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Affiche

La Reconquista

Un Film de Jonás Trueba
Avec Francesco Carril, Itsaso Arana, Aura Garrido, Pablo Hoyos
Drame | Espagne | 2016 | 1h 48min
Festival Cinespaña Toulouse 2016
La Reconquista: Un pouls narratif en amour

Jonás Trueba réalise un nouveau long-métrage toujours sur le thème de l'amour mais avec une création formelle qui joue avec le temps. Les risques sont pris, le film est expérimental et soigneusement expressif. Incroyable mais vrai, qu'on adhère ou pas, La Reconquista c'est deux missives qui nous intriguent. Voici une critique et une interview pour nous approcher de ce nouveau voyage cinématographique.

Olmo (Francesco Carril, déjà dans ses précédents films) et Manuela (Itsaso Arana, Las altas presiones) se retrouvent à Madrid quinze ans après la fin de leurs premiers émois. Ils se sont aimés adolescents au bord d'un lac, sur les bureaux du lycée, sur la musique de Rafael Berrio et les livres de Patricia Highsmith. Et puis elle s'est dit que d'autres choses devaient être vécues avant d'être en amour pour toujours. Et il l'a comprise puis a aimé et aime toujours Clara (Aura Garrido, Los Ilusos). Jonás Trueba opte pour un film bi-lumineux et nous permet de vivre un exercice de style sur le Temps par le prisme d'un premier amour.

Première partie : L'hiver
 Manuela arrive de Buenos Aires et passera quelques jours à Madrid. Elle est le souvenir d'Olmo. Lui est le présent, sûr, chaleureux. Ils se retrouvent immortels dans l'espace de l'hiver madrilène, réfugiés dans un restaurant asiatique désertique et dans un concert intime où résonne la chaude voix de Rafael Berrio (Somos siempre principiantes) face à un public hypnotisé, puis dans un pub où l'on se frôle au son de Niño Josele (Zapateado para Bebo ) et enfin dans un lieu secret où on danse du swing, très en vogue, jusqu'au petit matin. Les bruits, les lumières et la musique de cette première partie sont le décor de leur amour étrange, inébranlable relation résumée dans une scène mise en musique par Dom La Nena et son Buenos Aires. Ils sont aussi un peu ces personnages de La Montagne magique de Thomas Mann : des Arcadiens bucoliques qui ne ressentent plus que « la peine de ne pas sentir de douleur » (Arcadia en flor, R. Berrio). Ils sont le vertige absolu, le bleu, le rouge, opposés mais complémentaires. Des plans fixes et des cadres serrés nous retiennent dans un Madrid toujours en mouvement, baignés dans des lumières bleues et rouges. Les intentions du réalisateur ne sont pas à lire ailleurs que sur l'image (contrairement à son film Los Ilusos adapté de son roman Las ilusiones) : la rigueur des plans diffuse leur brutale beauté. La caméra est le refuge des personnages, des bruits ambiants et des gestes hésitants, étranges, incertains. Les deux personnages se connaissent, mieux que personne, mais le temps les domine. Jonás Trueba montre que tout devient étrange lorsque le présent se réunit avec le passé. La Reconquista est peut-être ce pont entre ce que nous avons ressenti, ce que nous sommes devenus et ce que nous projetons de faire. De la musique, une photographie réfléchie, un montage précis participent à l'équilibre global donnant ainsi plus de relief à des personnages quelque peu impersonnels.

Deuxième partie : L'été
C'est l'histoire en flashback de leur premier amour que nous raconte Jonás Trueba. Et c'est encore avec sa fidèle plume, sa caméra, qu'il esquisse des personnages adolescents dans un décor lumineux, végétal, d'un tendre été, sur les paroles de Quién lo impide (R.Berrio). La Reconquista, c'est ici le premier amour prenant de la place dans la vie d'Olmo (Pablo Hoyos) et de Manuela (Candela Recio). Et c'est en prenant le temps que le réalisateur raconte l'éphémère et profond premier sentiment d'aimer. Le temps de l'écriture et de la lecture des lettres amoureuses, celui des chansons qui s'entonnent, des longues promenades, des confessions qui unissent. Les espaces ouverts nous libèrent des plans et décors intentionnellement rigides de la première partie, les personnages ne sont plus obtus sinon conquérants. Ils n'attendent plus, ils se lancent, décident et s'aiment avec respect et certitude. Le travelling s'invite au récit et donne l'élan à la jeunesse innocente. Jonás Trueba raconte le premier baiser, les premières lettres et le premier au revoir. Son monde à elle et son monde à lui. Elle parle beaucoup, il pense souvent. Il lit, elle rit, il écrit, elle chante. Jonás Trueba nous dit que Manuela et Olmo, c'est pour toujours, que le temps donne le vertige, que la vie c'est plusieurs vies. Il nous dit aussi qu'ils s'éloignent pour ces mêmes raisons. Jonás Trueba parle vrai avec ces remarquables jeunes acteurs, ses lettres et sa musique.

La Reconquista n'est pas pour les débutants : Jonás Trueba tourne à la manière de Christophe Honoré (néo-nouvelle vague). Il expérimente, propose un cinéma comme un voyage, des personnages contemporains. La Reconquista, plus qu'une histoire d'amour, est une belle histoire de métamorphose d'amour. On aurait juste voulu que les Manuela et Olmo de la première partie soient plus identifiés, les femmes moins banalement séductrices, Olmo moins effacé. Face à un film si bien fait, nous ne pouvions pas nous empêcher d'en demander encore. Peut-être que c'est ça le cinéma, nous donner envie d'en voir toujours plus, des spectateurs passionnés et un réalisateur qui se réinvente, une Mentirosa de Manos de Topo et un Lo que comen las brujas de Nacho Vegas. Et si on allait reconquérir tes premiers films, JonásTrueba ? Juste pour voir, comme ça, en attendant impatiemment notre prochain voyage cinématographique, pour faire l'expérience nous aussi du temps qui passe et des souvenirs d'émois...

Film découvert à l'occasion du 21ème Festival Cinespaña de Toulouse, du 30 septembre au 9 octobre 2016

 

 

Marie-Ange Sanchez


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