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Tout sur ma mère, En chair et en os... de nombreux films de Pedro Almodóvar empruntent tout ou partie de leur récit à des œuvres littéraires. Mais le réalisateur espagnol ne peut s'empêcher de transformer les ouvrages dont il s'inspire pour les plonger dans son univers foisonnant. La Piel que habito, adaptation du livre de Thierry Jonquet Mygale, qu'Almodóvar présentera dans quelques jours au festival de Cannes, n'échappera pas à cette règle.

La Piel que habito
Le cinéma de Pedro Almodóvar est marqué par de nombreuses influences artistiques qui, bien loin d’être reléguées au second plan, participent activement à la construction de l’intrigue et s’intègrent naturellement aux scénarios de ses films. Déjà en 1983, Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça?prenait un ton néo-réaliste, rappelant les films de Scola, Pasolini ou Visconti. Ces influences ont fait du cinéma de Pedro Almodóvar un cinéma unique en son genre. Précisons néanmoins que si les références ne manquent pas chez Pedro Almodóvar, celles-ci n’occupent pas toujours la même fonction.

Filtre artistique

La référence peut prendre plusieurs formes, allant de la simple citation, en passant par l’hommage et l’adaptation (peut-être le terme de réécriture serait-il plus approprié). Ainsi, Tout sur ma mère (1999) doit beaucoup à la pièce de Tennessee Williams, Un tramway nommé désir, qui constitue un élément à part entière du scénario. On peut ainsi recenser dans le film cinq occurrences explicites, auxquelles viennent s’ajouter plusieurs allusions et proximités thématiques. De même pour En chair et en os (1997) qui est une adaptation du roman de Ruth Rendell Live Flesh (L’homme à la tortue). L’argument principal du film d’Almodóvar et du roman de Rendell est sensiblement le même. Dans les deux cas, Victor, après avoir passé dix ans en prison pour avoir ouvert le feu sur un policier, revient dans la vie de cet homme aujourd’hui paraplégique. Les similitudes s’arrêtent cependant ici, car comme à son habitude Pedro Almodóvar ne peut s’empêcher d’entraîner l’œuvre source dans son propre univers. Tout laisse donc à penser que La Piel que habito, adapté du roman de Thierry Jonquet Mygale, passera lui aussi par le filtre artistique du réalisateur.

Adaptation ou réécriture?

Dans ce roman, le docteur Robert Lafargue, chirurgien esthétique, séquestre la personne qui a violé sa fille. Pour se venger, il met en place un plan machiavélique qui consiste à transformer l'agresseur en femme à coup d'opérations et d'injection d'hormones. Robert oblige alors cette personne à se prostituer sous son regard. La comparaison entre le résumé du livre de Jonquet et le synopsis de La Piel que habito révèle les premières modifications dues à l’adaptation. On apprend que le film de Pedro Almodóvar raconte l’histoire d’un chirurgien, Robert Ledgard, qui désespéré après la mort de sa femme, carbonisée dans un accident de voiture, met au point une nouvelle peau pouvant résister à toutes les agressions extérieures. Pour y parvenir, il lui faut cependant des femmes cobayes...

On se rend compte à cette lecture que le film de Pedro Almodóvar, bien qu’adapté du roman de Jonquet, va très rapidement prendre son indépendance. La lecture du synopsis laisse également entrevoir la possible influence du réalisateur français Georges Franju et du film Les yeux sans visage (1960), qu’affectionne particulièrement Almodóvar. Ce dernier film relate les expériences du docteur Génessier, célèbre chirurgien esthétique, qui souhaite greffer un visage à sa fille, défigurée dans un accident de voiture dont il est responsable. Il a installé un laboratoire dans sa propriété, où son assistante dévouée attire des jeunes filles. Il apparaît assez clairement que le film La Piel que habito va se trouver au carrefour des influences de Jonquet et de Franju, tant les récits semblent s’entrecroiser. La nécessité de nuancer l’utilisation du terme d’adaptation et même de lui préférer ici celui de réécriture semble être une évidence.

Le mélange des genres

Lors d’une adaptation se pose la question du genre. L’œuvre d’arrivée peut-elle être classée dans la même catégorie générique que l’œuvre adaptée? Le réalisateur madrilène est réputé pour mélanger les genres dans ses films. Il n’est pas rare que ceux-ci passent en quelques secondes du drame à la comédie, du mélodrame au film policier… Antonio Banderas a d’ailleurs déclaré récemment que « Pedro Almodóvar est un genre à lui tout seul ». Il est fort probable que cette particularité du cinéma de Pedro Almodóvar, considérée par certains spécialistes comme l’une de ses marques de fabrique, soit au rendez-vous avec La Piel que habito. Le réalisateur déclarait lui-même avoir « l’habitude de mélanger les genres et lorsqu’il y en a un qui domine, de ne pas respecter toutes les règles qu’il suppose », en ajoutant que son prochain film serait un « drame intense qui tend parfois vers le film noir, parfois vers la science-fiction et parfois vers le film d’horreur ». Le roman de Thierry Jonquet, un thriller très noir, semble tout à fait se prêter à l’exercice. Ses personnages sont loin d’être dénués de sentiments et d’émotions, ceux-ci ne demandant qu’à être explorés et exploités par le cinéaste.

S’il est difficile aujourd'hui de pousser plus loin la comparaison entre le roman de Thierry Jonquet et le film de Pedro Almodóvar, la presse espagnole tient le public en haleine avec pas moins d’une dizaine d’articles publiés chaque jour et révélant tout à tour le casting (Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes, Jan Cornet…), l’affiche promotionnelle, les premiers photogrammes, le synopsis détaillé… Depuis l’annonce de la sélection officielle de Cannes 2011, les pronostics vont bon train : La piel que habito sera-t-il le film de la Palme d’Or pour Almodóvar ? Le mystère bien entretenu et soigneusement maîtrisé autour du film sera-t-il à la hauteur des espérances des festivaliers ?

Thomas Tertois

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