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Paco León

Il y a une certaine pudeur à s'approcher de sa propre sexualité, d'en faire une opportunité, sa propre différence 

Rencontre avec le talentueux cinéaste andalou pour son troisième opus présenté au 27ème Festival du cinéma espagnol à Nantes le vendredi 31 mars 2017.

Pola Paco León
Le public français t'a découvert en 2014 au festival de Toulouse, avec Carmina o revienta. Ton 3ème film a été projeté hier, bien différent des autres. Pourrais-tu nous parler de ce projet, de son origine, de son sujet mais aussi de sa tonalité ?
 
Kiki est une commande du distributeur Wild Bunch. Ils voulaient un remake de la comédie australienne The Little Death, [titre français : If you love me...] de Josh Lawson (2014) une comédie sur des paraphilies sexuelles. J'ai d'abord refusé car je ne me voyais pas répondre à une commande : je réalise en effet des films très personnels. Mais ils m'ont assuré une entière liberté pour transformer le film initial et faire un film très personnel. Je suis content car je crois que c'est réussi : il me semble que c'est un film très personnel qui vient de moi, de l'équipe, du scénario, et de tous les acteurs.
 
Kiki est donc différent de la version australienne ?
 
C'est un film vraiment différent. On y retrouve le thème mais dans The Little Death, il est traité de manière très sombre. Les paraphilies sont présentées comme étant des problèmes sexuels. Moi, en revanche, je voulais m'en approcher sous un autre angle et montrer que le sexe n'est pas le problème sinon la solution.
 
Tes décisions esthétiques sont très différentes de celles de Carmina. Néanmoins, on y retrouve tes touches d'humour. Comment s'est fabriqué Kiki ?
 
Le défi était de ne pas perdre ma manière de travailler : pas de scénario, des acteurs qui improvisent, une spontanéité et une fraîcheur qui semblent peu préparées. J'ai aussi pu compter sur un remarquable directeur de la photographie, Kiko de la Rica, une grande figure du cinéma espagnol qui voulait faire un film personnel mais aussi beau, coloré, très gourmand, très estival, tropical, très sensuel également.
 
C'est un film choral, en quoi a consisté la direction d'autant d'actrices et d'acteurs ?
 
Ce qui me plaît le plus c'est de travailler avec des personnes que j'admire et que je connais. Pour certains acteurs, la situation était légèrement différente : je voulais travailler avec eux mais je ne l'avais pas encore fait. Je m'estime donc chanceux d'avoir été si bien entouré par ces acteurs et actrices. Et je considère tout particulièrement que les actrices ont accompli un travail très difficile et très réussi. C'était aussi un défi de les diriger et de jouer en même temps.
 
Et justement, parle-nous de ton expérience comme réalisateur et acteur à la fois.  
 
Je pensais que cela allait être plus compliqué mais pas tellement. Ma co-partenaire dans l'histoire est une actrice argentine qui est aussi réalisatrice [Ana Katz], elle est donc habituée à diriger et à jouer à la fois. Il y avait une certaine complicité entre nous deux du genre ''non, cette prise est bien, pas besoin de nous revoir''. Nous nous sentions très à l'aise. Sur le tournage, je pensais souvent à une phrase de Woody Allen qui disait que ce qui est bien pour celui qui dirige et joue à la fois, c'est qu'il a une personne en moins avec laquelle se disputer, et rien de plus à lui expliquer, elle sait déjà tout.  
 
Ton parcours est marqué par la diversité de tes fonctions mais aussi des thématiques que tu abordes. D'où vient cette créativité prolifique (le cinéma, les séries, le théâtre, la danse...) ?   
 
Je ne sais pas trop. Je crois que je m'ennuie très vite de moi-même, très facilement. Je dois donc changer, inventer, explorer de nouveaux territoires, même si cela donne le vertige car on ne contrôle pas toujours, on trouve toujours quelque chose d'intéressant, quelque chose qui est source  d'émotions et d'apprentissage.
 
Ton film n'a pas une trame narrative conséquente, il semble qu'il s'agisse plus d'une association de farces. As-tu pensé à son adaptation au théâtre ?
 
Peut-être, je ne sais pas trop. On peut presque tout adapter. Je n'y ai pas pensé. Il y a beaucoup d'espaces qui pourraient se retrouver sur scène oui... Je n'y avais pas vraiment pensé. Comme le film que j'ai tourné en tant qu'acteur pour Netflix [7 años, de Roger Gual, 2016, premier film espagnol de Netflix] : il n'y a qu'un espace et tous les acteurs se retrouvent dans cet endroit, c'est presque une pièce de théâtre. Ce n'est pas aussi simple mais il s'agit d'une bonne idée.
 
Les couples mis en scène dans Kiki ont un lien avec les questions de la morale. En as-tu parlé auparavant avec les acteurs ? Des limites ont-elles été posées, des scènes coupées, de possibles autocensures ?
 
Non. Par exemple la scène dans l'église, quand le personnage de Candela se masturbe, pendant les funérailles, la chaîne de télévision [Telecinco Cinema] a suggéré que c'était peut-être trop car transgressif pour les catholiques. On m'a aussi parlé de la scène où un homme demande à mon personnage de lui uriner dessus. Mais je ne voulais pas enlever de scènes comme le jeu avec le thème du cancer qui semble très fort pour une comédie. Cela suggérait de changer une réalité précise pour quelque chose de plus général mais pour moi, faire de la comédie ce n'est pas rendre frivoles les thèmes qu'elle traite. Il faut les mettre en scène avec rigueur même dans la comédie. Alors oui cela peut sembler moralement compliqué.
 
Penses-tu que le film puisse être distribué dans les salles françaises, outre les festivals, et au niveau international ?
 
Oui, j'aimerais que le film soit largement vu et distribué. Pour la France, je pense que la société de distribution veut attendre car elle est en train de réfléchir à un remake, une version française du remake avec des acteurs français, un réalisateur français, ... Mais je ne sais pas si cela va se faire ou pas, si Kiki sera directement distribué. J'adorerais que le film soit en France aussi. Il a eu un gros succès en Espagne avec plus d'un million d'entrées.
 
Un tel film en France est peut-être difficile à imaginer ?
 
La France est un pays avec une culture très sexuelle et très libre, peut-être moins au moment d'en parler ou d'en faire une fiction. Je crois que Kiki peut se comprendre ici. Il y avait hier un large public français dans la salle et j'ai pu noter combien les spectateurs riaient. Je continue de croire que le message est nécessaire. Il y a une certaine pudeur à s'approcher de sa propre sexualité, d'en faire une opportunité, sa propre différence. Je crois que c'est quelque chose de très moderne, de nécessaire, quelque chose de beau.
 
Dans Carmina, tu travailles en famille. Dans Kiki, ta fille apparaît. Est-ce quelque chose d'important pour toi ?
 
Non pas vraiment. Je pense que c'est plus pratique, j'utilise ce qui est le plus proche de moi. Le thème n'est pas celui de la famille mais mon personnage avait une petite fille et je n'allais pas faire un casting juste pour la trouver. Il y a un lien aussi plus naturel : je sais comment faire pour tourner avec elle. J'aime bien l'idée d'une vidéo de famille, voir comment les personnes grandissent. Lorsqu'elle sera grande, elle pourra se voir dans tous mes films, c'est amusant.  
 
Kiki finit avec les acteurs au complet dans un lieu particulier, avec l'excuse de la rencontre de deux malentendants. Tu sembles avoir donné une certaine importance à ce couple, en lien avec un thème plus contemporain : la solitude et l'isolement.
 
Oui tout à fait. C'est une trame secondaire, plus petite. La jeune femme se sent seule, isolée. La dernière étape du film s'apparente à un court-métrage. Le personnage travaille dans une centrale téléphonique pour sourds et malentendants, elle doit passer un appel à une ligne érotique pour un client, etc... C'est une histoire plus fermée. C'était une manière de conclure, de canaliser les passions, de les réunir dans une fête… Comme un échantillon de cinq histoires parmi tant d'autres qui font notre monde, des personnages comme des petites fourmis. C'est un peu ma manière de voir le monde, nous sommes de petits animaux capables de s'aimer, de s'embrasser, de se tripoter.
 
Des animaux sont aussi dans ton film à la manière de métaphores...
 
Oui, il y a beaucoup d'animaux comme l'iguane, comme symbole de l'éternel, le chien... Mais je n'en parle pas comme d'une paraphilie, car il y en a tellement que l'on ne peut tout dire. Les animaux donnent une image plus naturelle et saine des comportements humains. Nous sommes comme eux, du désir, du plaisir et rien de plus. Comme pour le bonobo montré dans le film : c'est un animal qui n'a pas de conflit, il résout tout par le sexe. C'est comme un modèle de conduite.
 
Une dernière question : que dirait Raquel Revuelta du programme ''Estrenos de cartelera'' [ dans « Homo zapping », Antena 3, 2003-2007] de Kiki el amor se hace ?
 
Que ce sont des cochonneries (Rires). Je pense que cela la ferait rire et elle en parlerait honteusement mais elle le comprendrait!
 

 

Emilie Parlange

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