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Hammudi Al-Rahmoun Font - Otel.lo

C'est vrai que la crise existe, mais ni les gens que je fréquente, ni moi-même, ne sommes vraiment affectés. 
Otel.lo nous plonge dans le quotidien du tournage de la célèbre pièce de Skakespeare, dirigée par un réalisateur sans scrupules et prêt à tout pour obtenir le meilleur de ses acteurs, jusqu'à outrepasser les limites de la décence. Ce réalisateur, c'est Hammudi Al-Rahmoun Font, qui, en jouant son propre rôle, brouille la limite entre réel et fiction. Un film plein d'humour noir et de confusion qui a séduit le jury étudiant et obtenu le prix du Meilleur premier film au festival Cinespaña. Décryptage avec Hammudi Al-Rahmoun Font, à la fois acteur et réalisateur.
Hammudi Al-Rahmoun Font

Vous avez écrit le titre Otel.lo à la manière catalane et le film est tourné en catalan : pourquoi ce choix ?

Hammudi Al-Rahmoun Font : Oui, en effet, les deux "l" avec un point correspondent à une lettre catalane. Il n'y avait pas vraiment une intention derrière. On parlait tous catalan, donc tourner dans cette langue s'est fait naturellement. Après, je pense que c'est aussi important de continuer à réaliser des films en catalan pour montrer notre attachement à cette langue et à notre culture !

Pourquoi avez-vous choisi de traiter de l'oeuvre Othello de Shakespeare et non pas d'une autre pièce de théâtre ?

J'ai choisi Othello car je voulais parler de la jalousie et cette oeuvre m'inspirait particulièrement. Parler de jalousie en partant d'une feuille blanche était quelque chose qui me paraissait difficile. A partir de cette histoire, j'ai pu dériver sur la question de la manipulation des acteurs.

Avez-vous déjà été confronté à une situation de manipulation d'acteurs par un réalisateur ?

Je n'ai jamais vécu ce qu'il y a dans le film, mais je me suis rendu compte des rôles qu'il y a dans un tournage : la position de l'acteur vulnérable, qui commence à se déshabiller par exemple, face à un réalisateur qui profite du fait de diriger une équipe. J'ai voulu montrer la partie la plus obscure de ce sujet. Quand j'étais encore à l'école d'audiovisuel, j'ai fait mon premier casting avec une personne plus âgée que moi. Il s'est assis devant moi, sa voix tremblait et c'est à ce moment là que je me suis dit : « J'ai 22 ans et c'est fou le pouvoir que j'ai, je peux le détruire, je peux l'humilier si je veux ». Il y a une vulnérabilité réelle de l'acteur. On m'a aussi raconté des histoires de réalisateurs vraiment horribles et d'actrices qui se suicident à la fin d'un tournage. Je ne sais pas jusqu'où va la réalité, mais ce qui est sûr, c'est qu'un pouvoir existe. Par exemple, il paraît que Woody Allen fait mettre à ses actrices des chaussures avec deux pointures en moins pour qu'elles soient énervées.

Vous parlez justement de ces réalisateurs qui abusent des acteurs, est-ce que vous avez entendu parler des controverses par rapport au film La vie d'Adèle de Abdelatif Kechiche, qui a gagné la Palme d'or à Cannes. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Je ne ferai pas de jugement parce que c'est difficile de savoir ce qui ce passe réellement sur un tournage si on ne l'a pas vécu. Ce sont des choses qui existent car dans toute relation de pouvoir il est facile de dépasser les limites que nous impose notre éthique (tu avais écrit les limites qui ne sont pas éthiques, mais je ne trouve pas ça très clair. Voilà une idée, mais il y a forcément mieux !). Pour moi, chacun doit trouver sa propre éthique dans son travail et marquer certaines règles dès le départ. Je pense qu'il y a quand même une part de marketing dans cette histoire. Mais qui suis-je pour juger ?


otel.lo1A la fin du film, le spectateur ne peut s'empêcher de détester votre personnage ; pourquoi avez-vous décidé de jouer votre propre rôle de réalisateur dans le film ?

Je ne veux pas qu'on me déteste ! En fait, je voulais prendre un acteur au départ, mais j'avoue que l'idée d'être acteur m'avait toujours fait un peu rêver. Je me suis donc donné l'occasion de l'être pendant mon propre film. La deuxième raison, c'est que je n'avais pas écrit un scénario bien défini et je trouvais un peu absurde de dire à l'acteur de faire ceci ou cela alors que ce n'était pas clairement écrit sur le papier. J'ai pensé aussi, à un moment, jouer mon propre rôle, mais toujours derrière la caméra avec ma voix en off, mais comme j'avais le rôle du méchant, je me suis dit que c'était plus intéressant si on pouvait me voir !

Et alors, vous avez aimé endosser le rôle d'acteur ?

Je me suis vraiment bien amusé. Il y a une certaine intensité qu'on ne retrouve pas quand on réalise. Je préfère quand même réaliser parce que c'est ce que je fais de mieux. D'ailleurs, je suis le pire acteur du film ! Je pense que pour la suite, apparaître dans mes films, en montant dans un bus, en faisant le serveur ou des petits rôles, ça me plairait. Faire des caméos en quelque sorte, comme beaucoup de grands réalisateurs le font. Moi, j'ai commencé à l'envers, je me suis donné le rôle le plus important et ensuite je ferai quelques apparitions !

Le film commence presque comme un documentaire sur le tournage de Othello et rapidement la frontière entre ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas devient trouble. Que vouliez-vous faire ressentir aux gens à travers cette fiction aux allures de documentaire ?

J'adore le genre du faux documentaire et j'en faisais déjà dans des courts-métrages. Je pense que lorsque tu sais que quelque chose est réel, tu le vis d'une manière différente. Si je te montre la vidéo d'un meurtre par exemple et que je te dis que c'est vrai, tu vas la vivre d'une manière plus intense, et peut-être même que tu vas y croire. Mais si je te dis que c'est une fiction, la sensation est moins puissante. C'est un peu comme quand on dit aux informations : "Attention, les prochaines images peuvent choquer les âmes sensibles", tu es beaucoup plus perméable à ce que cela te choque ou t'impacte. J'aime jouer avec le spectateur !

Justement, cette confusion entre fiction et documentaire est également accentuée grâce à la magnifique interprétation des acteurs. Comment les avez-vous choisis ?

Tout d'abord, ce ne sont pas des professionnels. Youssef, celui qui fait Othello, n'avait jamais joué dans un film, Kike faisait des figurations dans des séries télévisées et Anne avait fait quelques courts-métrages amateurs. L'idée était donc de trouver des acteurs novices parce qu'ils sont inconnus. S'ils avaient été connus, l'effet documentaire-fiction aurait moins fonctionné. En plus, comme le film parle de la façon dont un réalisateur manipule ses acteurs, les codes à adopter auraient été différents s'ils avaient été professionnels. On a alors fait un casting face caméra, à la suite duquel nous avons sélectionné deux personnes qui ont ensuite rejoué le casting qu'on voit au début du film.

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Il paraît que vous avez tourné le film en trois jours et avec très peu de moyens, comment est-ce possible ?

En fait, lorsque j'ai expliqué le scénario au producteur, il m'a répondu : « J'y comprends rien, le casting, la réalité, la fiction... comment tu veux que je fasse pour trouver des fonds avec un tel scénario ? ». Du coup, il m'a proposé de me donner un peu d'argent pour tourner quelques morceaux, environ 25 minutes, pour les envoyer ensuite et demander des fonds pour finir le film. Avec le directeur de photographie, qui est un de mes amis, on s'est dit qu'il fallait profiter de cet argent et faire le maximum du film. En trois jours, on a sorti 30 heures de film et après deux mois de montage, je me suis rendu compte que j'avais déjà un film et que je n'avais pas besoin de plus !

Vous êtes un jeune réalisateur et on parle beaucoup de crise du cinéma en Espagne, comment la vivez-vous ?

En ce qui me concerne, les deux dernières années ont été les meilleures de ma vie professionnelle. Je peux comprendre que ceux qui faisaient des films tous les deux ans et avaient beaucoup de fonds ont mal vécu la crise, mais comme je n'avais pas de subventions avant, ça n'a pas changé grand-chose pour moi ! C'est vrai que la crise existe, mais ni les gens que je fréquente, ni moi-même, ne sommes vraiment affectés. Comme on n'était pas dans le circuit avant, nous ne pouvions pas vraiment tomber de haut, en quelque sorte !

Quels sont vos futurs projets ?

J'ai un projet que j'avais commencé avant Otel.lo sur le Pays basque. C'est un peu compliqué de trouver des fonds parce que c'est un film un peu plus grand qui aurait besoin d'une coproduction. J'ai un autre projet aussi sur des adolescents, que j'aimerais bien faire aussi avec des acteurs non professionnels.

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