Interviews

Carlos Therón - Impávido

Comme Rai, j’ai grandi depuis la fin du film ! 
Une sacrée dose de bonne humeur, et autant d’imagination : c’est le portrait, au demeurant fort succin, que l’on pourrait dresser de Carlos Therón, le réalisateur d’Impávido. Présent au festival Cinespaña de Toulouse, où son film concourait dans la catégorie long-métrage, le cinéaste originaire de Salamanque a décrypté le contenu de sa deuxième réalisation pour Cinespagne.com.
© Anaïs Chatellier

Vous avez réalisé un court-métrage en 2007 qui s’appelait déjà Impávido et racontait la même histoire que le film : pourquoi avoir choisi de revenir sur ce thème ?

Lors de la réalisation du court-métrage, nous (Carlos Therón, Alfonso Aranda y Roberto Therón, les trois scénaristes, ndlr) nous sommes rendu compte que nous avions trop de matière pour la durée qui nous était impartie. Il a donc été nécessaire de tout comprimer. Or, plus nous avancions, faisions prendre chair à nos personnages, contactions nos acteurs, plus nous avions envie de liberté. C’est la raison pour laquelle il nous a semblé logique de faire un long-métrage, dans lequel nous avons pu développer l’histoire et doter nos héros d’une plus grande profondeur. Pour ce faire, nous avons transposé le court-métrage tel quel dans le film : c’est le nerf central, la colonne vertébrale d’Impávido. En parallèle, nous avons réfléchi sur l’identité de nos protagonistes, d’où ils viennent, et ce qu’ils deviennent une fois l’aventure proprement dite achevée. Nous avons en quelque sorte tiré sur les deux côtés du court-métrage, pour l’étirer et en faire une version plus longue.

GENESE

Du court au long-métrage, les acteurs sont restés les mêmes : cela vous semblait-il évident de faire à nouveau appel à eux ? 

Bien sûr, on ne change pas une équipe qui gagne ! Dès le court-métrage, les acteurs se sont complètement appropriés leurs personnages : il suffisait donc de développer les parcours de chacun d’eux. Un des exemples les plus flagrants est celui de Manolo Solo. Il a tellement fait corps avec Tena (le bras-droit de Mikima, ndlr), qu’il a doté le rôle d’une profondeur parfaitement adaptée au format long. La seule chose qui nous restait à faire, c’était de multiplier les séquences centrées sur son personnage pour le rendre encore plus hilarant.

Pour quelles raisons les aviez-vous choisis initialement ?

En ce qui concerne Julián Villagrán, qui incarne Rai, notre but était de le faire jouer un dur à cuire… Ce qui est loin d’être son cas ! Au contraire, c’est une de ces personnes que l’on rêve de serrer dans nos bras dès qu’on les voit, tant elles respirent la bonté. Compte tenu de son caractère, Julián n’avait évidemment aucune envie de faire ce personnage : il considérait que je ne cherchais qu’un bourrin. Or, c’est justement l’opposition diamétrale entre le caractère de Rai, qui est un adolescent attardé, et le fait qu’il veuille passer pour un dur, amateur de gros calibre, qui fait tout le sel de l’intrigue !

C’est donc pour alimenter ce « sel » que vous avez choisi un acteur pornographique pour incarner Mikima…

En réalité, c’est un pur hasard si nous avons choisi Nacho Vidal pour jouer Mikima. Pour l’anecdote, c’est à la télévision que je l’ai vu pour la première fois, et j’ai trouvé qu’il faisait peur ! Blague mise à part, nous recherchions un acteur qui puisse incarner cette force de la nature, incontrôlable et dangereuse. Or, Nacho donne l’impression d’être un animal sauvage, impossible à domestiquer, et c’est ce dont nous avions besoin. Il possède à la fois un côté sympathique, une puissance et une violence visuelles, ainsi qu’un sacré sens de l’humour, que nous avons largement exploités dans le film, alors qu’il n’avait qu’un rôle très limité dans le court-métrage.

Son rôle est d’ailleurs d’autant plus étonnant qu’il va de pair avec son neveu…

Effectivement : Aaron, joué par Selu Nieto, est l’archétype du garçon faible, même s’il l’on découvre qu’il possède de grandes facilités intellectuelles. Le contraste est donc saisissant entre cette crevette et le mec le plus dangereux du gang ! Et cela alimente la comédie. Avant d’en arriver à ce résultat, il a cependant fallu procéder à des tests entre les différents acteurs, afin de vérifier notamment s’il y avait une alchimie entre Selu Nieto et Manolo Solo, qui passent le plus clair de leur temps ensemble dans le film. Mais, dans la mesure où ils se connaissaient déjà, le courant est vite passé.

impavido 1 okDOUBLE SENS

Impávido n’est pas seulement une comédie : c’est aussi un voyage initiatique pour Rai et une réflexion sur la chance.

C’est parfaitement juste. D’une certaine manière, le film est autobiographique. Nous avons puisé dans nos propres expériences pour transcrire cette envie de toujours rester adolescent. Nous avons ainsi représenté le passage de l’immaturité, où l’on se sent immortel et intouchable, au moment charnière où l’on prend conscience qu’il est nécessaire d’agir, qu’on le veuille ou non. L’objectif était de montrer comment la vie nous oblige à mûrir. A ce cheminement s’ajoute la réflexion sur la chance. Evidemment, nous le faisons avec frivolité, puisque Impávido est une comédie. Cela dit, nous voulions quand même aborder cette attitude qui consiste à se dire malchanceux quand tout se passe mal. Or, si l’on n’agit pas comme il faut, la chance ne peut pas être de notre côté ! Pour Rai, c’est la solution qu’il a trouvée pour s’excuser de ses propres ratés : mais, petit à petit, il est obligé d’assumer ses actes, et une fois qu’il y parvient, la chance tourne pour lui. Et c’est aussi à ce moment-là qu’il peut passer à autre chose.

Parlons des figures féminines du film : il y les prostituées, les femmes qui utilisent leurs charmes pour parvenir à leurs fins, et celles qui aspirent à se venger, coûte que coûte. Où est la femme normale ?

Avant tout, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’une fantaisie adressée aux hommes. C’est une histoire de mecs qui aimeraient ne jamais grandir, et dont on montre la vie, les affaires, etc. Cela dit, je pense que la femme normale, c’est finalement Nora. Elle est la seule à avoir un discours construit, et à faire véritablement avancer les choses, à tel point que tous les autres personnages finissent par se plier à sa volonté. Il est possible que nous ayons été un peu réducteurs dans notre approche du rôle de Marta Torné, mais elle reste le moteur de l’histoire, alors qu’elle n’a, elle-même, qu’une très mince marge de manœuvre. Sans oublier qu’elle constitue l’aboutissement du processus de maturité par lequel passe Rai pendant le film !

Au fond, ce que montre votre film, c’est que seuls l’amitié et l’amour peuvent empêcher un homme de basculer du (très) mauvais côté…

Un homme, oui : encore une fois, il ne faut pas oublier que tous les vices que l’on dépeint font partie de cette radiographie du masculin que nous avons mis en place. Les hommes aiment la concurrence, perdent la tête pour une jolie demoiselle, etc. et cela renforce le contraste avec Nora, dont la ligne de conduite est claire. De fait, l’amitié telle qu’elle existe entre Manrique et Rai est très masculine. Elle me fait penser à celle qui lie Morgan Freeman et Clint Eastwood dans Million dollar baby : dans ce film, les deux acteurs se connaissent depuis l’enfance, et la seule chose qu’ils savent faire, c’est se lancer des piques et se moquer l’un de l’autre. Mais, ce faisant, ils prouvent aux spectateurs qu’ils sont véritablement amis ! En ce qui concerne nos protagonistes, la preuve de leur amitié intervient assez tard, lorsque Rai souhaite retrouver la confiance de Manrique, mais qu’il est hélas déjà trop tard. Et pour ce qui est de l’amour… Bien sûr que c’est essentiel ! Au début, c’est l’amour tel que Rai croit qu’il est. Il s’agit d’un amour adolescent, et d’autant moins durable que son « amoureuse » est déjà passée à autre chose. A la fin, en revanche, la relation finale est celle d’adultes : il ne s’agit plus d’un simple fantasme de Rai. Les deux personnages sont, au contraire, sur un pied d’égalité, et même si on ignore combien de temps cette relation durera, elle est porteuse d’espoir.

impavido 2 okEN COULISSE

Vous avez misé sur une BO très électronique et omniprésente : expliquez-nous ce choix.

Effectivement, 85% des scènes d’Impávido ont une bande son. Cette décision se justifie surtout par le fait que nous avions un budget suffisant pour en consacrer une partie à la musique : pour ce faire, nous sommes partis à Londres faire des enregistrements avec l’orchestre symphonique. Avec Antonio Escobar, nous avons décidé de développer certains thèmes, et de les transformer au fil du film. Cela donne une BO spécialement créée pour le film, à l’exclusion de quelques airs d’opéra. Elle fonctionne comme une porte d’entrée dans l’esprit du héros. Mais, le rythme musical est un peu plus rapide que le raisonnement du personnage, à la mesure de la vie elle-même d’ailleurs, qui semble aller plus vite que Rai. Telle qu’on l’a conçue, la musique donne donc une vitesse supplémentaire au film, même si tout va déjà très vite !

Comment s’est déroulée la scène du casse dans la banque ?

La majeure partie du film a été tournée à Gijón, et c’est là que nous avons aussi fait cette séquence. Nous avons eu un jour, avec nos deux caméras, pour réaliser l’extérieur, et un autre pour l’intérieur. C’était assez dur, mais avec le recul, franchement amusant ! Voir que les routes avaient été barrées spécialement pour nous, et nous retrouver avec des mecs habillés en perroquet, flingues à la main, c’est un peu le rêve de tout garçon qui joue avec ses figurines ! La preuve que nous aussi, étions des adolescents qui ne souhaitaient pas changer. Heureusement, j’ai grandi depuis !

Il y a de tout dans votre film : de la comédie, de l’action, et même des influences du film noir. C’est ainsi que vous concevez un long-métrage, comme un mélange de genres ?

En vérité, je pense que cet éclectisme est lié au fait qu’il s’agit de notre premier film. Nous souhaitions y mettre tout ce qui nous plaisait. La composition fragmentée du film, un peu postmoderne, nous a ainsi permis de jouer à plusieurs jeux, même si les lignes directrices étaient claires : nous voulions conserver le suspense d’un thriller, et la légèreté d’une comédie. Une fois cela fixé, nous étions libres d’aligner les références, parmi lesquelles Snatch, de Guy Ritchie, auxquels les spectateurs font souvent allusion, mais qui ne me semble, en réalité, pas la plus pertinente. Pour dire vrai, nos influences viennent surtout de la comédie noire des années 1980, comme Quelle nuit de galère de Scorcèse, voire même des films Nikita, Léon ou Le grand bleu, de Luc Besson, notamment dans la façon de présenter les espaces. Côté scénario, nous voulions faire nos propres versions des œuvres de Dashiell Hammett ou de Raymond Thornton Chandler, de ces dialogues incisifs et ambigus du film noir des années 1940. Le tout, transposé dans un univers absurde et un peu bête, où tout peut arriver !

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