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Pau Subirós – La Plaga

La Plaga décrit le monde honnêtement et a, de fait, une portée politique. 
Présent lors de la remise des prix du festival Cinespaña à Toulouse, Pau Subirós, coscénariste et producteur de La Plaga, a analysé le contenu de ce bouleversant kaléidoscope social pour Cinespagne.com.
© Anaïs Chatellier

Avant d’entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous vous présenter, nous parler de votre formation, des travaux que vous avez réalisés précédemment ?

Pour commencer, sur La Plaga, je suis co-scénariste ainsi que producteur. En réalité, La Plaga est un petit film produit par une petite société de production et de ce fait, nous nous sommes tous impliqués. Pour ma part, j’ai un parcours quelque peu hétérogène. Je n’ai pas toujours été dans le cinéma, j’ai commencé à la fac où j’ai fait des études de Philosophie et d’Anthropologie, j’ai réalisé quelques travaux dans ce domaine puis je suis arrivé dans le milieu du cinéma petit à petit, par le biais des documentaires. Depuis quelques années maintenant, je travaille pour la société de production El Kinógraf, qui a produit La Plaga et avec laquelle on a fait un peu de tout. On a travaillé plusieurs fois pour la télévision, on a réalisé des commandes en tout genre et en ce qui concerne le cinéma, on a réalisé quelques courts-métrages et enfin La Plaga, le premier long. Sinon, je suis aussi ingénieur du son et à ce titre, j’ai travaillé sur plusieurs autres films. Un parcours plutôt varié, en somme.

Pouvez-vous nous parler des années de préparation qui ont précédé le tournage de La Plaga ?

En fait, celle qui a réellement développé la première partie du projet, qui s’est consacrée à toute la partie créative, c’est Neus. La Plaga se passe dans la banlieue de Mollet del Vallès dont elle est originaire, et elle ressentait une vraie fascination pour cet endroit. Elle a donc commencé par faire une sorte de travail de terrain, rencontrer des gens, s’imprégner du lieu, et c’est quelque chose qu’elle a fait seule. Ceci dit, El Kinógraf est une société où il y a une relation d’échange constant qui fait que nous partageons et nous nous impliquons tous, dans tous les projets. Petit à petit, au fur et à mesure que c’est devenu un projet cinématographique, je m’y suis intégré, d’abord en tant que producteur, puis l’échange créatif s’est intensifié. Il est vrai cependant qu’une grande partie du travail sur le scénario a eu lieu pendant le tournage et pratiquement a posteriori, puisqu’il s’agissait de remettre en ordre toute la matière qu’on avait récoltée, et c’est là que je me suis réellement impliqué.

la plaga 2Quelle a été pour vous la difficulté majeure sur ce film ?

Partant du fait que tout le film se base sur la vie de personnes réelles à qui il arrive des choses réelles indépendantes de ce qui était envisagé pour le film, il a fallu faire en sorte d’intégrer ces faits réels, et faisant partie de leur quotidien, au scénario. Il a fallu faire en sorte que, justement, ces éléments fassent l’intérêt du film. Cela a été assez compliqué. Par exemple, quand on a commencé, on ne savait pas que María allait devoir quitter sa maison pour être admise en maison de retraite, c’était totalement imprévu, et il y a eu un moment où on s’est demandé si on pourrait garder ce personnage. On n’avait pas d’autorisation pour aller tourner dans la maison de retraite, on ne savait pas si elle accepterait, et surtout on ne savait pas comment on allait utiliser tout cet univers qui ne faisait pas du tout partie de l’idée de départ. C’est un des exemples du défi majeur sur La Plaga, qui a consisté à trouver le moyen d’utiliser des éléments de la réalité pour construire cette narration et qu’au lieu de nous desservir, ces éléments jouent en notre faveur.

Définiriez-vous La Plaga comme un film engagé ?

On peut définir l’engagement de diverses manières. Beaucoup ont observé, sur un ton parfois critique, que l’on présente des personnages qui vivent une situation souvent pénible et dont on ne désigne pas clairement les responsables. A aucun moment, il n’est dit que c’est « le système capitaliste… » En revanche, il y a cette idée de fléau, comme quelque chose qui est complètement hors contrôle et qui, métaphoriquement parlant, devient le méchant du film. Mais, en effet, La Plaga ne désigne rien de concret comme cause des problèmes. En ce sens, on ne peut pas vraiment dire que ce soit un film qui dénonce quoi que ce soit, mais d’un autre côté, c’est quand même un film qui aborde des thèmes de la réalité de façon à décrire le monde honnêtement, et à mon avis, cela a, en soi, une portée politique. Souvent, le cinéma est politique sans que cela ne se voie au premier abord, justement parce qu’il décrit le monde en s’intéressant à ce qu’il est. En ce sens, je crois que dépeindre la réalité telle qu’on l’a vue et expliquer les choses honnêtement comme on l’a fait, a révélé un engagement politique. Je pense aussi que c’est un film qui permet plusieurs lectures. Quand le film est sorti en Espagne, il y a eu de très bonnes critiques dans les médias alternatifs : par exemple, dans un journal catalan de gauche, ils ont réalisé un dossier sur le cinéma engagé et La Plaga en était l’illustration principale. En même temps, on a eu des critiques très bonnes dans les pages culturelles d’un journal de droite ! J’en déduis que le film a un très large éventail d’interprétations.

la plaga 1Ecrire à quatre mains : liberté ou limites ?

Evidemment, le procédé n’est jamais symétrique, il y en a toujours un qui apporte plus ou un qui donne une autre vision, mais de manière générale je pense qu’il est plus constructif que, sur un processus de montage ou même sur la conception du scénario, il y ait plusieurs personnes impliquées qui confrontent leurs visions des choses. Concernant le travail avec Neus, comme on avait déjà collaboré sur plusieurs projets, on se comprenait, on parlait le même langage, on n’a pas eu de difficultés. Bien sûr, parfois, il y a des choses que tu ferais d’une façon et que l’autre ferait autrement, mais ce qui marche bien entre nous, c’est un peu avoir l’autre comme une sorte de rebond… Cela permet de voir si les idées sont bonnes ou pas, ça aide à penser à certaines choses, et il n’y a eu aucun problème. On ne s’est pas beaucoup disputé, heureusement !

Des projets, personnels ou de El Kinógraf ?

Actuellement, on est sur un nouveau projet avec un peu le même schéma et qui sera réalisé par Neus. On commence à écrire le scénario ensemble, et c’est un projet qui devrait être tourné en grande partie au Sénégal. En deux mots, l’argument du film, c’est une famille catalane qui va passer des vacances au Sénégal: le film se concentrera sur leur séjour là-bas. Ce sera plus une fiction que La Plaga mais on veut quand même faire en sorte que les personnages, au moins les principaux, ne soient pas des acteurs mais plutôt qu’ils correspondent suffisamment à ce qu’on aura imaginé. On part donc au Sénégal dans un mois à peu près pour faire ce travail de repérage, puisque dans le film, ce sont les vacances de Noël que nos personnages vont passer là-bas. Et là, on cherche un coproducteur français avec qui faire le film, puisqu'on va tourner en grande partie en français. Donc si un producteur lit cet article et qu’il est intéressé, qu’il nous appelle !

Une dernière question : le choix du castillan comme langue majoritairement parlée dans le film a-t-il été volontaire ?

Déjà, une distribution facilitée par l’usage du castillan était bien la dernière de nos intentions ! On ne pouvait pas faire plus compliqué ! D’une part parce que dans le film, il y a jusqu’à six langues: en plus du castillan et du catalan qui sont majoritaires, on entend du moldave, du russe, de l’ilocano qui est une langue des Philippines, bref, ça a été très compliqué au niveau des langues. Mais il n’y a eu aucune préméditation de notre part, c’était les langues qu’utilisaient vraiment ces personnages dans ces situations. Bien sûr, au montage on a fini par obtenir un équilibre, mais ça a été totalement fortuit. La narration a toujours été notre priorité. Cela rejoint ce que je disais au début: on ne pouvait pas décider de grand-chose, il fallait s’adapter à leur façon de vivre. Si les personnages utilisaient une langue dans une situation, on devait le prendre tel quel. Dans le film en réalité, le castillan n’est pas la langue majoritaire. Il y a un écart infime à quelques mots près, avec en plus, certaines conversations où un personnage parle en catalan et l’autre lui répond en castillan… C’est compté par un département de subventions catalan: il y a à peu près 33 ou 34% de catalan et 34,5% de castillan. Le reste, ce sont les autres langues.

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