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Sortie DVD : Lost in the night d'Amat Escalante

A l'occasion de la sortie en DVD, cinespagne vous en dit plus sur Lost in the night ! Sortie en salles le 4 octobre 2024 et en DVD le 2 février 2024

Affiche
  • SYNOPSIS
Dans une petite ville du Mexique, Emiliano recherche les responsables de la disparition de sa mère. Activiste écologiste, elle s’opposait à l’industrie minière locale. Ne recevant aucune aide de la police ou du système judiciaire, ses recherches le mènent à la riche famille Aldama.

  • BIOGRAPHIE DU REALISATEUR

Amat Escalante, né en 1979, est un cinéaste mexicain autodidacte qui a commencé sa carrière au cinéma à l’âge de 15 ans. Après avoir réalisé deux courts métrages, il écrit et réalise son premier long métrage SANGRE, tourné dans la ville où il vit, Guanajuato, qui fait sa première à Cannes en 2005 en sélection Un Certain Regard, où il reçoit le Prix FRIPRESCI. Son second film, LOS BASTARDOS, est également présenté à Cannes en sélection Un Certain Regard en 2008. En 2013, il revient à Cannes pour son troisième film, HELI, cette fois en Compétition Officielle, pour lequel il reçoit le Prix de la mise en scène. Son quatrième film, LA RÉGION SAUVAGE, a été
présenté au Festival de Venise en 2016, où il remporte le Lion d’Argent du meilleur réalisateur. De 2018 à 2021, il a réalisé de nombreux épisodes de la série à succès NARCOS : MEXICO sur Netflix. Son dernier film, LOST IN THE NIGHT, était présenté en Sélection Cannes Première en 2023.

                                                          Amat Escalante  Vanguardia

  • ENTRETIEN AVEC LE REALISATEUR      

[…] Comment LOST IN THE NIGHT a-t-il démarré dans votre tête ?

Je n’ai pas réalisé tout de suite la complexité du film. Ma méthode d’écriture est d’accumuler des idées et de les agencer afin d’en tirer une histoire que je pourrais mettre en images. Un film est donc souvent le reflet d’un instant T dans ma vie. LOST IN THE NIGHT doit beaucoup à la pandémie, au changement soudain du monde : j’ai pu, à cette période, voir plus de films, réfléchir davantage et lire ces livres que je n’avais pas pris le temps de lire jusque-là. Dostoïevski, par exemple, et « Les Misérables » de Victor Hugo, un roman que je n’avais jamais ouvert parce qu’il est finalement très présent dans la culture mondiale. Et quand je l’ai lu, j’ai compris pourquoi il était important au sein même de l’Histoire du cinéma. J’ai aussi beaucoup marché, dans les montagnes, en écoutant des audiobooks. Je prenais des notes. J’avais très envie de comprendre la complexité des gens, leurs paradoxes, le bien et le mal qu’on a tous au fond de nous – ce qu’on retrouve dans les personnages du film d’ailleurs.

Il y a aussi une dimension métatextuelle dans le film puisque Rigoberto Duplas, le personnage de l’artiste contemporain, voit en Emiliano un sujet de travail artistique. En tant qu’artiste, particulièrement au Mexique, on remet sans cesse en question les sujets qu’on traite et les conflits qu’on souhaite évoquer à travers notre art. Chez moi, l’inspiration entraîne un questionnement moral sur l’exploitation de ces sujets. Ce questionnement devait être au centre du récit de LOST IN THE NIGHT. Dans mes films, je parle d’hommes et de femmes qui sont en lutte contre la société, contre le système ; ce sont à bien des titres des « victimes ». Et sur leur position de «victime », je bâtis un film. Il y avait une frontière très fine à explorer entre la tragédie, qui nourrit au final toujours les histoires dans les livres, les films ou les chansons, et une certaine ironie dans la manière dont je questionne mon travail au sein même du film. Avec LOST IN THE NIGHT, je crée une histoire sur un jeune Mexicain rendu vulnérable par sa situation socio-économique ; or, les gens qui créent de l’art, dans une société capitaliste, ont le temps et l’argent pour créer. Luis Buñuel, qui reste l’un de mes cinéastes préférés, a réalisé LOS OLVIDADOS, sur la misère de jeunes enfants qui vivent dans les rues de Mexico : c’est un film important artistiquement, mais aussi socialement car il voit, représente et humanise ces enfants, loin des clichés habituels. Buñuel a eu la liberté de faire ce film parce qu’il avait une situation confortable. Il a eu le temps et l’argent de réfléchir et d’être inspiré. Je ne critique pas, mais j’interroge. À mes yeux, Rigoberto n’est ni un bon artiste ni une bonne personne mais il travaille avec ce qui l’entoure. Il cristallise quelque chose qui, pour moi, est le cœur du film.

À quel point Rigoberto est-il inspiré de vous ?

Pas directement, mais c’est le personnage qui m’est le plus proche, forcément. Il est inspiré d’autres artistes, notamment plasticiens, dans le monde et au Mexique. Artiste contemporain, c’est un métier intéressant, facile à caricaturer, parce qu’il peut être jugé comme un peu ridicule. Je peux comprendre les actions et les motivations de Rigoberto et c’est ce qui rend le personnage intéressant à mes yeux. Moi aussi, je fais avec ce que j’ai, avec ce qui m’entoure. Ma différence radicale avec

Rigoberto, c’est que moi, j’essaie de rester honnête en- vers moi-même. De plus, dans mes films, comme dans ma vie privée d’ailleurs, j’ai développé une conscience sociale très forte sur mon environnement, qui est l’une de mes grandes sources d’inspiration. Je fais des films sans filtre, qui reflètent parfaitement ce que je pense et ce que je suis. J’ai une certaine éthique notamment dans mon travail avec des acteurs non professionnels par exemple, des personnes qui viennent des milieux dont je parle dans mes films, qui me nourrissent, qui se réapproprient mes scénarios au point de pouvoir réécrire des scènes. Ici, j’ai essayé d’appliquer ce même principe, mais avec des acteurs professionnels : j’ai choisi des comédiens qui viennent d’univers très proches de ceux de leur personnage. Le personnage de Carmen Aldama, une ancienne vedette de soap operas et chanteuse, est joué par Barbara Mori qui partage la même expérience. Monica, sa fille, est une star d’Instagram alors j’ai cherché une star d’Instagram qui était aussi une actrice et j’ai trouvé Ester Exposito. Perpétuer cette manière de faire m’a permis d’avoir moins peur de travailler avec des acteurs professionnels.

La première séquence de LOST IN NIGHT ressemble à ce qu’on peut attendre du réalisateur de LOS BASTARDOS ou HELI. Pourtant, alors qu’il traite toujours de la violence du pays, de la corruption policière, des conflits de classes, le film se fait ensuite moins graphique, plus sarcastique, plus philosophique que vos précédents longs-métrages.

Si on compare LOST IN THE NIGHT à mes précédents films, il subvertit certains codes, c’est vrai. J’aime utiliser l’humour, par exemple, car pour moi, la vie est ironique et souvent drôle. Et ce qui est drôle dans la vie rend les tragédies encore plus tristes. L’humour ajoute du réalisme car pour moi, la vie est pleine d’incessantes contradictions, dont on peut choisir de rire. J’essaie de faire des choses toujours différentes de film en film.

Dans LA RÉGION SAUVAGE, c’était un défi de cinéma, pour moi, de mettre en scène cette créature. Certains personnages de LOST IN THE NIGHT sont très nouveaux dans ma filmographie. Au-delà du fait de collaborer avec des acteurs professionnels, ce qui au fond n’est pas franchement important, je n’avais jamais raconté d’histoire avec ce profil social – et d’ailleurs Je n’avais jamais fréquenté de gens comme ça dans la vie jusqu’à NARCOS, où j’ai eu l’occasion de rencontrer quelques stars. C’était curieux et intéressant de me familiariser avec cet univers-là, avec la célébrité, l’illusion de célébrité dans ce monde moderne et virtuel. Si le sexe et le désir étaient les bêtes de LA RÉGION SAUVAGE, la « créature » de LOST IN THE NIGHT, c’est ça : ce nouveau milieu, ce phénomène qui pendant la pandémie a explosé puisque tout le monde était collé aux réseaux sociaux, à savoir la popularité, l’illusion du pouvoir et la manière dont ça obsède certaines personnes. C’est un sujet familier puisque chacun de nous a un téléphone à la main, et en même temps, c’est très éloigné des considérations du quotidien ; c’est une recherche de popularité et d’approbation et en même temps, une réelle source de frustration. C’est aussi contradictoire que la créature de LA RÉGION SAUVAGE, source de plaisir et de mort. [...]

De tous vos films, LOST IN THE NIGHT est peut-être celui où le storytelling visuel est le plus important. La maison, les décors, les costumes participent clairement au récit.

Nous avons longuement cherché la maison qui correspondait à ce que je voulais. Ce n’était pas tant son architecture qui me préoccupait que sa situation – il fallait qu’elle soit près d’un lac, car j’avais dans la tête tous ces films de « maison près d’un lac ». L’eau et ses profondeurs, ça me fait peur : que la maison soit près d’un plan d’eau rajoutait du mystère à l’histoire. On a cherché dans tout le pays, visité tous les lacs, mais au Mexique, c’était difficile à trouver dans notre budget… À l’exception de LOS BASTARDOS qu’on a filmé à Los Angeles, tous mes longs-métrages ont été tournés là où j’habite.
On a donc pris le parti, au final, de construire une maison près d’un lac, pas loin de chez moi. C’est donc une fausse maison, un vrai décor de cinéma, un plateau. L’architecte, Daniela Gallo, la production designer, Daniela Schneider, le chef opérateur Adrian Durazo, ont tous les trois conçu la villa en fonction du film que nous voulions faire. C’était un luxe. Mon père, qui est peintre, a créé la fresque murale que vous voyez dans le film. Le jardin a été conçu par un de mes amis, Noaz Deshe, qui est aussi réalisateur.

                                                    Photo maison - Petite

Le processus a été très collaboratif.

Les costumes ont été créés par Ursula Schneider, la cousine de Daniela, qui avait en tête qu’Emiliano se sentait et se comportait comme un soldat en mission. Ainsi, les vêtements qu’il porte sont comme du camouflage : il se vêtit en fonction des couleurs des décors. Il y a d’ailleurs une scène dans le bureau de Rigoberto où Emiliano se confond presque avec le mur. C’est un parti pris risqué mais qui est très payant. J’avais une vraie crainte sur les vêtements des filles, Carmen et Monica, car je n’avais jamais travaillé avec de tels costumes, des habits de designers, très voyants. Mais il y avait à mes côtés l’actrice Simone Bucio, que j’avais dirigée sur LA RÉGION SAUVAGE, et qui était là pour un caméo chez les Aluxes : elle s’occupait aussi un peu des costumes car elle est très portée sur la mode.

C’était un film assez compliqué à faire, même si nous restions dans un périmètre restreint : plus d’acteurs connus, un tournage à Guanajuato – qui est reconnu pour être l’un des endroits les plus dangereux du Mexique –, aucun service de sécurité… Mais comme je suis de là-bas, il nous a suffi de nouer des liens avec la communauté qui, en retour, nous a aidés à faire le film et à le nourrir d’une manière très créative. Ce n’est pas un endroit où une équipe de tournage peut débarquer et envahir l’espace. Il faut au contraire que ce soit l’espace qui vous envahisse. En revanche, la maison, elle, était une invasion de l’espace mais à dessein. Cela collait parfaitement aux personnages qui ne s’intègrent pas à l’environnement.

Dans LOST IN THE NIGHT, ce sont les personnages les plus jeunes qui réclament justice face à des adultes corrompus. Est-ce une coïncidence ?

Le monde appartient aux jeunes. Le futur repose sur leurs épaules. On a une responsabilité envers eux, on doit prendre soin d’eux. C’est triste pour moi quand on les abandonne. Emiliano a diverses options pour son futur. En choisir une, quand on est jeune, peut apparaître comme une décision toute simple alors qu’en réalité, il s’agit peut-être de la plus grande décision de votre vie… En vieillissant, on a des regrets. D’une certaine façon, c’est une des raisons pour lesquelles on a tendance à romancer nos jeunes années. C’est une illusion, bien sûr. Mais c’est une illusion intéressante. Comme je traite de sujets difficiles, je crois que les personnages jeunes m’apportent de la lumière. La sœur d’Emiliano aborde la disparition de leur mère d’une façon plus mature qu’Emiliano qui, lui, est plus irréaliste. Il a encore besoin d’en apprendre davantage sur la vie, d’être un peu plus corrompu, en un sens, et c’est ce que fait le film : il le corrompt d’une manière un peu triste. Emiliano apprend qu’il n’y a aucune justice facile à obtenir. Mais il essaie et cette énergie qu’il met à retrouver sa mère a un impact. Ce n’est pas rien… [...]

Entretien publié dans le numéro d’octobre 2023 de Cinemateaser

Source : Dossier de presse de la distribution Paname Distribution.
DVD édité par Blaq Out

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