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El príncipe : Une éducation carcérale

Cette première œuvre de fiction du directeur artistique Sebastián Muñoz, qui a auparavant coréalisé un documentaire sur le Hip Hop en Argentine, s’ouvre sur une image très violente : une blessure béante et du sang qui coule. Une entrée en matière qui nous met directement dans le cœur de l’action et surtout qui nous fait comprendre que le film ne nous épargnera rien. Et pourtant ce sera la seule image vraiment « gore » du film car la violence sera plus psychologique que visuelle.
Affiche

“Il y a deux manières de combattre, l’une avec les lois, l’autre avec la force. La première est propre aux hommes, l’autre nous est commune avec les bêtes.”
Le Prince de Machiavel

Cette violence est le propre de l’univers carcéral. L’action du film se passe entièrement à l’intérieur d’une prison chilienne, à l’exception des flashbacks qui sont les reflets des souvenirs du protagoniste. La violence vient des gardiens de prison qui agissent en toute impunité en maltraitant les détenus, et en les laissant s’entretuer. Mais elle vient surtout des prisonniers eux-mêmes qui appliquent la loi du plus fort, la loi de la jungle. Ainsi le début de l’intrigue carcérale fait-il penser aux classiques du genre : s’il veut survivre, celui qui arrive doit accepter d’ « être respectueux », c’est-à-dire obéir et surtout donner son corps. Le viol paraît inéluctable. Les êtres humains sont déshumanisés ; il faut avoir un surnom qui correspond souvent à un critère physique ou à une attitude. Jusqu’ici, rien de très nouveau et pourtant le réalisateur, autant sur le fond que sur la forme, a créé une œuvre vraiment originale.

« Dans l'état où sont désormais les choses, un homme abandonné dès sa naissance à lui-même parmi les autres serait le plus défiguré de tous. Les préjugés, l'autorité, la nécessité, l'exemple, toutes les institutions sociales, dans lesquelles nous nous trouvons submergés, étoufferaient en lui la nature, et ne mettraient rien à la place »
Emile ou de l’éducation de Jean-Jacques Rousseau

L’antihéros Jaime dit le Prince, en plus d’être un meurtrier, est une vraie bête sauvage qu’il faut éduquer. L’acteur Juan Carlos Maldonado est absolument génial : il a vraiment un regard bestial, animal, furieux. On le voit se traîner dans la boue et la terre comme un cochon. La scène la plus impressionnante est celle où il se roule par terre et se masturbe à l’endroit même où « el gitano » (l’objet de tous ses désirs) et une femme viennent de faire l’amour. « El potro », magnifiquement interprété par un acteur très connu au Chili, Alfredo Castro, va se charger de l’éducation de Jaime, et le rendre moins bestial. La société et le père de Jaime ont échoué ; « el potro » et la prison y arriveront-ils ? En tout cas, Jaime n’hésitera pas à dire qu’il préfère être en prison que dehors. Quelle sublime contradiction ! Nous sommes dans le Chili conservateur juste avant l’élection de Salvador Allende (les détenus écoutent ses discours), où les homosexuels étaient considérés comme des délinquants. En prison, l’homosexualité devient une norme et Jaime y rencontre surtout quelqu’un qui s’intéresse à lui. L’histoire entre « el principe » et « el potro » est cependant bien plus complexe qu’il n’y paraît. El potro est d’abord le père putatif et incestueux mais le rapport de force finira par s’inverser pour laisser place à autre chose.

« J’ajoutai enfin que sa taille était élancée, ses épaules larges et sa voix forte d’une assurance qui lui donnait la conscience de son invincible beauté »
Miracle de la Rose de Jean Genet

La psychologie du « Prince » est d’autant plus complexe qu’il est aussi très narcissique. Il y a une magnifique scène où il se regarde dans un miroir en se souriant. Les miroirs ou reflets sont d’ailleurs omniprésents dans le film : dans la cellule, les douches, la cabine d’essayage d’un magasin, et même une flaque d’eau ! « El potro » dit d’ailleurs à Jaime qu’il doit arrêter de se regarder dans le miroir. Ce dernier prend peu à peu conscience de la séduction qu’il exerce sur les autres. A ce titre, Sebastian Muñoz fait un clin d’œil très subtil aux spectateurs. Les prisonniers assistent à la projection du film Plein Soleil de René Clément. Et la comparaison entre le personnage de Tom Ripley et de Jaime ne s’arrête pas à leur côté narcissique. Leur désir pour l’autre répond aussi à un besoin de prendre sa place : Jaime aimerait à la fois posséder et être « el gitano » : il tente de reproduire son sourire, sa coupe de cheveux… et il va peu à peu tenter de devenir un nouveau « potro ».

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« Ces humeurs bouleversantes, le sang, le sperme et les larmes »
Querelle de Brest de Jean Genet.

Le côté narcissique est aussi une référence à Jean Genet. L’univers homo-érotique du film rappelle le livre et le film Querelle de Brest. La sexualité des hommes est violente et animale. C’est une exaltation du mal et des mâles. Certaines scènes peuvent être parfois assez crues. Si les scènes de sexe ne sont pas réelles, certaines scènes de masturbation et d’attouchement le sont. On peut d’ailleurs supposer que le réalisateur s’amuse du comportement voyeuriste que pourrait avoir le spectateur quand il nous montre « el potro » en train de se caresser quand Jaime lui raconte ses exploits sexuels. Un autre effet de miroir ? A noter : le film a obtenu le Queer Lion de la Mostra de Venise en 2019.

 

« Y hasta tu oído llegue la melodía salvaje »
Ansiedad de José Enrique Sarabia

En dehors de cette référence à un autre film, « el prncipe » a aussi des allures de tragédie antique. Le film semble découpé en trois ou quatre parties dont les étapes seraient marquées par la reprise de la chanson Ansiedad qui parle de désir amoureux « sauvage ». Le début du long-métrage filmé comme un clip musical semble déjà sceller le destin de Jaime : il s’avance lentement sur le rythme de cette chanson triste jusqu’à la dernière cellule dans laquelle il entre au moment où la musique s’arrête. Cette même chanson revient au cours d’un flash-back comme si elle revenait hanter Jaime. Juste après arrive un nouveau personnage important dans la prison, sorte de concurrent de « el potro », qui interprétera d’ailleurs une autre chanson sur l’amour passionnel Pasional, sorte de variation sur le même thème, avec laquelle il essaye d’attirer Jaime. La troisième reprise de la chanson Ansiedad laisse perplexe : on voit les prisonniers, dans un plan en plongée totale, serrés les uns contre les autres, scandant les paroles de la chanson et bougeant comme s’ils étaient en transe et tout d’un coup Jaime lève la tête pour chanter plus fort que les autres. On dirait une espèce de chœur antique. Cette dernière reprise de la chanson correspond à la dernière étape du film. Les flashbacks nous ramènent peu à peu au meurtre du début du film et en parallèle on sent qu’un événement tragique va se produire dans la prison.

Film inédit diffusé au Festival Reflets de Villeurbanne ( Dimanche 20 septembre à 20h45)


Sébastien Maury

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