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Premier long-métrage de Neus Ballùs, La Plaga, entre documentaire et fiction, est une coproduction El Kinógraf-Televisió de Catalunya, en association avec Arte France. Prix du meilleur film au festival croate Motovun Film Festival et du meilleur scénario à la dix-huitième édition de Cinespaña à Toulouse, le film dresse une série de portraits croisés à la façon d’un kaléidoscope social des plus humbles, sans misérabilisme et avec pudeur et dignité.
La Plaga : à la croisée des chemins

La jeune réalisatrice de 33 ans avait pensé son film comme « le portrait d’un lieu » mais après quatre ans passés en compagnie de ses personnages, Neus Ballùs a laissé son projet évoluer et devenir « une série de portraits ».

Le terme de « personnages » est toutefois quelque peu inapproprié puisqu’aucun acteur n’est professionnel et que tous interprètent leur propre rôle, leur propre vie. Ce sont ces moments de vérité intense que Neus Ballùs a su mettre en scène et transcender par le passage à la fiction.

La Plaga se situe à la croisée des chemins par son décor, la banlieue barcelonaise, et par son montage qui alterne les moments de vie des cinq protagonistes. Principalement tourné en extérieur, ce décor se compose de paysages où s’entrecroisent voies rapides menaçantes et inhumaines et petits chemins de campagne poussiéreux et chaotiques. La banlieue de Barcelone, symbole ici des écarts sociaux, impose un voisinage brutal entre des paysages exagérément urbains et la campagne profonde.

Les personnages incarnent quant à eux les divers types de la classe sociale des plus modestes, chacun portant une double casquette. Il y a Raúl, agriculteur et ouvrier à mi-temps, qui emploie Iurie sans pouvoir lui offrir de contrat. Immigré moldave, Iurie est aussi et surtout un jeune espoir de lutte libre. Casquette du Barça vissée sur le crane, il attend ses papiers pour régulariser sa situation. María, la voisine de Raúl, est une vieille dame qui n’a jamais quitté la maison familiale. Admise en urgence dans une maison de retraite médicalisée suite à une insuffisance respiratoire, elle est telle une plante déracinée et peut se comporter comme une enfant capricieuse ou faire preuve d’une émouvante lucidité. Dans cette maison de retraite, María va tisser une relation privilégiée avec Rose, une immigrée philippine qui travaille là comme aide-soignante. Déracinée elle aussi, Rose étouffe sa culture et, comme une automate, emprunte sous un soleil de plomb les chemins de campagne pour aller travailler. Elle longe à pied les champs de Raúl et tous les jours, en passant, salue Maribel, une prostituée vieillissante dont les clients se font de plus en plus rares.

En premier lieu, La Plaga, le fléau, c’est celui de la mouche blanche qui détruit les plantations de Raúl. Ce fléau est attisé par la chaleur écrasante qui accable Rose sur le chemin du travail, ou Maribel au milieu des champs déserts où plus aucun client ne vient jamais. L’air se raréfie partout et surtout dans les poumons de María qui se voit dépérir et en souffre. Mais en filigrane et au-delà de la mouche blanche, La Plaga, c’est aussi et surtout cette crise qui écrase l’Espagne depuis plus de trois ans et qui retombe brutalement sur les derniers maillons de la chaîne, les plus faibles.

Ces cinq êtres luttent pour survivre sans s’apitoyer sur leur sort, à la recherche d’une solution qui leur permettrait de continuer. La première scène du film en est d’ailleurs la représentation parfaite: on y voit Iurie arracher une bien maigre victoire, point par point et sans rien lâcher, lors d’un entraînement de lutte. C’est l’image même de leur vie: ces héros anonymes luttent, surmontent des obstacles, livrent les batailles du quotidien pour obtenir le minimum vital.

Neus Ballùs nous donne à voir un bout du parcours de ces cinq êtres qui vont se croiser, se rencontrer, parfois brièvement, partager des moments de complicité et se soutenir ponctuellement. Tous ont compris que là est la solution à une situation sur laquelle on n’a aucune prise, la crise économique, la canicule, la mouche blanche, tous les fléaux contre lesquels on ne peut rien. Seuls permettent de résister la résignation, le stoïcisme et la solidarité. Il faut attendre, espérer, et suivre les conseils de l’entraîneur: ne pas baisser la garde, saisir la moindre opportunité et gagner point par point sans commettre, cependant, l’erreur fatale d’oublier qu’on est humain.
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