Films
Les filles vont bien
A mi-chemin entre le documentaire et la fiction, ce long métrage nous enchante par sa fraîcheur et sa sincérité. Dans Les filles vont bien, la fiction se mêle à la réalité avec ces cinq jeunes femmes, actrices et amies dans la vraie vie. Face caméra et sous forme de fiction, elles partagent avec nous leurs expériences, doutes, instants de vie dans un scénario bien construit et écrit pour chacune d’entre elles. Itsaso Arana nous le disait lors d’une interview : “Je savais que sans elles je ne pouvais pas le faire car j’avais besoin d’elles pour raconter ça. Si elles n’avaient pas pu le faire, il aurait fallu que j’écrive d’autres choses.” Les actrices interprètent ainsi leur propre rôle, mêlant confidences réelles avec bien sûr quelques éléments de fiction. Itsaso Arana aime dire que les films sont des lettres au futur et celui-ci l’est peut-être encore plus. Cela se traduit notamment par la magnifique lettre lue à la fin à l’enfant que porte Bárbara Lennie, dans la fiction et dans la vraie vie.
L’idée de ce film est née suite au décès du père de la réalisatrice lorsque toutes les femmes de sa famille étaient réunies à son chevet. Après cette épreuve, elle a tout de suite su qu’elle devait tirer quelque chose de cette expérience. Elle en témoigne d’ailleurs dans le film au même titre que les autres actrices qui partagent avec nous des moments intimes de leur vie, avec une mention spéciale à la jeune Itziar Manero et son émouvant appel qui ne laissera personne de marbre. Pour réunir ces actrices et les amener à se livrer, Itsaso Arana s’est mise dans la peau d’une écrivaine/metteuse en scène. Dans le film, elle loue une maison de campagne pour y répéter une pièce de théâtre avec les actrices. Le décor est planté et ces dernières, profitant de ces instants ensemble, peuvent alors se dévoiler librement face caméra, sans jugement. Et c’est avec beaucoup de sincérité et de tendresse qu’elles le font. D’un côté, les deux “expérimentées”, Bárbara Lennie et Irene Escolar, qui ont derrière elles une grande carrière théâtrale et cinématographique et de l’autre, les deux plus jeunes, Itziar Manero et Helena Ezquerro, les “novices” qui débutent et ont soif d’apprendre et de grandir sur scène. Mais Itsaso Arana n’a pas souhaité les “hiérarchiser”. Elle part du postulat que partager leurs expériences les met toutes au même niveau. Et c’est en effet le cas. Leur spontanéité et leur fraîcheur font du bien et chacun·e d’entre nous peut se retrouver à un moment donné dans les expériences partagées, que ce soit pour la perte d’un être cher, dans l’amitié ou tout simplement les choses de la vie. Il ne faut d’ailleurs pas longtemps pour que nous nous laissions happer par ce havre de paix, propice aux confidences, créé avec brio par la réalisatrice/metteuse en scène. Nous vivons à leurs côtés. Lors de cette soirée d’été où les actrices se livrent, nous ne sommes plus dans une salle de cinéma mais assis·es avec elles autour de la table. Les sujets évoqués sont profonds et les réflexions intéressantes. A ce moment-là, tout est possible. La bienveillance est omniprésente, la vulnérabilité est une force et l’écoute est attentive et généreuse. Et cela fait un bien fou.
Une des particularités qui saute aux yeux dans Les filles vont bien, c’est le subtil mélange des deux passions d’Itsaso Arana : le théâtre et le cinéma. On retrouve même dans le film une notion d’intemporalité, souvent présente au théâtre, et les costumes de scène utilisés pour les répétitions des actrices contribuent à brouiller les pistes. Itsaso Arana distille également tout au long du film des éléments propres aux contes pour enfants : on ne sera pas étonné d’y voir alors un crapaud ou encore des costumes de princesses.
L’autre particularité de ce film est qu’il est interprété quasi exclusivement par des femmes. Aux cinq amies se mêlent Mercedes, la véritable propriétaire de la maison, et Julia, une petite fille extrêmement attachante. Différentes générations de femmes se croisent donc dans le film et, sur le plateau, l’équipe de tournage était en grande majorité féminine. La présence de Gonzalo Herrero, seul acteur que l’on voit à l’écran, a été voulue par Itsaso Arana comme un pied de nez aux films composés d’un casting presque entièrement masculin et où le rare personnage féminin n’a que très peu d’importance dans le film. A l’inverse des contes classiques où la trame tourne autour de la présence d’un homme, souvent absent et dont les filles/femmes attendent le retour, celle de Gonzalo Herrero ne change en rien la trame de l’histoire. L’acteur se joint agréablement à l’histoire sans influer sur la trame. Qu’il soit là ou non ne change rien à l’histoire et c’est ce que souhaitait la réalisatrice. Des filles libres de faire ce qu’elles veulent et de se libérer de toute injonction et de tout regard masculin. Bárbara Lennie confessera même dans le film que pour elle, “la caméra est comme une vieille amie”. On est alors loin du fameux regard masculin (male gaze) bien trop souvent porté sur les actrices.
Itsaso Arana nous offre une magnifique escapade bucolique que nous aimerions prolonger tellement celle-ci fait du bien. Émotion, rires, larmes et bouffée d’oxygène sont au programme de ce merveilleux conte d’été. Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce film mais le mieux reste encore d’aller le voir. S’il a eu le mérite de sortir en été en Espagne, la sortie française en hiver nous réchauffe le cœur et nous offre, le temps d’une heure trente, une parenthèse estivale avec des filles attachantes qui… vont vraiment bien !
Vu le 24 août 2023 en avant-première à Madrid (Ciné Doré)
Au cinéma le 29 novembre 2023
Avant-premère madrilène
Agathe Ripoche
Olmo (Francesco Carril, déjà dans ses précédents films) et Manuela (Itsaso Arana, Las altas presiones) se retrouvent à Madrid quinze ans après la fin de leurs premiers émois. Ils se sont aimés adolescents au bord d'un lac, sur les bureaux du lycée, sur la musique de Rafael Berrio et les livres de Patricia Highsmith. Et puis elle s'est dit que... Lire la suite
J'avais surtout besoin de transmettre une série de sentiments et de doutes. Je ne fais pas les films parce que j'ai les idées claires d'une chose précise et que je prétends imposer une thèse. Lire la suite
Eva en Août constitue le cinquième long-métrage du réalisateur madrilène. Ce dernier s'inscrit dans la continuité de ses deux derniers films Los exiliados románticos et La reconquista. Les personnages mis en scène traduisent parfaitement les interrogations d'une génération : quête d'identité, relations amicales, mode de vie, rapport à l'avenir...... Lire la suite
Eva, 33 ans, décide de rester à Madrid pour le mois d’août, tandis que ses amis sont partis en vacances. Les jours s’écoulent dans une torpeur madrilène festive et joyeuse et sont autant d’opportunités de rencontres pour la jeune femme. Lire la suite
Jonás Trueba répond aux questions de Paul Buffeteau pour Cinespagne.com (Association La Bobina) lors de la sortie de son film "Quién lo impide" / "Qui à part nous ?", à Paris. Merci à Pierre Gallufo, attaché de presse, Arizona Distribution et à l'Alba Opéra Hôtel (Paris 9ème) Lire la suite
Une mise en scène épurée pour un film qui a été tourné en seulement huit jours avec quatre comédien.ne·s et une toute petite équipe technique. Les couples Itsaso Arana/Vito Sanz et Irene Escolar/Francesco Carril nous sont présentés dès le début par une succession de gros plans fixes de plusieurs minutes sur chacun d'entre eux au rythme du morceau... Lire la suite
?En 2019, tu as reçu, ici à Toulouse, le prix du meilleur scénario et de la meilleure interprétation féminine pour Eva en août, un film de Jonás Trueba. Vous êtes de retour tous les deux cette année pour présenter son dernier film Venez voir. Comment vis-tu ce retour dans ce festival ? Cinespaña est le premier festival de cinéma où je me suis... Lire la suite