du court-métrage n'était pas prévue dans le long-métrage. En fait, il s'inspire d'une expérience très similaire que j'ai réellement vécue avec mon fils : nous nous sommes perdus dans ce même labyrinthe que l'on voit dans le film ! Le point de départ de ce court-métrage vient de là.

Peux-tu nous raconter comment s'est passée cette première expérience de réalisation, qui a priori semble comporter en soi de multiples défis ? Comment les as-tu relevés ?

Cela a été une expérience très « organique ». Je me suis entourée d'un groupe de collaborateurs en qui j'avais confiance et qui m'ont beaucoup aidé. Au moment de prendre les décisions, je cherchais d'abord leur adhésion et j'ai eu la sensation d'une grande coopération, basée sur le consensus. Je savais très bien ce que je voulais raconter et comment je voulais le raconter, et à partir de là, il s'agissait de se poser tous ensemble la question du « comment peut-on le faire ? », du « comment chacun peut-il apporter sa pierre à l'édifice pour faire exister cette histoire ? ». Ce fut une expérience très joyeuse et un grand plaisir personnel. C'est vrai que nous avons couru après le temps et que l'on a dû faire face à des situations très stressantes. En tant que réalisateur/réalisatrice, tu dois prendre constamment des décisions et aussi renoncer à beaucoup de choses tout au long du projet, mais le bilan est globalement positif !

Parlons maintenant du lieu de tournage (ndrl : le labyrinthe végétal de los Jardines de la Granja à San Ildefonso), qui est en quelque sorte un personnage à part entière dans ce film.

Comme je le disais tout à l'heure, j'avais vécu une situation similaire à celle du film quelques années auparavant avec mon fils : j'étais assez nerveuse à l'idée de passer quelques jours de vacances avec lui et je m'étais retrouvée dans cet endroit qui symbolise les structures mentales dans lesquelles on s'enferme parfois. Cela fonctionne comme une métaphore. Cette idée généralement admise qu'un lieu de tournage représente un personnage supplémentaire est juste dans ce cas. Sortir de ce labyrinthe signifie être capable de voir les choses selon une autre perspective et cela passe par le fait de laisser plus de place à celui qui nous fait face (ndlr : ici l'enfant) et de ne pas croire que le problème ne vient que de soi et qu'il n'y a que soi qui puisse le résoudre. En général, les problèmes s'arrangent quand on se met à plusieurs pour trouver des solutions.

Continuons sur cette question de la métaphore, car ton film se rapproche par la forme du conte pour enfants, mais d'une façon plutôt inhabituelle. En effet, ici ce n'est pas l'enfant qui a un problème, mais le parent (la mère), dont les peurs internes finissent par se manifester d'une manière très « expressionniste », à contaminer l'environnement extérieur. Peux-tu nous en dire plus sur ce sujet ?

En effet, le film fonctionne comme un conte. Il me semblait très intéressant de créer un récit concret, sur un problème lui-aussi concret, à partir d'une expérience réellement vécue, qui plus est à titre personnel. Si on me l'avait simplement racontée, je ne lui aurais probablement pas accordé autant de valeur. J'ai vu dans cette situation - se perdre dans un espace supposément ouvert - un moyen très puissant de matérialiser les peurs de l'adulte. Pour moi, il y avait aussi dans cette histoire un découpage en plusieurs parties. Dans la première, tout est une question de mouvement : la mère fuit quelque chose - on ne sait d'ailleurs pas très bien quoi au départ - et c'est pour cette raison qu'elle se perd, elle ne fait pas attention à ce qui l'entoure. Et lorsqu'elle se rend compte qu'elle est perdue, elle expérimente en quelque sorte les différentes étapes du deuil, dont la dernière qui est l'acceptation. Elle fait le deuil de sa fille. Et lorsqu'elle a enfin le courage de la regarder, de lui parler, d'écouter ce qui dit son enfant, c'est le moment où elle accepte les choses et peut enfin sortir du labyrinthe. C'est une idée très simple, mais, selon moi, très puissante et un bon exercice en soi.

Au-delà dans cette construction en plusieurs parties, l'un des éléments permanents du film est cette « tension » de tous les instants. Quel est ton rapport avec le cinéma de genre en général, notamment le thriller ?

Je ne suis pas une grande amatrice de « cinéma de tension », car je suis moi-même quelqu'un de très tendu ! Par conséquent, je n'aime pas trop les films conçus pour manipuler le spectateur, à grand renfort de musiques stridentes, de scénarios à rebondissements... je ne suis pas très cliente de ça au cinéma. De ce point de vue, le film était aussi l'occasion d'expérimenter sur le plan sonore, car il ne contient aucune musique. Et ce dans le but de coller à une certaine forme de réalisme, précisément dans le cadre d'un conte, avec cette tension interne générée par le personnage de la mère. Bien sûr, les divers moyens de capter l'attention du public m'intéressent, y compris en tant que spectatrice, mais il y a une différence entre utiliser ces moyens avec parcimonie et le « tout est permis » pour attirer l'attention des spectateurs. En ce sens, mon film constitue un pari.

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Pour parler maintenant du thème principal du film, la transidentité chez les enfants, comment as-tu abordé cette question ? Et comment ton film a-t-il été reçu en Espagne ?

Pendant la préparation de ce court-métrage, qui s'inscrivait dans le projet de mon long-métrage et qui représentait donc en tout environ quatre ans de travail, je me suis beaucoup documentée, j'ai rencontré des familles, des associations, des activistes, j'ai également beaucoup lu, etc. J'ai essayé de ne pas faire intervenir mes propres opinions, mais c'est bien entendu inévitable. Du coup, j'ai tenté de me forger un avis construit, aussi ouvert que possible, et très respectueux en abordant le sujet de la transidentité. Le plus important pour moi était la question du respect de l'exploration de genre d'une part – qui pour moi est un droit – et d'autre part le renforcement de l'amour propre chez les enfants trans qui doivent, selon moi, être convaincus qu'ils sont très bien comme ils sont. Et c'est vrai que c'est un sujet très délicat à traiter en Espagne. Il y a en ce moment le débat sur la « Loi Trans ». Avant, il s'agissait d'un débat latent dans la société, mais aujourd'hui tout le monde s'est emparé de la question, a un avis, en parle. Quand j'ai commencé à travailler dessus, le sujet n'était pas aussi polémique, mais il génère à l'heure actuelle de plus en plus de tension. Et j'ai l'impression que ce que je peux apporter, c'est un peu plus d'amour en fait, car je ne veux pas parler à la place des autres ni m'immiscer dans leur réflexion et ne prétend pas résoudre quelque problème que ce soit avec ce film. J'ai simplement cherché à aborder une réalité qui nous concerne tous, plus ou moins.

C'est une coïncidence totale, mais nous venons de publier un dossier sur l'enfance dans le cinéma espagnol, quelle expérience tires-tu de la direction d'un enfant ?

Cela a été un véritable défi ! De plus, Ale (ndlr, Ale COLILLA, qui interprète l'enfant dans le film) nous a fait partager énormément de choses sur son expérience, son point de vue, etc. Il s'agissait bien sûr de faire le film, de tourner cette histoire qui existait déjà avant qu'il soit intégré au projet, mais il était également primordial qu'il garde un bon souvenir du film, des répétitions, du tournage et de la sortie – et c'est le cas, donc mission accomplie sur ce point !

Quels sont les projets qui t'occupent en ce moment ?

Je travaille sur mon long-métrage (ndlr : « La mitad de Ana ») que je vais tourner au printemps 2023. Nous sommes en pleine période de casting. Il s'agit d'une co-production française. L'an prochain, on me verra dans deux films français : « Tropiques » d'Edouard Salier et « Visions » de Yann Gozlan. Mais également dans plusieurs films espagnols. Je suis vraiment très contente, extrêmement concentrée pour faire le meilleur film possible, et réellement attentive à ce tout qui se passe.

Un grand merci à Marta Nieto, Jesús Rodríguez et Les Arcs Film Festival !

Interview réalisée le 14 Décembre 2022 lors de Les Arcs Film Festival à l'issue de la projection de « Son ».

 

Martin Vagnoni


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