Interviews

Luc Béraud - Palmarès Cinespaña 2007

La Caja est un film délicieusement hispanique, Ficción un bonheur total. 
Luc Béraud, scénariste et réalisateur, était l'un des membres du jury professionnel de la douzième édition de Cinespaña, qui a décerné la Violette d'or du meilleur film à La Caja de Juan Carlos Falcón. Il revient sur ce choix et sur les autres récompenses.
Affiche de Cinespaña 2007
Quelle connaissance avez-vous du cinéma espagnol en dehors des grands noms type Almodovar, Saura ou Erice?

J'ai connu la pleine gloire du cinéma espagnol des années 70 avec Carlos Saura, Victor Erice, Elias Querejeta, Jaime Camino... J'étais à cette époque membre, et même président, de la Société des Réalisateurs de Films. Nous organisions régulièrement des rencontres avec des cinématographies étrangères, dont la cinématographie espagnole. J'ai donc été amené à rencontrer ces cinéastes. Puis, petit à petit, la cinéphilie fonctionnant par vagues successives, le cinéma espagnol a progressivement disparu. Il faut dire aussi que la créativité de ces réalisateurs s'est tarie avec la mort de Franco. Une personne comme Carlos Saura a pris un tournant esthétisant qui n'avait plus rien à voir avec son cinéma du non-dit et de la métaphore.

Lors de la soirée de clôture, deux films, La Caja de Juan Carlos Falcón et Ficción de Cesc Gay, se sont détachés du lot. Le premier a reçu le prix du meilleur film et de la meilleure musique, tandis que le second recevait un prix pour le meilleur scénario.

A l'heure de prendre une décision commune, La Caja et Ficción ont emporté notre assentiment. La Caja parce que c'est un film délicieusement hispanique, tranchant, dur, sans compromis. Sa séduction vient de ce qu'il est rugueux. Les Italiens ont fait des choses similaires, je pense à Affreux, sales et méchants d'Ettore Scola, où l'on frôle le sordide mais toujours avec cette volonté italienne de séduire. Pour La Caja, il y a une espèce de morbidité espagnole qui l'emporte. Quant à la musique, elle apporte une touche ironique à la Nino Rota. Le compositeur, Joan Valent, a vraiment réussi à trouver le ton adéquat. Ficción m'a procuré un bonheur total. On pourrait penser que c'est un film de direction d'acteurs, de repérages et de mise en scène, alors qu'en fait c'est une espèce de délicates balances entre des effets dramaturgiques parfaitement gérés et une captation de l'indicible tout à fait subtile. Les acteurs jouent remarquablement bien et la caméra saisit avec passion l'actrice principale.

Je suis étonné de l'absence de récompenses pour La Soledad de Jaime Rosales. Ce film à mon sens se démarquait des autres, non pas tant du point de vue de l'histoire mais plutôt de la forme, avec le recours au split screen, l'utilisation systématique du plan fixe, la position et le retrait de la caméra vis à vis des acteurs.

Je vous donne mon avis. J'ai eu le sentiment d'avoir déjà vu ce film en 1975 avec Jeanne Dielman, 23 rue du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Ackerman, qui durait lui aussi plus de deux heures. J'avais trouvé cela absolument fascinant et provoquant à l'époque, mais je trouve que refaire le même film quarante ans plus tard n'est pas vraiment intéressant. Ceci étant, la souffrance de cette femme est magnifique et je ne comprend pas cette volonté d'enganguer cela dans une pseudo modernité provocante et provocatrice.

Le festival voulait mettre en avant une génération montante de réalisatrices. Une façon d'appuyer un essor qui, malgré quelques figures de proue, reste très récent.

J'ai suivi avec intérêt le débat autour des réalisatrices Judith Collel, Inés Paris et Azucena Rodríguez sur le cinéma au féminin. Elles disaient qu'elles ne voulaient pas faire un cinéma féministe mais que des femmes fassent des films. Un point de vue que je partage totalement. Je suis assez sensible en France aux films féminins de Claire Denis, Jeanne Labrune, Coline Serreau ou Agnès Varda. Ces réalisatrices captent le monde avec un regard qui n'est pas celui des hommes. J'ai trouvé curieux que dans les films de Judith Collel et Azucena Rodríguez, 53 días de invierno et Atlas de geografía humana, soit montré le désarroi des femmes sans hommes ou troublées par des hommes lâches ou vils. Ces films donnent l'image d'une société dans laquelle l'homme reste encore le centre des préoccupations.


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