Interviews

Cinespaña 2013 : décryptage avec Patrick Bernabé

Malgré la crise, la création reste au rendez-vous 
Le cinéma espagnol est au bord de la crise de nerfs, paraît-il. Patrick Bernabé, directeur de la programmation du festival Cinespaña de Toulouse, n’est pas tout à fait de cet avis. Cinespagne.com l'a interviewé à l’occasion de la 18ème édition du festival pour en savoir un peu plus sur cette question qui inquiète les professionnels comme les aficionados du cinéma espagnol. L’occasion de découvrir également la programmation de Cinespaña 2013 avec ce cinéphile aguerri.
Cinespaña 2013 : décryptage avec Patrick Bernabé
L'année dernière vous restiez assez optimiste malgré la crise que traverse le cinéma espagnol : qu'en est-il cette année ?

Il faut savoir qu’une production et sa recherche de financement démarrent en général deux, voire trois ou quatre ans avant la réalisation du film. Les restrictions ont surtout commencé en 2012 , ce qui fait que l'année dernière nous étions encore sur des budgets votés avant ces restrictions. Cette année, cela se ressent beaucoup plus. Par exemple, entre 2011 et 2013, le budget moyen d'un film a diminué de moitié. C'est d'ailleurs la première fois cette année que nous allons diffuser des films à très petit budget. Le moins cher a un budget de seulement 20 000 euros et il y a trois films autoproduits : Los ilusos, La plaga et Ilusión.

Ces restrictions budgétaires se répercutent-elles sur la qualité des films ?

Oui et non, car sur le plan de la qualité technique, on constate en effet que certains films ont eu peu de moyens. Par contre, en ce qui concerne les scénarios et les jeux d'acteurs, cela ne se ressent pas. La création est quand même au rendez-vous.

Les subventions de l'Etat espagnol pour le festival avaient déjà baissé les autres années, qu'en est-il cette année ?

En ce qui concerne les institutions officielles espagnoles, l'année dernière elles nous avaient fourni 13 000 euros, il y a deux ans, 60 000 euros à répartir entre 2010 et 2011, et il y a quatre ans, 70 000 euros. Cette année nous n'avons quasiment plus rien, seulement 1 000 euros. Les subventions de l'Institut Cervantes ont baissé également de 12 000 à 3 000 euros.

Comment avez-vous fait pour pallier à ce manque de subventions ?

Nous avons fait appel aux Français, en créant par exemple un partenariat avec Airbus Espagne.

Comment appréhendez-vous l'avenir du festival Cinespaña, compte tenu de la conjoncture et de ce manque de moyens ?

Cela reste mon inquiétude, d'autant que le festival est arrivé à un tel niveau aujourd'hui que nous avons besoin de plus d'argent qu'avant. En ce qui concerne les invités, on peut se permettre de payer pour 60 personnes. Mais depuis deux ans, le festival a tellement pris d'importance que certains réalisateurs viennent à leur frais !

Dans l'éditorial du festival, vous vous engagez, comme depuis de nombreuses années, à "soutenir ce cinéma si original". En quoi le cinéma espagnol est-il original pour vous et est-ce toujours vrai aujourd'hui ?

Je crois qu'il l'est toujours. Ce qui me frappe dans le cinéma espagnol, c'est qu'il est ancré dans la réalité sociale d'aujourd'hui, alors qu'en France il n’existe plus vraiment de film "socio". En Espagne, beaucoup de films parlent de la réalité d'une crise comme celle d'aujourd'hui. Une autre originalité, se trouve notamment dans le cinéma fantastique. La plupart des réalisateurs espagnols partent d'ailleurs aux États-Unis. Il y a également une jeune génération de réalisateurs tels que Jonas Trueba, Daniel Castro ou encore Jorge Naranjo, que nous avons voulu privilégier aussi bien à travers de la compétition officielle que de la compétition premiers films.

Vous laissez également une place importante aux jeunes réalisateurs grâce à la compétition de courts-métrages : peut-on parler d’essor de ce genre cinématographique en Espagne ?

Il y a en effet une prolifération de courts-métrages, environ 250 ont été réalisés cette année, dans des conditions normales. Ce sont quand même principalement les jeunes réalisateurs qui font du court-métrage, car il faut bien commencer par cela. Dans notre sélection, il y a vraiment des choses extraordinaires. On a choisi des thèmes variés, mais cette année, comme par hasard, de nombreux courts-métrages ont été réalisés sur le thème du cinéma.

Le cinéma espagnol se tourne de plus en plus vers l'extérieur pour se financer. Des films comme The impossible ou Mama, avec un casting hollywoodien, ont fait un tabac au box-office : pensez-vous que ces partenariats vont être amenés à se développer davantage ?

Actuellement oui. Et même pour ceux qui ne l'ont pas encore fait, on sent ce mouvement de productions qui vont vers l'étranger. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que l'on monte cette année un appel à projet pour des documentaires avec des coproductions franco-espagnoles.

L'acteur José Coronado, qui est à l'affiche de El Cuerpo, en compétition fiction, est mis à l'honneur cette année : pourquoi ce choix ?

C’est l'un des plus grands acteurs du cinéma contemporain. Il est très connu en Espagne, mais pas tellement en France. Comme notre but est de faire connaitre le cinéma espagnol en France, le faire venir entrait dans cette logique.

L’actrice Nathalie Baye n'a pas vraiment de lien avec l'Espagne, pourquoi l'avoir choisie comme présidente du jury ?

C'est vrai qu'elle n'a pas de lien direct avec le cinéma espagnol, mais notre but est d'avoir un jury français de manière à pouvoir porter un œil sur un cinéma différent. C'est pour cela que nous avons demandé à Nathalie Baye d'être présidente du jury, ce à quoi elle a répondu très vite favorablement. Dans le jury, il y a également Alain Bainée, qui travaille en Espagne et a notamment participé à la réalisation de Blancanieves. Il va pouvoir apporter aux autres membres du jury des éléments qu'ils pourraient ne pas comprendre.

Cette année vous avez fait une section humour appelée ¡Gamberros!, est-ce du cynisme ou une manière de défier le pessimisme lié à la crise ?

Même si la situation économique est difficile, il ne faut pas s'empêcher de rire ! On a voulu faire un petit clin d'œil. Il y a trois ans par exemple, on avait fait un thème sur les femmes en Espagne : or, c’était le thème du film de Diego Galán, Con la pata quebrada, qui fait l'ouverture du festival.

Dans la section « Mémoire et politique », cette année semble plus tournée vers la politique que vers la mémoire. Après dix-huit éditions, le festival Cinespaña a-t-il fait le tour en matière de mémoire au cinéma ?

Il est vrai qu'on a toujours diffusé des films sur la mémoire. Quand la Loi de Mémoire Historique a été adoptée en 2007, de nombreux longs-métrages ont parlé de ce thème. En l’espace de six ans, de 2007 à 2013, on a déjà bien fait le tour. Depuis quelques années, on a proposé des films qui parlaient de société et politique. Cette année, deux films abordent les manifestations du 15-M et un film fait le tour de l’histoire de l'ETA, par exemple. J'ai quand même choisi un film sur la mémoire, Guillena 1937. C'est une histoire tragique qui s'est déroulée en 1936, quand les fascistes sont arrivés dans un village d'Andalousie et ont embarqué les femmes. Après les avoir torturées et violées, ils les ont amenées dans le cimetière du village de Guillena, où s’est déroulée une véritable chasse à l'homme. C'est une histoire peu connue, raison pour laquelle j’ai voulu la mettre en avant.

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