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Le cinéma de l'Espagne démocratique

Les images du consensus [1]

Le cinéma espagnol est à la mode. On le présente comme la meilleure expression du changement culturel de l'Espagne. La critique salue le ton nouveau des cinéastes. C'est d'ailleurs peut-être par le cinéma que le franquisme a été le plus vigoureusement remisé aux oubliettes de l'histoire. Mais ne s'agit-il pas là d'une image faussée ? Jean-Paul Aubert nous montre dans cette contribution que le consensus autour de la transition démocratique a conditionné aussi la production cinématographique, et c'est à travers un regard plus critique qu'il nous propose un parcours dans la production des trente dernières années.
Libertarias
Durant de nombreuses années, hors des frontières de la Péninsule, on ne connaissait guère du cinéma espagnol que les noms de Luis Buñuel ou de Carlos Saura... quand survint le phénomène Pedro Almodóvar, l'enfant terrible de la movida, vite perçu comme une incarnation du renouveau espagnol. Puis sont apparus Fernando Trueba, José Juan Bigas Luna, Julio Medem, Alejandro Amenábar... Sur nos écrans, les visages de Marisa Paredes, Carmen Maura, Victoria Abril, Penélope Cruz, Miguel Bosé ou Sergi López ont donné de l'Espagne une image tour à tour dramatique et drôle, mutine et séduisante. Certes, parler d'un véritable engouement pour le cinéma transpyrénéen serait excessif, mais de festivals en rétrospectives, d'oscars hollywoodiens en récompenses cannoises, une évidence s'est peu à peu imposée : il existe un cinéma espagnol. Bien sûr, les carences économiques et industrielles qui continuent d'affecter le septième art en Espagne limitent la connaissance que le spectateur étranger peut en avoir aux quelques noms cités précédemment. Que sait-il de la pléiade de jeunes talents que les dix dernières années ont produite ? Bien peu de choses, en vérité, preuve des difficultés qu'éprouve encore le cinéma ibérique à sortir de ses frontières. Mais lorsque les contraintes du marché l'y autorisent, celui-ci rencontre l'intérêt d'un public désireux de mieux percevoir la réalité de cette Espagne moderne dont il est le produit et dont il offre une sorte de « reflet ».

Notre ambition serait d'ébaucher – avec toute la prudence que ce travail requiert – une sorte de « sociologie du cinéma »[2] susceptible de mettre en lumière les rapports complexes entre les films réalisés dans la période démocratique et la nouvelle donne sociale et politique née de la transition. Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur la façon dont le cinéma espagnol s'est efforcé de rendre compte du processus de transition vers la démocratie, amorcé à la mort de Franco. Par ailleurs, nous savons, grâce à Marc Ferro, que les films qui ne prétendent pas poser explicitement les problèmes politiques ou sociaux de leur temps peuvent néanmoins être aussi révélateurs sur ces sujets que d'autres qui se fixeraient comme objectif de les décrire avec précision. C'est pourquoi, nous nous intéresserons successivement au regard que porte le cinéma espagnol sur l'histoire récente du pays et à l'image souvent implicite qu'il donne de la nouvelle société née de la transition.

REGARDS SUR LA TRANSITION

Chacun s'accorde à voir dans les transformations qu'a vécues l'Espagne au cours de ces deux dernières décennies les conséquences de la transition politique vers la démocratie. Or, fort curieusement, cette même transition semble aujourd'hui absente du grand écran. On sait que cela ne fut pas toujours le cas. Lorsqu'il se fit témoin et aborda la question de la transition dans une perspective politique, le cinéma espagnol des années 1975 à 1980 adopta généralement deux points de vue antagonistes. D'un côté, quelques films, résidus un peu rances d'une époque révolue, tentèrent vainement de dénoncer une corruption des mœurs, une gabegie politique qu'ils entendaient associer à l'ouverture démocratique. L'énoncé de leurs titres suffit à suggérer le contenu de ces films. On se contentera de citer ¡ Que vienen los Socialistas ! (1982) de Mariano Ozores ou Un cero a la izquierda de Gabriel Iglesias (1980), qui comporte une séquence d'anthologie au cours de laquelle un bébé jusqu'alors inconsolable cesse de pleurer alors que résonne l'hymne franquiste, Cara al sol. À l'opposé sur l'échiquier politique, un certain nombre de réalisations développèrent un regard critique sur une transition qu'elles jugeaient insuffisamment démocratique et, à tout le moins, incomplète.

L'un des films emblématiques de ce courant critique pourrait être Después de... (1979) de Cecilia et José Juan Bartolomé. Constitué de deux parties intitulées respectivement No se os puede dejar solos et Atados y bien atados, ce documentaire propose une véritable immersion dans la société espagnole de l'époque dont les fractures politiques s'exposent au grand jour dans les nombreuses manifestations et contre-manifestations qui envahissent les rues du pays. Cecilia et José Juan Bartolomé ne se contentent pas d'évoquer le climat politique de la transition. Ils abordent également quelques-unes des questions sociales qui font l'actualité : le chômage qui gangrène la société, les conditions de vie des paysans andalous, la misère des bidonvilles, les grèves qui éclatent dans les usines. Le film n'élude pas non plus les problèmes de société qui divisent l'Espagne : l'émancipation des femmes, le droit à l'avortement, le rôle de l'Église. Bien sûr, le ton est polémique et le titre de la seconde partie, qui fait référence à la volonté de Franco d'assurer la pérennité du régime après sa mort, souligne les résistances à la transformation de la société et semble regretter l'absence d'une rupture véritable. D'une certaine façon, les innombrables tracasseries administratives dont le film fit l'objet allaient apparaître comme une confirmation de son propos. Sous le prétexte qu'il s'agit d'un documentaire, Después de... ne pourra bénéficier des aides financières que l'État accorde à toute production cinématographique. Malgré cet obstacle, la première copie du film fut disponible en janvier 1981, quelques jours seulement avant le coup d'État manqué du 23 février. Mais l'administration n'aura de cesse de retarder la sortie du film. Il sera projeté presque clandestinement dans quelques salles avant de pouvoir enfin prétendre à une sortie officielle en novembre 1983, soit presque trois ans après sa réalisation.

Le débat sur le rythme et l'ampleur de la réforme à entreprendre va trouver un écho dans d'autres films dont la tonalité s'avère cependant moins polémique. Con uñas y dientes (1977) de Paulino Viota dénonce les limites imposées à la liberté syndicale et la persistance de pratiques mafieuses au sein du patronat. Dans La muchacha de las bragas de oro (1980), l'évocation d'un écrivain, ancien dignitaire du régime franquiste reconverti en démocrate bon teint, permet à Vicente Aranda de mettre en évidence la vaste opération de blanchiment politique dont l'UCD se fait l'instrument et de mettre en garde contre l'amnésie collective sur laquelle se fonde le nouveau consensus politique. Dans ¡Arriba Azaña ! (1977), José María Gutiérrez a recours à la parabole pour livrer ce qui apparaîtra, en définitive, comme une vision prophétique de la transition. Les élèves d'un internat religieux se soulèvent contre les pratiques autoritaires du directeur. L'arrivée d'un nouveau chef d'établissement qui accepte de débattre avec les rebelles permet le retour au calme et fait naître l'espoir que seront enfin respectés les principes de justice et de démocratie. Pourtant, les nouvelles autorités ne concèdent que quelques droits secondaires aux élèves tandis que les meneurs sont expulsés. Les dernières images du film, qui montrent les élèves réunis dans la cour et chantant l'hymne du collège tandis que les drapeaux flottent au vent comme au premier jour, soulignent combien la réforme annoncée est un leurre. La parabole dont le sens n'échappe à personne disqualifie une vision idyllique de la transition vers la démocratie.

La plupart des films cités rencontreront un écho limité en Espagne et rares sont ceux qui en franchiront les frontières. Plus grave encore, certains réalisateurs paieront cher leur radicalisme. C'est, notamment, le cas de Paulino Viota qui devra attendre 1983 avant de pouvoir réaliser un nouveau long métrage. Pourtant, bien qu'exerçant un regard critique sur le fonctionnement d'une démocratie encore balbutiante, aucun des films cités précédemment ne conteste véritablement les fondements du régime qui se met en place, pas plus sa nature politique, la monarchie constitutionnelle, que son fonctionnement socio-économique. Il n'en demeure pas moins que, même limité, l'essor d'un cinéma politique à la tonalité critique ne rend que plus criante l'absence de films assumant ouvertement l'expression politique des protagonistes de ce que l'on appelait alors « la réforme ». Le succès de cette transition, dont la plupart des observateurs ne manquent jamais de louer le caractère exemplaire, et la victoire in fine du credo centriste, dont on voit bien aujourd'hui qu'il est devenu l'horizon politique des deux principaux partis espagnols, Partido Popular et PSOE, ont semblé coïncider avec un renoncement définitif des cinéastes à questionner cette période capitale de l'histoire récente de l'Espagne.

Cette impression générale n'est nuancée que par de rares exceptions au nombre desquelles figure le film controversé, réalisé en 1997 par Juan Antonio Bardem, Resultado final. Dans un premier temps, Bardem fut accusé de plagiat par Manuel Vicent, qui prétendit avoir publié dans les colonnes du journal El País une courte nouvelle dont le cinéaste se serait largement et gratuitement inspiré. Par ailleurs, la critique, dans son ensemble, railla l'opportunisme de Bardem qui confia le rôle principal du film à Mar Flores, un top model particulièrement en vue, dont les qualités d'actrice s'avéreront médiocres. Mais, plus fondamentalement, il fut reproché au film d'évaluer le rôle du PSOE depuis la transition jusqu'à l'arrivée au pouvoir de José María Aznar, d'une manière trop didactique et démonstrative et, surtout, excessivement polémique, voire agressive. De fait, le Parti socialiste est sévèrement épinglé par Bardem qui lui reproche, pêle-mêle, son absence de combativité sous le franquisme, sa trahison concernant la question de l'OTAN, sa collusion avec le monde des affaires et son rôle de premier plan dans les pratiques de corruption qui ont affecté le pays. Cependant, au règlement de comptes s'ajoute l'autocritique d'un compagnon de route du PCE, qui prend la mesure des erreurs commises, à ses yeux, par son parti. Bardem regrette son choix de la réforme – choix qu'il avait pourtant défendu dans un film consacré à l'attentat de la rue d'Atocha, perpétré par l'extrême droite, Siete días de enero [Sept jours de janvier][3] (1978) – au détriment d'un engagement « révolutionnaire » qui aurait conduit à la rupture. La réflexion de Bardem s'appuie sur un montage mêlant des images de fiction à des prises de vue clandestines tournées par des militants communistes lors de manifestations sévèrement réprimées par les forces de l'ordre, dans les premiers mois de la transition. Au-delà de ses évidentes maladresses et d'un ton didactique certainement critiquable, le film présente le mérite d'aborder dans une perspective nouvelle et non-consensuelle certaines des questions politiques que ne manque pas de soulever la période de transition.

C'est en vain que l'on chercherait dans la production récente d'autres films se risquant à une analyse critique de cette période. Le poids du consensus autour du « modèle espagnol » semble même avoir définitivement dissuadé les auteurs d'aborder le sujet directement. Bien qu'implicites, les enjeux de la réforme entreprise à la mort de Franco sont néanmoins clairement identifiables dans la façon dont le cinéma espagnol de la démocratie aborde l'histoire du franquisme.

LE PASSE COULEUR PASTEL

Dès la fin du franquisme, de nombreux cinéastes éprouvent le désir de réévaluer une histoire récente que les thuriféraires du régime précédent avaient soit occultée, soit déformée. C'est ainsi que vont se multiplier les évocations des quatre longues décennies de dictature et de la guerre civile qui en fut le douloureux prélude. Cette guerre civile, dont le franquisme avait fait un sujet tabou, sera revisitée dans plusieurs films documentaires avant de servir de toile de fond à un nombre conséquent de récits de fiction. Le regard apaisé que la plupart d'entre eux jettent sur la guerre, leur réticence à procéder à un examen polémique du passé, leur tendance à se réfugier dans une prudente neutralité ont valu à ces films d'être catalogués dans un courant cinématographique que l'on a dit « centriste ».

Le film de Luis García Berlanga, La Vaquilla (1985), en est l'exemple le plus fréquemment cité. S'il fait date, c'est qu'outre les qualités qui lui sont propres, il est le premier à aborder la guerre civile d'un point de vue satirique. Le récit de l'équipée peu glorieuse de cinq soldats de l'armée républicaine qui s'infiltrent dans un village tenu par l'ennemi afin d'y voler une vachette offre, en effet, à Berlanga et à son scénariste Rafael Azcona, l'occasion de désacraliser la guerre. Les héros laissent la place à des soldats privés de conscience politique, rivalisant de lâcheté et de veulerie. On ne manqua pas de reprocher aux auteurs de cette version espagnole de La grande vadrouille de procéder à une entreprise de dépolitisation de la guerre civile, ignorante des motivations sociales et idéologiques des deux camps. De multiples protestations s'élevèrent contre cette vision jugée cynique et provocatrice de la guerre, une vision d'autant plus dérangeante qu'elle émanait de deux créateurs que l'on ne pouvait suspecter de connivence avec l'idéologie franquiste. De Tengamos la guerra en paz (Eugenio Martín, 1976) à Biba la banda (Ricardo López Nuño, 1987), c'est ce même regard désabusé qui s'affirme, avec, il est vrai, plus ou moins de talent. À l'image de ces fous qui dans le film de Manuel Matji, La Guerra de los locos (1987), profitent de la confusion pour s'échapper et mener leur propre combat aux côtés des anarchistes, les protagonistes de la guerre civile deviennent, au fil des fictions qui se succèdent, les acteurs d'une guerre qui semble dénuée de sens.

On n'en finirait pas d'énumérer les films dénonciateurs d'une boucherie qui apparaît comme d'autant plus absurde que les motifs idéologiques des combattants sont soit absents, soit réduits à leurs aspects les plus caricaturaux et sulfureux, tels l'anticléricalisme ou la défense de l'amour libre. Tout à son obsession de décrire une guerre sans idéal, le discours « centriste » passe sous silence les débats politiques qui divisent le camp républicain, tout comme il oblitère la période révolutionnaire de l'été 1936 ou les journées décisives de mai 1937. Cette démarche l'amène à oublier les principaux acteurs de cette période, les militants politiques et syndicalistes, les miliciens. Au sujet de ces derniers, Xavier Ripoll écrit notamment : « Aucun des nombreux films sur la guerre civile n'avait abordé à fond la figure du milicien, ses idéaux, son rôle dans le conflit, ses actions, mais aussi ses divisions et ses contradictions. »[4] Il faut comprendre que la figure du milicien, porteuse d'engagement politique et d'idéaux, n'entre pas dans le cadre d'un discours dépassionné. C'est pourquoi la vision distanciée du passé qui désormais semble devoir s'imposer va privilégier la description de la vie à l'arrière et s'intéresser au point de vue d'une petite bourgeoisie modérée, que l'on veut croire peu encline à succomber aux excès de l'un ou l'autre camp.

C'est le cas de Las Largas vacaciones del 36 [Les longues vacances de 36] (1976) de Jaime Camino, qui montre comment les vacances d'été d'une famille bourgeoise sont perturbées par le déclenchement des hostilités, ou de Las bicicletas son para el verano (1983) de Jaime Chávarri, qui évoque les difficultés quotidiennes d'une famille madrilène de petits employés et commerçants. Les événements politiques qui secouent l'Espagne semblent à la fois proches et lointains. Proches dans les scènes de bombardement ou lorsque le drame qui se joue en hors champ affecte brutalement les personnages. Mais lointains également, car on n'en perçoit que très rarement les implications idéologiques ou politiques. Cette démarche que Las bicicletas son para el verano partage avec d'autres films permet aux réalisateurs de souligner ce qui, dans la guerre, réunit les Espagnols, quelles que soient leurs origines sociales et leur appartenance politique : la peur, les privations, la mort d'un parent ou d'un proche. Cette réunification du peuple espagnol dans le malheur suggère finalement une possible dissolution des deux camps. La réactivation du souvenir douloureux des désastres de la guerre se veut fédératrice. Elle insiste sur les répercussions humaines du conflit et privilégie l'évocation du traumatisme individuel plutôt que celle de la souffrance collective.

Filtrées par le regard familial, les chroniques de la guerre tendent en définitive à faire de l'Espagne la proie innocente et sans défense des extrémismes les plus barbares et sanguinaires et érigent la famille en ultime rempart face à un monde hostile et incompréhensible. Au fond, les protagonistes de la transition ne pouvaient que souscrire à cette démarche qui renvoyait dos à dos les ennemis d'hier et vidait de son contenu le conflit qui les avait si férocement opposés. Faut-il s'étonner, dès lors, de ce que les rares films qui tentent de réexaminer les moments les plus décisifs et les plus controversés de la guerre civile voient difficilement le jour ? C'est le cas du remarquable documentaire de Jaime Camino, La vieja memoria (1977), qui s'applique à interroger les archives et à confronter les souvenirs partiels et partiaux des acteurs du conflit. Le film se verra privé d'une partie des aides de l'état, tandis que la direction du Festival de Saint Sébastien refusera de l'intégrer à la sélection officielle, limitant sa projection à des salles périphériques. Lorsque, vingt ans plus tard, Ken Loach réalise Land and Freedom [Terre et liberté] (1995), il est accusé de vouloir rouvrir d'anciennes blessures et de faire ressurgir de vieux démons. Des critiques semblables n'épargneront pas Libertarias de Vicente Aranda, récit du combat d'un groupe de femmes anarchistes sur le front d'Aragon.

L'évocation de l'après-guerre prête moins à la polémique. L'unanimité se fait sur la condamnation du régime franquiste et sur l'exaltation de ceux qui lui résistèrent. Ainsi, Companys, proces a Catalunya (1979) de Josep María Forn propose une sorte d'hagiographie de Lluis Companys. Président de la Catalogne, Campanys fut arrêté par les Allemands alors qu'il était exilé en France, livré à Franco, puis fusillé en 1940[5]. Par ailleurs, la figure du maquisard est fréquemment convoquée. On la retrouve dans El espíritu de la colmena [L'esprit de la ruche] (Victor Erice, 1973), Pim, pam, pum, fuego (Pedro Olea, 1975), Los días del pasado (Mario Camus, 1977), El corazón del bosque (Manuel Gutiérrez Aragón, 1978), etc. Dans Pascual Duarte (Ricardo Franco, 1977) ou dans El Lute, camina o revienta (Vicente Aranda, 1987), le personnage du rebelle ou du hors-la-loi, aux prises avec un système répressif, offre une variante moins politique mais toute aussi édifiante. Plus récemment, et dans un autre registre, La niña de tus ojos [La fille de tes rêves] (1998), qui valut à son auteur, Fernando Trueba, de connaître un nouveau succès, a offert l'image séduisante et politiquement correcte d'une Espagne qui, à l'image de la belle Macarena Granada qu'interprète Penélope Cruz, découvre la barbarie nazie et refuse de s'y soumettre.

Comme s'il convenait de réconcilier l'Espagne avec son propre passé, l'on redécouvre ou l'on s'invente des héros susceptibles d'apaiser les mauvaises consciences. De rares films, tels ¡ Viva la clase media ! (1980) de José María González Sinde ou l'adaptation que proposera en 1984 Gonzalo Herralde du roman de Juan Marsé, Últimas tardes con Teresa, se risqueront à critiquer l'attitude d'une partie de la petite bourgeoisie espagnole, présentée comme faussement progressiste et résistante. Le cinéma ibérique s'est plutôt efforcé d'esquisser les contours d'une Espagne rebelle, opiniâtre et héroïque, à rapprocher de cette France, tout entière résistante, que tenta de nous dépeindre le cinéma de l'après-guerre. Mais le septième art est resté le plus souvent silencieux lorsqu'il s'est agi de s'interroger sur les raisons politiques et sociales qui favorisèrent le maintien de la dictature ou d'enquêter sur les responsabilités des uns et des autres. La timidité ou la prudence conduiront les quelques réalisateurs désireux de se livrer à une analyse politique du passé récent à inscrire le récit de leurs films dans un contexte historique plus ancien.

C'est le cas de Un hombre llamado flor de otoño (1978) de Pedro Olea et de La verdad sobre el caso Savolta (1980) d'Antonio Drove, qui ont pour toile de fond les premières décennies du 20e siècle. Dans ces deux films, la violence de la lutte des classes préfigure la brutalité de la guerre civile. Mais le spectateur ne peut manquer de voir dans la peinture de cette bourgeoisie du début du siècle, sans scrupules et accrochée à ses intérêts immédiats, celle de la classe des privilégiés qui constitua le socle social de la dictature. Lorsqu'elle voudra stigmatiser le rôle répressif de la garde civile, Pilar Miró choisira, pour sa part, d'évoquer un déni de justice survenu dans les années 1910. On sait que cela n'empêchera pas le désormais célèbre El crimen de Cuenca [Le crime de Cuenca] (1979) d'avoir maille à partir avec les autorités militaires, qui y virent avec raison une critique contemporaine d'un corps répressif. L'autre pilier du régime, l'église, est également mis à mal dans des films qui se gardent d'évoquer d'une façon trop explicite le rôle qu'elle joua naguère. C'est ainsi que El hombre que supo amar (1976) de Miguel Picazo propose une biographie d'un saint Jean de Dieu dont l'esprit de tolérance et le progressisme semblent néanmoins étonnamment contemporains. El segundo poder (1976) de José María Forqué nous plonge à l'époque de Philippe II et fait revivre les temps anciens où l'Inquisition régnait en maître. Prudemment, ces films laissent aux spectateurs le soin de faire le lien entre le lointain passé de l'Espagne et son histoire récente.

Ces films sont des exceptions qui ne sauraient masquer le renoncement collectif à analyser ou à expliquer l'ancien régime, un renoncement qui coïncide étrangement avec la récurrence des personnages d'enfants ou d'adolescents, incarnations d'une naïveté cultivée. El espíritu de la colmena [L'esprit de la ruche] (1973) de Victor Erice inaugure en effet avec talent la longue liste des films qui mettent en scène des enfants. On y compte des œuvres aussi estimables que Demonios en el jardín (1982) de Gutiérrez Aragón, Secretos del corazón (1997) de Montxo Armendáriz ou Pajarico (1997) de Carlos Saura, auxquels s'ajoutent de nombreux films dont il faut bien admettre qu'ils succombent trop souvent à un certain maniérisme. Une telle récurrence a de quoi étonner même si elle s'inscrit dans une tradition du cinéma espagnol. En effet, faisant une sorte de clin d'œil ironique au passé, le cinéma de la démocratie se réapproprie un personnage qui avait fait les beaux jours de l'époque franquiste. Cependant, les innombrables figures enfantines qu'il met en scène n'ont pas grand-chose à voir avec les Joselito ou les Marcelino de jadis. Elles servent un tout autre propos. Grâce à elles, l'Espagne d'aujourd'hui contemple celle qu'elle était hier avec le regard de l'innocence. Les événements historiques, lorsqu'ils sont évoqués, servent de décor lointain à un récit centré, pour l'essentiel, sur le parcours initiatique d'enfants ou de jeunes adolescents. Le monde des adultes dont nombre de secrets semblent inaccessibles au regard enfantin se veut le reflet d'une société refermée sur elle-même, cantonnée dans ses frustrations, retranchée derrière ses interdits. Face à ce monde mystérieux et hermétique qui déjà appartient au passé, le spectateur ne peut que partager cette incompréhension dont témoigne le regard innocent auquel il s'identifie. Toute la difficulté qu'éprouvent de nombreux cinéastes pour donner une lecture du passé semble contenue dans cette incapacité de l'enfant à donner un sens au monde qui l'entoure. De fait, dans la plupart des cas, on ne propose pas au spectateur des clefs d'analyse de l'histoire récente de l'Espagne, mais plutôt un tissu d'images et de sons apte à recréer des sensations et à faire revivre le passé.

Cette démarche qui vise moins la réflexion que l'émotion, qui embaume le passé plus qu'elle ne le rend intelligible, se traduit sur un plan esthétique par une lumière et une texture de l'image, communes à bon nombre de reconstitutions historiques. Les années tristes de l'après-guerre ont gardé au cinéma une tonalité terne et opaque. On s'est évertué à atténuer les contrastes, on a recouru aux niveaux de lumière les plus bas et aux filtres afin d'ôter toute brillance à l'image. Enfin, on a presque systématisé un rendu de l'image que l'argot des photographes désigne du nom d'« aile de mouche ». L'utilisation d'un négatif sous-exposé atténue les blancs et les noirs de sorte que lors de la copie sur un film positif, on obtient des tons de gris suggérant une dégradation des couleurs. Quelques directeurs de la photographie tels Hans Burmann, José Luis Alcaine ou Juan Amorós excellent à reproduire ces couleurs éteintes et cette lumière pâle, tendant vers l'ocre ou le jaune, presque poussiéreuse. Que l'on songe à Tiempo de silencio (1986) et Amantes (1991) de Vicente Aranda, à Los días del pasado (1977) de Mario Camus ou à El año de las luces (1986) de Fernando Trueba. Ces couleurs dominantes ne reproduisent pas seulement celles des laines brunes ou des toiles grisâtres dans lesquelles la population modeste taillait ses habits. La lumière affadie ne restitue pas seulement la faible lueur que produisaient les rares ampoules que l'on savait utiliser avec parcimonie. Symboliquement, l'image volontairement ternie rend compte de l'atmosphère oppressive des années évoquées. Mais plus encore, à l'instar des photos jaunies que conserve l'album de famille, ces images cinématographiques qui veulent dire à la fois le passé et la fuite du temps sont une invitation à la nostalgie. Elles disent bien l'étrange contradiction devant laquelle se trouve le cinéma espagnol, qui condamne le passé mais ne peut le recréer sans nourrir un sentiment de regret d'où le plaisir n'est pas totalement absent.

Cette nostalgie est, par ailleurs, puissamment alimentée par une illustration sonore qui fait appel au fonds musical traditionnel de la copla. Dans les salles de cinéma des années 1980 et 1990 résonnent à nouveau les voix de celles et ceux qui parvinrent à distraire l'Espagne franquiste – Concha Piquer, Miguel de Molina, Juanita Reina, etc. On ne compte pas les films qui, dès leur titre, évoquent explicitement des chansons espagnoles : Mambrú se fue a la guerra, Espérame en el cielo, Las cosas del querer, etc. Le pouvoir évocateur et nostalgique de ces voix avait été découvert dès 1973 par Basilio Martín Patino dans Canciones para después de una guerra, habile montage visuel et sonore qui mêlait films d'époque, réclames publicitaires et chansons. Ainsi que l'a remarqué avec justesse Jean-Claude Seguin, « les notes de chansons créent un lien entre une époque douloureuse et une nostalgie entremêlée de plaisir »[6]. Par ailleurs, en puisant dans le vaste répertoire de la chanson populaire, les cinéastes exhumaient un fonds musical commun à tous les Espagnols. L'écho rencontré par ces chansons dépasse, en effet, tous les clivages politiques et sociaux. De sorte que dans le climat de réconciliation nationale qui prévaut désormais, elles acquièrent la fonction d'un trait d'union apaisant et pacificateur.

Cette peinture ambiguë et empreinte de nostalgie s'ajoute à la tendance du cinéma à éluder l'analyse des circonstances politiques et des structures sociales qui permirent au dictateur de se maintenir au pouvoir. Ainsi, le cinéma de reconstitution historique ne se démarque généralement pas du climat dominant des années post-franquistes qui tend à laisser dans l'ombre les responsabilités politiques liées au passé afin de faciliter, dans le temps présent, la réconciliation nationale.

LES IMAGES D'UNE ESPAGNE RECONCILIEE

Comme on pouvait s'y attendre, lorsqu'il situe son propos dans l'Espagne actuelle, le cinéma péninsulaire dominant s'attache à décrire un pays où règne un climat social et politique pacifié, parfait contrepoint à la description de l'Espagne de jadis, en proie à la violence irraisonnée de la guerre civile. Un examen de la caractérisation sociale des personnages inventés par le cinéma espagnol est susceptible d'éclairer notre propos. Cette enquête est rendue possible par le travail réalisé par l'Académie des arts et des sciences cinématographiques d'Espagne[7] qui, année après année, publie dans la revue Academia un bilan de la production cinématographique nationale. Les données dont nous disposons concernent les sept années écoulées entre 1994 et 2000 et figurent sous une forme synthétique dans le tableau ci-dessous.

Distribution des personnages selon leur classe sociale (en %)[*]
                Très défavorisée          Moyenne            Très favorisée
1994                  11,0                       84,0                       5,0
1995                  21,9                       61,5                      16,6
1996                  14,0                       76,0                      10,0
1997                  9,0                         83,0                       8,0
1998                  16,2                       74,7                       9,1
1999                  14,5                       75,3                      10,2
2000                  20,0                       74,3                       5,7
* Tableau réalisé à partir des données fournies par la revue Academia

Les données statistiques montrent d'une façon éloquente combien, au cours de ces dernières années, le cinéma espagnol a privilégié la représentation des classes moyennes. Nous avions déjà signalé ce choix et ses conséquences s'agissant de l'évocation du passé. Celle de l'époque présente n'échappe pas à la règle qui veut que les cinéastes se détournent majoritairement des milieux se situant aux marges de la société. Ils donnent ainsi de l'Espagne l'image d'un pays libéré des inégalités sociales et des choix politiques extrémistes que ces inégalités sont susceptibles d'engendrer. Le « miracle économique espagnol » triomphe sur les écrans de la Péninsule. L'Espagne des buildings ultramodernes (les tours KIO de Madrid sont un décor prisé), des téléphones portables et du design épuré prend ses aises dans les films de Fernando Colomo, de Fernando Trueba, d'Alex de la Iglesia ou d'Alejandro Amenábar.

Tout cela peut expliquer le fait que conflits sociaux et politiques soient, dans la plupart des cas, évacués des récits proposés. La seule évocation d'un conflit de cette nature dans la filmographie de Pedro Almodóvar figure dans La flor de mi secreto [La fleur de mon secret] (1995) et fait référence aux importantes manifestations d'étudiants en médecine auxquelles dut faire face le gouvernement socialiste de Felipe González. Cependant, elle sert de prétexte à une séquence dont la portée, essentiellement esthétique et symbolique, n'échappe à personne. La foule des manifestants portant blouses blanches et scandant des slogans sur un air allègre est fendue non sans difficultés par l'héroïne en pleine déprime et vêtue de bleu. En fait, la filmographie de Pedro Almodóvar, à l'image du cinéma espagnol contemporain, élude généralement tout ce qui pourrait s'apparenter à une contestation collective de la société.

S'il arrive au cinéma espagnol d'admettre l'existence de disparités sociales ou culturelles, ce n'est que pour mieux plaider en faveur du rapprochement et de la réconciliation. Le dernier film de Fernando Albaladejo, Cielo Abierto (2000), illustre parfaitement cette tendance en proposant une fable sociale qui n'est pas sans rappeler quelques-unes des comédies américaines les plus récentes. Jasmina (Mariola Fuentes), une jeune femme issue d'un milieu très modeste et résidant en banlieue, s'éprend d'un psychiatre interprété par Sergi López. Lui est riche mais tourmenté ; elle est pauvre mais incarne la supposée fraîcheur spontanée des gens humbles. Malgré tout ce qui les sépare et rend leur rencontre improbable, ils vont s'aimer. Dans un autre ordre d'idée, le récent succès du cinéma espagnol, Solas (1999), de Benito Zambrano, travaille au rapprochement entre les générations en mettant en scène les rapports entre une mère et sa fille.

En fait, la qualification sociale ou politique des personnages est devenue désormais inutile aux yeux de la plupart des cinéastes, soit qu'ils estiment qu'elle n'est plus apte à justifier les comportements, soit qu'ils récusent le déterminisme qu'elle induit. Le cinéma qualifié de cinéma du « désenchantement » qui s'impose dès le début des années 1980 a marqué, à cet égard, une étape décisive. Ce cinéma est l'expression de la défiance envers les idéologies et de la perte de confiance à l'égard des acteurs politiques ou sociaux qui en sont les vecteurs. L'adaptation sarcastique que propose Vicente Aranda du roman de Manuel Vázquez Montalbán, Asesinato en el comité central (1981), offre un parfait exemple de l'ironie et de la distance qui s'imposent désormais dès lors qu'il est question d'engagement politique ou social. Le repli sur l'individu va donc constituer la réponse logique à ce « désenchantement ». Pedro Almodóvar, anticipant ce qui pourrait s'apparenter à une critique de son non-engagement, déclare avec lucidité : « Si mes films ont un thème commun, c'est celui de la lutte pour l'absolue liberté individuelle portée à l'extrême, et cela peut être considéré comme une position politique. »[8]

La relation de l'individu au monde ne passe plus désormais par la revendication d'un statut social ou par un engagement de type politique au sens habituel du terme. Au contraire, les récits vont mettre l'accent sur la crise identitaire et existentielle de protagonistes perpétuellement en quête de leur équilibre affectif, rongés par leur constante indécision et leur incapacité à se situer dans la société. La marginalité fréquemment abordée à travers des personnages de drogués, de délinquants ou de prostitués sera perçue, bien souvent, comme l'aboutissement malheureux de parcours individuels malchanceux, quand elle n'est pas décrite comme un exotisme pittoresque[9]. Son évocation ne donne pas lieu à une critique sociale ou politique de la société qui la génère. Quant aux critères d'identification du spectateur, ils ne sont plus désormais de nature sociale ou politique puisque les principaux marqueurs d'identité des personnages sont devenus essentiellement d'ordre culturel ou générationnel.

Cependant, la sortie récente d'un certain nombre de films qui puisent leurs sujets dans les problèmes sociaux de leur temps, comme en réaction au cinéma que nous venons de décrire, nous obligent à nuancer notre propos. Venu d'Angleterre, peut-être, ou de France, un vent nouveau souffle sur le cinéma espagnol. Le voici qui semble découvrir les laissés-pour-compte de la croissance, l'envers du miracle économique, la complexité de la question basque. Même s'ils n'ont pas l'ambition de proposer une véritable critique sociale, certains films choisissent des personnages issus de milieux modestes. C'est le cas de Solas, que nous avons déjà évoqué. Si dans Celos (2000), Vicente Aranda poursuit une réflexion de portée universelle sur la passion amoureuse, il met néanmoins en scène des travailleurs chargés de récolter et de conditionner des oranges. D'un contenu plus ouvertement social, En la puta calle [Putain de rue] (1997) évoque la précarité et le chômage au travers de la déchéance d'un travailleur qui se rend à Madrid afin d'y trouver un emploi. Historias del Kronen [Histoires du Kronen] (1998) de Montxo Armendáriz ou Barrio (1998) de Fernando León mettent en scène la banlieue et sa jeunesse désemparée. Bwana (1996) d'Imanol Uribe découvre une Espagne raciste et repliée sur elle-même. Montxo Armendáriz avait ouvert la voie avec Las cartas de Alou [Les lettres d'Alou] (1990), évocation du sort que l'Espagne réserve aux nombreux émigrés qui franchissent ses frontières. Sa caméra nous avait fait découvrir la société espagnole à travers les yeux d'un jeune Sénégalais, Alou, finalement expulsé par les autorités. Enfin, d'une tonalité franchement politique, Yoyes d'Helena Taberna (1999), tente d'évaluer avec nuance et un certain courage les responsabilités des uns et des autres dans la situation du Pays basque.

On sent bien que ces films bousculent enfin l'image harmonieuse qu'une partie du cinéma espagnol s'était appliquée à édifier. Le discours mesuré et politiquement correct tend à s'effilocher dans des œuvres où s'exprime un sentiment d'injustice et de révolte dont on pouvait croire qu'il s'était éteint. Peut-être est-ce là le signe d'une timide remise en cause du consensus relatif aux structures politiques et sociales héritées de la transition ?

Si le cinéma, au même titre que la littérature et que d'autres modes d'expression et de communication, a contribué à faire appréhender les récentes mutations de l'Espagne, il a produit, dans un même temps, les clichés qui encombrent cette connaissance. En effet, en dépit de son indéniable diversité, le cinéma espagnol n'a pas manqué de forger ce que d'aucuns nommeront une doxa, pourvoyeuse de lieux communs et de stéréotypes, dont nous avons essayé de pointer ici quelques-uns des traits caractéristiques. Nous avons pu vérifier qu'à sa manière et sans se l'avouer, sans même faire de cette étape décisive de l'histoire nationale son thème privilégié, tout le cinéma espagnol contemporain reste gros des enjeux de la transition. La quête d'un consensus politique minimum (dont Raúl Morodo nous rappelle les trois principes fondamentaux : ne pas remettre en cause le système socio-économique, s'abstenir de rechercher d'éventuelles responsabilités concernant des faits passés, ne pas raviver la polémique sur le choix entre monarchie et république[10]) va trouver sa traduction dans un cinéma qui propose du passé une vision apaisée et réconciliatrice et du présent une image lisse et non conflictuelle. Il reste à savoir si l'Espagne se reconnaît dans cette image rassurante, illustration trop parfaite du slogan triomphateur que la version espagnole des Guignols de l'info fait répéter à la marionnette du Premier ministre Aznar : « España va bien »[11].

Notes
[1] Le lien entre une œuvre cinématographique et le contexte économique, social ou politique de sa création est parfois contesté au nom d'une légitimation artistique du cinéma et en réaction à une démarche déterministe qui succombe à la très contestable théorie du reflet. De fait, on ne saurait réduire la portée d'une œuvre d'art à la parcelle de réalité qu'elle prétend décrire. Ce serait sous-estimer la nature déformante du miroir qu'est le cinéma et réduire à peu de chose l'intervention créatrice de l'auteur. Cependant, nul ne songe à isoler les thématiques et les discours que le cinéma s'approprie et qu'il véhicule du contexte dans lequel il s'épanouit. C'est pourquoi, ce travail souscrit à une démarche intellectuelle qui admet l'interrelation entre la création et le contexte de son émergence même si elle n'entend pas réduire l'histoire du cinéma à la seule analyse de cette interdépendance.
[2] L'expression est empruntée au titre de l'ouvrage de Pierre Sorlin, Sociologie du cinéma, Paris, Aubier-Montaigne, coll. « Historique », 1977.
[3] Lorsque le film a été distribué en France, nous indiquons, entre crochets, son titre français. En janvier 1977, un commando terroriste pénétra dans un cabinet d'avocats de gauche spécialisés en droit du travail. Le choc fut immense dans la société espagnole.
[4] Xavier Ripoll, « Los Milicianos en el cine », Filmhistoria, VI(3), 1996, p. 292.
[5] La figure du président Companys est présente dans un autre film catalan, Som i serem (1982) de Jordi Feliu.
[6] Jean-Claude Seguin, « La "fictionnalisation" du franquisme dans le cinéma espagnol », Image/Imagen, actes du XXVe congrès de la Société des hispanistes français, université Lumière-Lyon 2, 1991, p. 105.
[7] Academia de las Artes y las Ciencias Cinematográficas de España.
[8] Cité par Peter Besas, Behind the Spanish Lens, Denver, Arden Press, 1985, p. 216.
[9] On pense, par exemple, au personnage d'Agrado dans Todo sobre mi madre [Tout sur ma mère] de Pedro Almodóvar (1999).
[10] Raúl Morodo, La Transición política, Madrid, Tecnos, 1984, p. 145.
[11] Nous proposons ici quelques éléments bibliographiques concernant la question : Peter Besas, Behind The Spanish Lens. Cinema under Fascism and Democracy, Denver Colorado, Arden Press Inc, 1985 ; John Hopewell, Out of the past, Londres, British Film Institutes, 1986 ; Antonio Lara, « El cine de la transición », Revista de Occidente, 54, novembre 1985, p. 123-137 ; José Enrique Monterde, Veinte años de cine español. Un cine bajo la paradoja. 1973-1992, Barcelone, Paidós, 1993 ; Manuel Trenzado Romero, Cultura de masas y cambio político : El cine español de la transición, Madrid, Centro de Investigaciones Sociológicas, 1999 ; Collectif, Escritos sobre el cine español 1973-1987, Valence, Filmoteca de la Generalitat Valenciana, 1989 ; « Les Chemins du cinéma espagnol (1975-1989) », Revue belge du cinéma, 28, hiver 1989.Retour

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