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Fernando Trueba - L'Artiste et son modèle

J’ai attendu d’avoir l’âge de comprendre mon personnage avant de faire L’Artiste et son modèle 
Salué par le public et la critique, L'Artiste et son modèle a remporté la Concha de oro au festival de San Sébastian. Rencontre avec son réalisateur, Fernando Trueba, lors de l'avant-première parisienne organisée le 25 fevrier par l'association Espagnolas en Paris, pour décrypter ce qu'il considère être une de ses œuvres les plus personnelles.
Fernando Trueba, accompagné de Jean Rochefort, de Aida Folch et de Jean-Claude Carrière - Soirée Espagnolas En Paris
Comment est né L'Artiste et son modèle ?

Ce récit prend ses racines dans mon enfance mais il est véritablement né dans les années 1990. J'ai sans cesse reporté ce projet en pensant que plus je serais vieux, mieux je comprendrais le personnage qu'incarne Jean Rochefort. J'ai donc privilégié d'autres longs-métrages que j'avais également à l'esprit, jusqu'au jour où j'ai considéré que je n'étais certes pas aussi vieux que Marc Cros, mais que je l'étais assez pour pouvoir raconter une telle histoire !

L'artiste est un sculpteur : pourquoi ?

Lorsque j'ai pensé pour la première fois à ce film, c'était en collaboration avec mon frère, qui était lui-même sculpteur. J'aurais aimé le laisser s'occuper de la création des œuvres utilisées pendant le tournage et malheureusement le temps en a décidé autrement.

D'où est né l'intérêt que vous portez au couple artiste / modèle ?

Sans doute est-ce lié à l'influence qu'ont toujours eu les œuvres de Picasso sur moi. Certes, le thème de l'artiste et du modèle est récurrent dans l'histoire de l'art, mais Picasso est un de ceux à l'avoir le plus fréquemment évoqué dans ses peintures, ses dessins ou ses gravures. Dans la dernière partie de sa vie, il a par ailleurs tendance à confondre ce diptyqe avec celui de la jeunesse et de la vieillesse que j'aborde également dans L'Artiste et son modèle. Marc Cros, dans le film, et Picasso, dans ses œuvres, ont accordé de plus en plus d'importance à la beauté et à la vie au fur et à mesure qu'ils vieillissaient.

Arts de vie

C'est dans son aspect le plus concret que vous abordez l'art...

Jean Renoir a cette formule, qui paraît assez simpliste au premier abord mais me semble au contraire très profonde : « L'art, c'est faire ». C'est exactement cela que j'ai essayé de transcrire dans L'Artiste et son modèle. L'art ne consiste pas simplement à le regarder dans les musées même si c'est ainsi qu'on l'apprécie. Il existe tout un processus d'élaboration préalable qui reste caché aux yeux du public. C'est cette immersion dans le laboratoire de l'artiste, dans son intimité, que j'avais envie de proposer aux spectateurs.

el artista y la modeloDans L'Artiste et son modèle, c'est l'art qui fait vivre le personnage de Jean Rochefort : est-ce ainsi que vous concevez la vie ?

L'art naît de cette nécessité que nous avons de regarder la vie à travers le regard de l'artiste. C'est une façon de sentir et de comprendre la vie dont nous ne pouvons pas nous passer, car l'artiste puise toujours un sens, une harmonie ou une beauté au sein même de la réalité. L'art est, à mes yeux, une composante essentielle de notre quotidien. La preuve, c'est que dans une période troublée comme la deuxième guerre mondiale, où tout n'est qu'absurdité et barbarie, l'art se présente comme seul moyen de survivre et de dépasser la réalité.

Le personnage principal, Marc Cros, ne trouve la plénitude que par le biais de son travail. Est-ce, selon vous, la solution pour être heureux ?

Pour un artiste, le travail est un moyen de respirer et de vivre pleinement. L'Artiste et son modèle aborde de fait ces relations incestueuses entre l'art et la vie, la façon dont ils se mélangent, s'interpénètrent et s'appellent mutuellement. Pour vivre, le personnage qu'incarne Jean Rochefort doit revenir à son atelier mais, c'est la vie elle-même qui lui redonne envie d'exister sous la forme de cette jeune femme, qui entre soudainement dans son quotidien. Mercè vient rompre la profonde dépression que traverse Marc Cros au moment où il la rencontre. Il est en effet conscient de n'avoir plus beaucoup à vivre et subit, pour la deuxième fois, un terrible conflit en Europe, qui lui fait perdre toute foi en l'espèce humaine. Mercè remet en cause toutes ses pensées en apportant la vie et la beauté qu'il désespérait de jamais retrouver.

En amont

Le noir et blanc, était-ce une évidence ?

Avant même d'en avoir écrit le scénario, j'ai pensé L'Artiste et son modèle en noir et blanc. Je me l'explique tout d'abord par la fascination absolue qu'ont exercé sur moi, tout au long de mon enfance, les photos des ateliers d'artistes que je consultais, que ce soit celui de Giacometti, de Picasso ou de Matisse, et dans lesquels j'ai souhaité situer l'histoire. Par ailleurs, le film se déroule dans les années 1940, une époque que je connais à travers son cinéma ! C'est d'ailleurs l'un des cinémas que j'affectionne le plus. C'est notamment la période où Jean Renoir a créé ses œuvres majeures dont Partie de campagne, Toni, ou La Règle du jeu, qui ont jalonné mon existence. Pour ces deux raisons, il m'était impossible de concevoir L'Artiste et son modèle autrement qu'en noir et blanc.

Ce récit est doté d'une portée universelle : pourquoi la Seconde Guerre mondiale en France ?

Un tel contexte m'a permis de mieux expliquer le regard désespéré que porte le personnage principal sur la vie. Il est vrai que j'aurais pu raconter son histoire à n'importe quel autre moment, mais il n'existe à mes yeux aucune autre période aussi tragique que celle-ci. C'est une époque d'autant plus noire que l'artiste a vécu, à l'image de Picasso, non pas un, mais deux conflits mondiaux. Quant à la France... Le Sud est doté pour moi d'une résonance particulière et c'est aussi un lieu stratégique pour l'art moderne. C'est là où se sont croisés de grands artistes comme Picasso, Maillol ou Matisse : il s'agit d'un des laboratoires du cubisme et, de ce point de vue, il me semblait logique d'y tourner le film.

Les acteurs de L'Artiste et son modèle, et notamment Jean Rochefort, sont exceptionnels.

J'ai en effet eu beaucoup de chance : Jean Rochefort, Claudia Cardinale et Aida Folch sont les trois comédiens auxquels j'ai immédiatement pensé pour incarner les différents personnages du film. Jean Rochefort avait toutes les qualités nécessaires pour interpréter le personnage principal : il sait alterner des passages très humains, fragiles et tendres, ainsi que des moments plus ironiques, et mélange à la fois force et gravité, autant de traits de caractère que réunissait en lui Marc Cros.

Et Aida Folch était le modèle rêvé...el artista y la modelo 2

Je voulais que mon modèle ait à la fois ce côté sauvage, issu d'une expérience difficile dans les camps, et soit un personnage d'action, impliqué dans la résistance. Mais l'apparence physique était également essentielle : je ne voulais pas d'un corps de mannequin comme ceux que l'on voit de nos jours. J'avais besoin d'une comédienne crédible, taillée comme les modèles des artistes de l'époque. En plus des qualités morales, Aida avait aussi le physique adéquat : du reste, dès que nous avons écrit le scénario, Jean-Claude Carrière et moi-même, c'est Aida que nous avons eu en tête pour jouer Mercè.

Comment se sont déroulées les scènes de nu ?

Pendant deux semaines, Aida a participé à des séances préalables, nécessaires aux artistes qui ont réalisé toutes les sculptures, les dessins et autres peintures que l'on voit dans le film. Cela lui a permis de se familiariser avec le métier de modèle dont on sait qu'il s'agit d'une activité dure d'un point de vue physique. Dès le début du tournage, elle avait déjà acquis toute l'expérience nécessaire à ces scènes de pose. Le tout s'est parfaitement déroulé, notamment grâce au naturel d'Aida, qui a séduit l'ensemble de l'équipe.

L'avenir

Quels sont vos prochains projets ?

Je travaille actuellement à l'écriture d'un scénario qui serait comme une deuxième partie à La Niña de tus ojos, au cours duquel les personnages se réunissent dix-huit plus tard après le premier volet. En parallèle, je réfléchis également à la réalisation d'un documentaire sur les classiques du cinéma latino.

Julie Thoin-Bousquié

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