Portraits

Javier Bardem ou la consécration d’un talent pur

Retour sur la carrière d’un acteur devenu star hollywodienne grâce à son talent et à son mariage avec l’actrice Penélope Cruz.
Javier Bardem
Javier Bardem a reçu cette année l’une des plus hautes distinctions qu’un acteur puisse recevoir. Il s’est vu décerner le Prix d’Interprétation Masculine au Festival de Cannes pour son jeu dans le film Biutiful, du réalisateur mexicain Alejandro González Iñárritu. Cette consécration a vite été éclipsée par une information plus "people" touchant à son mariage avec l’autre star espagnole, Penélope Cruz. Mais remontons quelques années en arrière afin de mieux cerner l’aura de ce "sexy latin lover", comme aiment à le surnommer certains fans anglo-saxons.

Issu d’une lignée d’artistes, Javier Bardem (1969) est le neveu du réalisateur (opposant à la dictature) Juan Antonio Bardem, celui-là même qui donna naissance aux côtés de Luis García Berlanga au sublime Esa pareja feliz (1951), ou bien encore au dramatique et cruel Calle mayor (1956, Betsy Blair). Fils de la comédienne Pilar Bardem, cet ancien rugbyman et élève au Lycée Français de Madrid, résidant dans le quartier cossu du Retiro, n'entre néanmoins pas dans la catégorie des "fils de".

Alors qu’il songe à une carrière dans le sport de haut niveau, un accident vient contrarier ses plans. Passionné de peinture, il complète sa palette polymorphe à l’Escuela de Arte de Madrid et alterne les figurations. Le réalisateur Bigas Luna lui offre sa première chance (Les vies de Loulou, 1990), mais il lui faudra attendre deux années pour que Jamón jamón (déjà aux côtés de Penélope Cruz, couple à l’écran) démontre son sens du jeu dans un rôle de macho ibérique où le thème de la braguette constitue la métaphore du long-métrage. Cette interprétation convaincante débouchera sur un succès et une opportunité : le Goya du meilleur acteur pour Boca a boca (Bouche à bouche, 1995) et sa collaboration avec Almodóvar dans Carne trémula (En chair et en os, 1997), où il joue avec brio un flic paralysé après un accident de service.

Par l’intermédiaire d’Antonio Banderas, il vient chercher fortune à Hollywood tout en conservant des liens étroits avec l’Espagne. Julian Schnabel lui permet d’exprimer une nouvelle fois son agilité à entrer dans la peau des personnages avec l’adaptation du roman autobiographique de l’écrivain cubain Reinaldo Arenas, Antes que anochezca (Avant la nuit, 2001), film dans lequel il redonne vie aux dernières années de l’homosexuel dissident (première nomination aux Oscars). Il poursuit ensuite les rôles engagés. En 2005, il touche à un sujet tabou avec le bouleversant Mar adentro d’Alejandro Amenábar. Il est question de Ramón Sampedro, tétraplégique, qui a revendiqué jusqu’à la fin de sa vie le droit de mourir dignement et la liberté d’euthanasie.

Les projets fusent. Maintenant Javier Bardem reçoit des propositions régulières du marché américain : The Dancer upstairs (2002, John Malkovich) et Collateral (2004, Michael Mann), mais aussi Les Fantômes de Goya (2007, Milos Forman) ou des projets plus ambitieux comme L'amour aux temps du choléra (2008, Mike Newell, adaptation du roman de Gabriel García Márquez). Vicky Cristina Barcelona (2008, Woody Allen) a marqué les esprits. Dans ce film, il fait forte impression malgré le regard folklorique que propose le réalisateur de l’Espagne. Peu avant cela, les frères Coen le choisissent pour incarner un effroyable tueur dans No Country for old men (2007, Oscar du meilleur second rôle et Golden Globe). Une expérience rêvée pour tout acteur. Personnage intrigant et inquiétant, dégaine entre rire et effroi, prestation renversante. Javier Bardem accepte de casser son image de beau gosse en la ternissant. Un seul mot pour cela : c’est l’apanage d’un grand acteur!

Conscient de la part de représentation de son métier, il déclarait avec humour en 2007 à la revue espagnole Fotogramas : « Les gens aiment critiquer et, même si je fais partie de cette culture, je sais parfaitement qu’ici personne ne se vend, parce que nous sommes tous des putes. Si nous sommes acteurs, nous sommes des putes, avec tout le respect et l’admiration que j’ai pour les putes. Nous allons tous vers celui qui paie le plus… ».

Cette manière d’appréhender l’existence et son propre univers sont autant de points attachants chez cet acteur aujourd’hui tout en haut de l’affiche.

Esteban Dormoy

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Filmographie
 
Biutiful, de Alejandro González Iñárritu (2010)
Mange, prie, aime, de Ryan Murphy (2010)
Vicky Cristina Barcelona, de Woody Allen (2008)
L'Amour aux temps du choléra, de Mike Newell (2008)
No country for old men, de Joel et Ethan Coen (2007)
Les fantômes de Goya, de Milos Forman (2007)
Mar adentro, de Alejandro Amenábar (2005)
Collateral, de Michael Mann (2004)
Les lundis au soleil, de Fernando León de Aranoa (2003)
Entre les jambes, de Manuel Gómez Pereira (2003)
The dancer upstairs, de John Malkovich (2002)
Avant la nuit, de Julian Schnabel (2001)
Sans nouvelles de Dieu, d'Agustín Díaz Yanes (2001)
Torrente, de Santiago Segura (1998)
En chair et en os, de Pedro Almodóvar (1997)
Perdita Durango, de Álex de la Iglesia (1997)
Éxtasis, de Mariano Barroso (1997)
Airbag, de Juanma Bajo Ulloa (1997)
Más que amor, frenesí, de Miguel Bardem (1996)
L'amour nuit gravement à la santé, de Manuel Gómez Pereira (1996)
Bouche à bouche, de Manuel Gómez Pereira (1995)
Macho, de Bigas Luna (1994)
La lune et le téton, de Bigas Luna (1994)
El detective y la muerte, de Gonzalo Suárez (1994)
Días contados, d'Imanol Uribe (1994)
El Amante bilingüe, de Vicente Aranda (1993)
Jambon, jambon, de Bigas Luna (1992)
Talons aiguilles, de Pedro Almodóvar (1991)
Les vies de Loulou, de Bigas Luna (1990)
 

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