Portraits

Rodrigo Sepúlveda - Je tremble ô matador

A l'occasion de la sortie du film Je tremble ô matador, son réalisateur Rodrigo Sepúlveda répond aux questions de notre rédacteur Sébastien Maury. Merci à Paul Chaveroux (N66-Assistant Attaché de presse) pour établir un pont entre nous et le cinéaste. Nous souhaitons une belle diffusion au film !
Affiche

Le mercredi 15 juin 2022. Paris.

Sébastien Maury -J'ai lu que la gestation du film avait pris beaucoup de temps et qu'avant sa mort, Pedro Lemebel avait participé au processus créatif. J'aimerais connaître son apport personnel. Était-il, par exemple, d'accord avec la suppression des passages parlant du couple Pinochet ?

Rodrigo Sepúlveda - Au début, Pedro a travaillé avec d'autres producteurs qui ont essayé de mener à bien ce projet. La seule chose qu'il a bien laissé entendre c'est qu'il aimerait que Alfredo joue comme la Loca del Frente. Quant au fait d'écarter Pinochet du récit, ce fut ma décision. Je trouvais que dans le romain, il apparaissait comme un être ridicule mais sympathique et je ne pensais pas que nous devions le montrer ainsi dans le film.

S. M. - Qu'est-ce qui vous a motivé pour adapter ce monument de la littérature chilienne et LGBT ? Aviez-vous à cœur de rendre visibles "les invisibles" ?

R. S. - Ce qui m'a motivé était cette histoire d'amour impossible entre deux êtres qui vivent leurs « clandestinités » dans le Chili des années 80 : le travesti clandestin et le guérillero clandestin. Tous les deux risquent tout, tous les jours de leur vie. Ce sont deux êtres très distincts avec des circonstances très semblables.

S. M. - Pourquoi les protagonistes se rencontrent-ils lors d'une scène de violences policières ? et d'ailleurs pourquoi est-ce l'unique scène volontairement violente du film ?

R. S. - J'ai ajouté cette scène pour dessiner avec clarté, aux jeunes d'aujourd'hui, à quel point c'était dangereux d'être d'une minorité sexuelle sous une dictature.

S. M. - Dans le film, y a-t-il des références implicites à la situation politique actuelle du Chili ?

R. S. - Je crois que lorsque l'on parle du passé ou que nous le visite c'est toujours pour parler du présent. Les références sont apparues toutes seules pendant le contrôle social au Chili, les militaires dans les rues, le couvre-feu, des persécutions ressemblaient à des scènes sorties directement des années 80.

S. M. - Les LGTB sont-ils toujours "invisibles" comme dans le film ? La parole de Lemebel est-elle toujours d'actualité ?

R. S. - L'homosexualité était illégale au Chili jusqu'en 1999. Aujourd'hui, on a beaucoup avancé. On a le mariage égalitaire. Je crois que le germe de tous ces changements est l'œuvre de Pedro Lemebel, qui n'a pas seulement écrit des chroniques et ce roman sur la réalité LGBT, mais il s'est aussi exposé, avec son corps dans de courageuses performances pendant la dictature.

S. M. - Comment dirige-t-on Alfredo Castro, cet immense comédien ?

R. S. - On ne dirige pas des acteurs du niveau ni du talent de Alfredo. On ne les dirige pas dans le sens strict du mot, il s'agit plutôt d'une compagnie complice pour arriver à jouer en totale liberté sur le plateau.

S. M. - L'alchimie entre les deux hommes est parfaite. Vous avez sublimé cette histoire d'amour à sens unique. Comment s'est déroulé le casting ?

R. S. - Nous savons que Alfredo a été choisi par Pedro Lemebel. Pour Leonardo, j'ai fait un casting à Buenos Aires, à Santiago et à México. Je crois que ce la décision fut correcte, ces acteurs se complètent à merveille.

S. M. - De quoi parlera votre prochain film ?

R. S. - En ce moment, je travaille sur une version de Ardiente Paciencia (Il postino) pour Netflix. Elle sera terminée pour la fin de l'année.

Sébastien Maury

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