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Semaine du cinéma hispanique de Clermont-Ferrand : Cosas imposibles

Pour son cinquième film, Ernesto Contreras, réalisateur du très remarqué Sueño en otro idioma (2017), nous livre un long-métrage simple, sans artifice mais rempli d’humanité. Et cela fait un bien fou ! Malgré la thématique présente de la violence conjugale, tristement toujours d’actualité, ou encore de la pauvreté ou de la drogue, le réalisateur nous entraîne aussi vers un tout autre registre en nous faisant rire. Cette rencontre improbable entre deux âmes seules, que tout semble opposer, se révèle à la fois tendre, explosive et clairement optimiste.

Affiche

Le film débute par une alternance de scènes nous montrant le quotidien de Matilde, veuve de 60 ans, et celui de Miguel, jeune homme de 19 ans. Nous attendons alors avec impatience le moment où les deux vont enfin se rencontrer. Mais se rencontrer vraiment car se croiser, ils le font depuis des années mais sans jamais s’adresser la parole.

Tous les deux mènent une vie solitaire. Matilde qui vit seule (avec son chat Fidel !) depuis la mort de son mari ne l’est pas tout à fait puisque son mari, Porfirio, continue de la hanter. Elle essaye de se défaire de ses visions et cela l’entraînera parfois dans des situations cocasses. Quand elle perd la pension de son mari, la vie se fait plus difficile et elle n’a pas d’autre choix que de trouver un emploi pour essayer de s’en sortir. C’est donc lorsque Miguel remarque que quelque chose ne va pas dans le quotidien de Matilde qu’il décide de lui apporter son aide.

Et c’est ainsi que ces deux âmes en peine vont se rapprocher. Tous les deux gardent des secrets que l’on découvrira au fur et à mesure du film. Certains seront confessés, d’autres nous seront dévoilés uniquement à nous, spectateurs et spectatrices. La force du film réside justement dans les dialogues, les regards et cette complicité qui naît entre les deux personnages. Le réalisateur arrive à nous entraîner dans différents registres des émotions en nous faisant passer de l’émotion au rire, comme avec cette très belle scène à l’aéroport suivie d’une première expérience de marijuana (plutôt réussie) pour Matilde !

 

“¿Lo ha probabo? Hoy es el día doña.”

 

Ils savent que leur relation d’amitié est atypique, voire presque improbable. Certaines personnes en riront, d’autres feront des allusions douteuses mais qu’importe. Cela ne les atteint même pas. Le plus important est la sincérité de cette relation et comme le dira la chanson El despertar de Marco Antonio Muñiz qui accompagne la bande son du film : “Sentir le jour se lever / avec une immense clarté / laisser derrière soi le gris / pour découvrir la vérité / pouvoir vivre la réalité / sans hier et sans les qu’en dira-t-on.” Et si cette relation est si belle c’est parce qu’elle est justement pure et sincère.

Le film évoque aussi des sujets actuels de société. Tout d’abord la violence conjugale qui apparaît à travers les hallucinations de Matilde avec son mari qui continue de la maltraiter avec ses paroles. On comprend tout de suite quel était le quotidien de cette femme et à quel point elle vivait une vie triste et effacée avec un mari, fan de baseball, qui passait son temps devant la télé à la rabaisser constamment. La violence est traitée du point de vue de la victime, il n’y a donc aucun jugement et c’est justement ce qui fait la force de la réalisation : nous amener à comprendre à travers des flashbacks et des hallucinations, la difficulté qui est celle de se défaire d’une telle emprise psychologique.

Autre thème présent dans Cosas imposibles, comme ce fut le cas aussi pour son précédent long-métrage Sueño en otro idioma : l’homosexualité. Le sujet est abordé seulement en toile de fond mais cela est suffisant pour délivrer un message d'ouverture et de tolérance. Un personnage est homosexuel ? Très bien. On le sait mais tout ne tourne pas autour de cette information. Le trait n’est absolument pas forcé. Ernesto Contreras banalise juste ce qui est censé l’être. Seuls comptent les sentiments des personnages, l’affection, la bienveillance et l’amitié que ces derniers se témoignent. Peu importe le reste, chacun.e mène sa propre vie, sans jugement.

La photographie est également un gros point fort de ce film. Notamment, les nombreux plans sur le terrain de sport au pied de l’immeuble de couleur mauve : lieu de passage ou même de rencontres entre nos deux protagonistes. A travers ces plans, on voit tout de suite la différence entre l’immense espace extérieur où Miguel passe le plus clair de son temps et les plans sur la fenêtre de chez Matilde où elle vit le plus souvent enfermée (du moins au début du film). Un double enfermement même : l’appartement et les hallucinations. Et malgré tout, les deux étouffent. Même l’espace extérieur dans lequel évolue Miguel n’est pas suffisant, ce n’est qu’une façade, lui aussi rêve de s’envoler.

Une histoire réaliste, des premiers et seconds rôles bien campés et un regard sociétal magistralement mis en scène par le réalisateur font de Cosas imposibles un très beau film optimiste comme on voudrait tant en voir. On en ressort la larme à l'œil et avec une envie de croquer la vie à pleines dents. Le voir c’est l’adorer !


Film vu le 3 décembre 2021 avec l’association de la semaine du cinéma hispanique de Clermont-Ferrand, qui propose diverses projections tout au long de l’année.

Agathe Ripoche

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