Interviews

Patrick Bernabé - Cinespaña 2012

Nombreux jugent que les décisions prises par le gouvernement constituent en réalité une véritable décision politique de brider leur liberté d’expression 

A l’occasion du lancement de la dix-septième édition du festival Cinespaña à Toulouse, Patrick Bernabé, vice-président et directeur de la programmation, revient sur la crise que traverse actuellement le septième art ibérique.

Patrick Bernabé, vice président et programmateur du festival Cinespaña

Baisse de 35% du budget alloué au cinéma, passage à une TVA culturelle de 21% : le gouvernement de Rajoy a infligé un véritable coup de massue à la culture et notamment au cinéma espagnol. Quelles en sont les conséquences visibles ?

La situation est très paradoxale dans la mesure où le cinéma espagnol jouit, cette année encore, d’une très grande vitalité : pour preuve, c’est la première fois que nous présentons six avant-premières au festival Cinespaña ! Les films produits cette année sont de grande qualité et très nombreux. Cependant, il est à craindre que les années suivantes ne soient pas aussi fastes : les mesures prises par le gouvernement ont déjà en effet plusieurs conséquences visibles, comme la chute du nombre de tournages, qui est passé en quelques mois de soixante-quatorze à trente-trois films, principalement des courts-métrages et des documentaires. Il faut dire que les réalisateurs ainsi que les maisons de production subissent de plein fouet les restrictions budgétaires imposées par le gouvernement : à titre d’illustration, la société espagnole qui a coproduit Oncle Boonmee, Palme d’Or du festival de Cannes en 2010, a déjà dû licencier une bonne partie de son personnel. Beaucoup de producteurs attendent également que l’Etat leur verse les aides qui leur ont été allouées pour des films datant d’il y a deux ans. Voilà en somme les premières conséquences observables.

Quelle est la situation du côté des cinéphiles espagnols ?

On observe déjà une baisse manifeste de la fréquentation des cinémas, liée à l’augmentation de la piraterie. L’application de la TVA culturelle à 21% depuis le 1er septembre risque de faire croître cette tendance. Dans la situation économique actuelle, les Espagnols préfèreront sans doute limiter leurs dépenses culturelles : bien évidemment, cela a des répercussions extrêmement négatives sur le chiffre d’affaires des cinémas. On estime déjà à une vingtaine de pourcents le nombre de cinémas susceptibles de fermer en Espagne, ce qui est d’autant plus grave que le réseau de salles en Espagne est bien moins dense que dans l’Hexagone.

Quelles sont les craintes des réalisateurs et acteurs espagnols ?

Les professionnels du cinéma estiment que ces décisions conduiront inéluctablement à une raréfaction de l’offre cinématographique. Nombreux jugent* également que les décisions prises par le PP (Partido Popular) actuellement au gouvernement constituent en réalité une véritable décision politique de brider leur liberté d’expression et de les dissuader d’aborder des questions polémiques. Un réalisateur a par exemple expliqué que le gouvernement lui avait refusé des subventions pour un projet de film portant sur la sexualité actuelle, considérant que ce n’était pas le genre de contenu susceptible d’être diffusé à la télévision espagnole. Les réalisateurs redoutent ainsi que le cinéma espagnol soit condamné, par cette série de mesures, à traiter des thèmes peu sujets à la controverse.

* [ndlr] La position d’Enrique González Macho est notamment éclairante : dans un entretien accordé au Monde en date du 19 septembre 2012, il explique que « Le Parti populaire (PP) ne nous a pas pardonné notre rôle dans sa défaite électorale en 2004. A l'époque, cet échec avait été largement mis sur le compte du mouvement d'opposition à l'engagement espagnol dans la guerre en Irak, au sein duquel le monde du cinéma a joué un rôle très actif, en prenant la parole publiquement lors de la cérémonie des Goya et en faisant sortir les gens dans la rue. »

Quelles solutions envisagez-vous pour sortir de cette crise ?

Les nouvelles techniques peuvent être, à mon avis, un moyen pour le cinéma espagnol de s’en sortir malgré les restrictions budgétaires imposées par le gouvernement espagnol. Elles permettront sans doute à certains réalisateurs de continuer à produire des films avec un budget plus serré. Quant aux grands cinéastes espagnols, la tentation risque d’être forte d’aller produire à l’étranger : c’est déjà le cas d’une partie du cinéma fantastique, qui rencontre un franc succès aux Etats-Unis et est de plus en plus fréquemment produit dans les grands studios américains.

Julie Thoin-Bousquié



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