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El agua : une envoûtante immersion dans les méandres des croyances populaires

Un Film de Elena Lopez Riera
Avec Luna Pamies, Bárbara Lennie, Nieve de Medina, Alberto Olmo
Drame, Romance | Espagne | 2022 | 1h 44min
Festival Cinespaña Toulouse 2022, Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2022
El agua : une envoûtante immersion dans les méandres des croyances populaires

Le mercredi 1er mars 2023.

Entre fiction et réalité, à la limite du fantastique mais aussi du documentaire, Elena López Riera nous entraîne le long des eaux énigmatiques du fleuve Segura. Un mélange des genres habilement mené par la réalisatrice qui réalise avec El agua un envoûtant premier long métrage.

Présenté l’an dernier à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et avec deux nominations aux Goya (meilleure adaptation et meilleur espoir féminin pour Luna Pamies), El agua dresse le portrait d’un petit village coincé entre croyances populaires et futur inexistant pour sa jeune génération. Au cœur d’un paysage rural, la réalisatrice nous invite à suivre le destin d’Ana, jeune adolescente, brillamment interprétée par la très prometteuse Luna Pamies.

C’est dans son village natal d’Orihuela, dans la communauté valencienne, qu’Elena López Riera a choisi de situer l’intrigue de son premier long métrage et de raconter cette légende qui a bercé son enfance et se transmettait de génération en génération. Cette histoire est celle de femmes qui seraient emportées par les inondations après que l’eau soit entrée en elles. Cette croyance populaire raconte que le fleuve tomberait amoureux d’une jeune femme et que ne pouvant l’avoir, il la kidnapperait pour l’emporter à tout jamais. Et dans une région très touchée par les crues, dont la dernière de 1987 a fait de nombreux dégâts, cette histoire est profondément ancrée. A tel point que la réalisatrice a fait le choix d’intercaler des témoignages de femmes du village au sein même de sa fiction, à la manière d’un documentaire. Celles-ci racontent ce qu’elles savent et ont entendu de cette légende de l’eau qui emporte les femmes lors des crues.

Dans la fiction, cette légende exacerbe les tensions et isole les protagonistes. Cet isolement on le retrouve avec l’image du bar/café en plein milieu d’une grande route déserte. C’est dans ce café que vivent trois générations de femmes : Ana, sa mère Isabella (Bárbara Lennie) et sa grand-mère (Nieve de Medina). Trois femmes qui, en dehors de la filiation qui les unies, sont intimement liées par cette croyance populaire qui les rendent “maudites” aux yeux des autres habitants du village. Alors, quand José commence à sortir avec Ana, ce n’est pas vu d’un très bon oeil et son père le met en garde : “Aucune femme bien ne sort de cette maison”. Les hommes ont également une piètre opinion de sa mère, Isabella, superbement interprétée par une Bárbara Lennie, plus nature que jamais. Mais au fond, le spectateur est en droit de se demander si ce qui dérange et fait peur à ces hommes ce n’est pas justement cette liberté qui émane de ces dernières et l’absence d’homme dans leur quotidien. Une absence non évoquée mais où, à travers des bribes de phrases, on comprend qu’elles ont souffert dans leur vie d’une présence masculine allant même jusqu’à les marquer dans leur chair. Cette stigmatisation doublée d’une certaine part de mystère qui entoure cette légende rappelle celles des chasses aux “sorcières” du XVIe siècle, des femmes craintes des hommes sans que ceux-ci ne soient capables d’en expliquer la raison mais convaincus qu’elles portent le “diable” en elle. Ana le dit d’ailleurs elle-même dans le film : “Je suis une sorcière”.

Alors que l’on sait que dans les villages, les traditions sont très ancrées, sortir du moule de la “normalité” n’est pas chose aisée et il est facile d’alimenter les rumeurs. Tout comme les croyances, celles-ci se transmettent dans les familles et pèsent lourd. Cette sensation de lourdeur et de suspicion envers ces femmes est renforcée avec l’annonce des fortes pluies à venir qui nous font ressentir l’atmosphère pesante et étouffante de ce village. Elena López Riera consacre même des plans entiers au protagoniste inquiétant et omniprésent du film, le fleuve. La caméra le surplombe et glisse avec lui, comme emportée par l’eau, tel un présage de ce qui doit arriver. Ces images couplées à une musique qui fait monter petit à petit la tension nous amène à ressentir cette préoccupation et cet étouffement qui accablent les habitant·es face aux annonces météorologiques à et la crainte de voir la malédiction se répéter à nouveau.

Que ce soit à travers l’image ou dans les dialogues entre les jeunes, la réalisatrice dresse le portrait d’une génération sans avenir, errant dans le village et s’occupant comme elle le peut, entre travail saisonnier et sorties entre ami·es. Et ce quotidien est particulièrement bien mis en valeur par la cinéaste qui avec sa caméra s'immisce au plus près de ce milieu rural qu’elle connaît bien et sur lequel elle pose un regard délicat. Celle-ci a aussi fait le choix de s’entourer en grande partie d’acteurs et actrices non-professionnelles et c’est une véritable réussite tant ces seconds rôles apportent naturel et spontanéité à la fiction. Les scènes où Ana sort avec ses amies sont une véritable bouffée d’air frais dans cette ambiance électrique. En attendant l’arrivée inéluctable de l’eau, tout semble en suspens et Ana vit une véritable introspection comprenant qu’elle ne pourra pas échapper à son destin, comme le scorpion qu’elle porte tatoué sur le bras, en référence à la fable du scorpion et de la grenouille.

Alternant entre passé et présent, mythologie et modernité, Elena López Riera nous propose un long métrage d’une qualité incroyable avec une belle photographie et d’incroyables portraits de femmes fortes et indépendantes dont le destin est étroitement lié avec celui de l’eau.

Vu en avant-première à Toulouse dans le cadre du festival Cinespaña.
Sortie en salle le 1 mars 2023 et en DVD le 18 juillet (En bonus, Débat avec la réalisatrice Elena López Riera et l’actrice Luna Pamies à la Quinzaine des Cinéastes (22 min.)
Une page spéciale est consacrée à la sortie et une surprise à la fin de l'article vous y attend !

Agathe Ripoche


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