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José F. Ortuño, Aïda Ballmann et Ken Appledorn - The extraordinary tale (of the time table)

On voit le mariage, la naissance comme quelque chose de merveilleux, une bénédiction, mais ce n'est pas toujours le cas. 
En compétition dans la section Premier Film au festival Cinespaña, The extraordinary tale (of the time table) met en scène l'évolution d'un couple, mais pas n'importe lequel. Deux "cas sociaux" qui se retrouvent confrontés à la difficulté de devenir parents. Cinespagne.com a rencontré José F.Ortuño, l'un des réalisateurs, ainsi que les deux acteurs, Aïda Ballmann et Ken Appledorn.
©Anaïs Chatellier
The extraordinary tale est réalisé en anglais: pourquoi ce choix ? Est-ce pour faciliter sa diffusion ou parce qu'il s'agit d'une histoire universelle ?

José F. Ortuño: En effet, c'est un conte de fées qui n'est pas situé dans un lieu précis et les personnages n'ont pas de nom. Nous avons voulu rendre ce film le plus universel possible : au moment de choisir la langue, c'était l'anglais qui paraissait le plus logique.

C'est aussi pour cette raison que vous avez choisi Ken et Aïda comme acteurs ?

José F. Ortuño : Oui. Ce sont de merveilleux acteurs qui avaient le niveau d'anglais requis. Ken est originaire du Michigan et on le connaissait déjà car il est assez populaire à Séville. Par contre, on ne connaissait pas Aïda. Nous avons cherché pendant longtemps une actrice et en lançant un casting international, nous avons reçu des centaines de vidéos. L'une nous a particulièrement plu, celle d'une fille avec un petit accent allemand. On a commencé à se demander combien ça nous coûterait de la faire venir d'Allemagne pour qu'elle fasse ses preuves... Mais il se trouve qu'elle vivait à Séville, juste à côté de chez nous !

Aïda et Ken, pourquoi êtes-vous venus en Espagne ?

Aïda Ballmann : Je suis née aux îles Canaries. A 18 ans, je suis sortie de ma petite île pour découvrir le monde. J'ai ensuite pris des cours d'art dramatique à Gijon et à Séville. Mes parents sont allemands et je suis bilingue.

Ken Appledorn : J'ai fait un échange étudiant Erasmus il y a quelques années et j'ai beaucoup aimé Séville et l'Espagne. Ce qui est bien à Séville, c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'Américains ou de personnes qui parlent anglais, donc j'ai eu quelques rôles dans des courts-métrages, où j'ai d'ailleurs rencontré Laura Alvea, la réalisatrice et femme de José.

José F.Otuno ©Anaïs ChatellierJosé, comment s'est déroulée cette coréalisation avec Laura Alvea ?

José F. Ortuño : Cela fait déjà quinze ans que nous travaillons ensemble. Nos goûts sont assez similaires : travailler ensemble est un vrai plaisir. On se répartit bien les rôles : je suis plus collé à la caméra tandis que Laura s'occupe davantage des costumes et du maquillage. Nous sommes très complémentaires !

Ken Appledorm : C'était vraiment génial parce qu'il donnait une indication et elle ajoutait son idée par dessus. En plus, il n'y avait jamais de problèmes ou de tensions.

Aïda Ballmann : Leurs deux orientations m'ont beaucoup aidée à cerner encore mieux le personnage.

A ce propos, comment vous êtes-vous entraînés pour jouer votre personnage ? Aïda par exemple, votre personnage est quasiment muet et mise beaucoup sur les expressions du visage...

Aïda Ballmann : Après la lecture du scénario, ils m'ont demandé d'écrire tous les verbes correspondant aux actions physiques du personnage et je devais ensuite les mimer. Plus on le refaisait, plus le personnage s'améliorait. Je pratiquais aussi chez moi car étant très expressif, le personnage devait faire des gestes clairs, sinon on ne comprenait pas.

Ken Appledorn : Comme mon personnage entre dans l'univers d'Aïda et ne sait pas vraiment ce qui l'attend, je ne voulais pas connaître tout ce qui allait se passer. Donc je m'entraînais mais je voulais aussi réagir au moment voulu pour que ce soit plus spontané.

José F. Ortuño  : On voulait vraiment montrer que les deux personnages sont très différents. Ils avaient chacun leurs techniques de travail, ce qui se voit également dans l'interprétation. Et au sein de l'histoire du film, ils n'ont pas non plus les mêmes objectifs : elle est rêveuse, folle, et lui est plus réaliste, il a quand même un petit côté spécial mais c'est lui qui dit qu'il faut travailler.

The extraordinary tale (of the time table)Le personnage d'Aïda vit très mal son rôle de mère. Quel message avez-vous voulu faire passer ?  Que c'est difficile d'être mère ?

José F. Ortuño : En fait, on voit le mariage, la naissance comme quelque chose de merveilleux, une bénédiction, mais ce n'est pas toujours le cas. Et à partir d'un certain âge, la trentaine surtout, comme moi, tout le monde commence à avoir des enfants et à en parler. Je me suis dit qu'on racontait peu souvent la partie la plus dure, négative d'avoir un enfant. On est dans un conte, donc nous avons voulu pousser cette idée à l'extrême.

Au sujet de la référence aux services sociaux, était-ce une manière de dire que tout le monde ne devrait pas être parents, ou alors devrait attendre d'être vraiment prêt ?

José F. Ortuño : Dans le film, c'est dit très rapidement : pour conduire par exemple, il faut passer un examen. Mais pour avoir un enfant, il n'y a pas d'examen, alors que c'est l'une des responsabilités les plus grandes. C'est un sujet qui me préoccupe car on en voit les résultats, de mauvais parents, des enfants abandonnés, assassinés... Il faut une certaine maturité que tout le monde n'a pas pour devenir parent.

Ce qui est aussi caractéristique de The extraordinary tale, c'est l'ambiance, les couleurs et la manière dont est filmé le film. Il y a un petit air de Moonrise Kingdom de Wes Anderson ou d'Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet. Quelles ont été vos inspirations ?

José F. Ortuño : C'est marrant parce que le film d'Anderson, on ne l'a vu qu'après le tournage ! Mais il doit y avoir quand même une influence parce j'adore les films de Wes Anderson. Pour Amélie, beaucoup de personnes nous ont déjà fait la remarque, mais on n'en a pas parlé une seule fois pendant le tournage ! En revanche, Delicatessen nous a inspiré. La plus grande influence sur l'histoire a cependant été La métamorphose de Kafka.

The extraordinary tale (of the time table)Vous vous êtes également inspirés de photographes comme Jan Sandeck et  Max Sauco...

Jose F. Ortuño : Oui, surtout dans les formes, l'atmosphère qu'il existe dans leurs photographies. C'était aussi une manière d'aider le directeur de la photographie en lui disant, au lieu de regarder tel film, de se concentrer sur telle photo.

Pourquoi avoir choisi un décor unique, celui de sa maison ? Pour accentuer le fait qu'elle vit dans son propre univers ?

José F. Ortuño : En fait, on n'avait pas assez d'argent pour sortir de cette maison ! La première raison est donc budgétaire, mais ce décor unique nous sert aussi de métaphore : c'est une femme enfermée dans son monde, incapable d'en sortir.

Aïda Ballmann : Sa seule connexion avec le monde extérieur, ce sont les lettres qu'elle envoie, parce qu'elle a quand même besoin de communiquer avec les autres. 

Vous êtes un peu comme de grands enfants dans le film : comment vous êtes-vous sentis en jouant des scènes où vous dansez, où vous vous embrassez avec de grandes moustaches de chocolat ?

Ken Appledorn : Sur ces moments-là, il y a eu beaucoup d'improvisation et on a beaucoup ri.

Aïda Ballmann : Je l'ai vécu un peu comme un jeu, surtout quand je le voyais avec toutes ses moustaches en chocolat, je n'arrivais pas continuer sans éclater de rire. Cela me rappelait aussi un peu mon enfance, le fait de seulement être là et de s'amuser, sans aucune prétention. On s'est très bien entendu aussi l'un et l'autre et cela aide beaucoup.

Le film a été produit par votre propre société de production, Anchor Films, pourquoi ce choix ?

José F. Ortuño : Avec Laura, ça fait longtemps que l'on travaille. On fait difficilement tout ce que l'on veut sur un tournage, c'est pour cela que nous avons créé Anchor Films. Le but était de pouvoir faire des projets vraiment personnels. Anchor Films nous permet ainsi de changer un peu notre quotidien car, par exemple, lorsque je dois faire des documentaires pour la télévision, je dois respecter un certain nombre de règles qui me sont imposées pour qu'ils puissent plaire au grand public. On a vraiment réalisé The extraordinary tale sans pression, sans dépendre de quelqu'un, d'un producteur.

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