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Miriam miente

30 Mars 2019
Un bain de fraîcheur, même s'il dénonce le racisme dans les Caraïbes et les préjugés de classe. Ce premier long-métrage des deux réalisateurs Natalia Cabral, la dominicaine, et Oriol Estrada, le catalan (auteurs de deux documentaires remarqués) a pour héroïnes deux jeunes filles bien différentes et cependant liées par une amitié indéfectible.
Affiche
Crise identitaire.

Miriam, métisse de presque quinze ans, attend avec impatience sa fête d'anniversaire. Sa mère l'organise en grande pompe et paillettes avec la mère de sa meilleure amie. C'est un passage obligé vers la vie d'adulte, où elles se doivent de montrer et leurs talents et leurs amoureux, issus normalement de leur petite société bourgeoise et frivole, blanche. Mais Miriam tarde à présenter le sien, d'abord car elle ne l'a pas vu en chair et en os, puisqu'elle l'a connu par chat. Ensuite parce qu'il n'est pas exactement celui que l'on attend...

Dès lors, elle va s'enfoncer dans une série de mensonges inextricables pour se protéger. Car lors de leur premier rendez-vous, elle découvre que ce jeune homme est... noir ! Malgré son prénom-ou pseudo- « Jean-Louis » laissait augurer une autre origine et fait fantasmer sa mère et ses amis. Ce jeune homme est aussi d'un autre milieu social.

En parallèle les deux réalisateurs nous montrent les angoisses et désirs de Miriam et le contraste des exigences et réalités de son milieu. La jeune fille est déconcertée et hésitante. Son monde tranquille s'effondre. La société dont elle fait partie, grâce aux efforts de sa mère -blanche- et contre son père -noir- n'a rien à voir avec les souhaits de la jeune fille.Il lui reste ses rêves, son entêtement à protéger son premier amour.

Le film est à la fois une critique féroce d'un univers frivole, d'une société fondée sur l'hypocrisie, le racisme, les préjugés de classe, et une chronique intime de l'adolescence. Il en révèle les tabous : l'union entre deux jeunes gens de races différentes est une déchéance. Il est aussi un regard plein de sensibilité et de charme innocent sur l'adolescence et ses émois, ses désirs qui vont –ou pas-oser se démarquer .

Les protagonistes sont empreints d'authenticité et filmés au plus près de leurs émotions , parfois difficilement avouables et pourtant évidentes pour le spectateur. Dulce Rodriguez, qui est Miriam, est époustouflante de vérité, d'un naturel désarmant. Le décalage entre les aspirations des unes et des autres-principalement les mères et les filles- est à l'image du drame qui se noue.Il s'agit d'une crise identitaire, qui nous est dévoilée peu à peu avec une attention et une observation sensibles.

Le racisme ignoré.

Les deux réalisateurs ont étudié conjointement le cinéma à Cuba. Natalia est dominicaine et, à ce titre, avoue dans une interview que ce film est en partie autobiographique, et reflète une réalité qu'elle connaît bien. En République dominicaine, épouser un blanc c'est « arreglar la raza » ; dans le film, ce sont les injonctions répétées de la mère de Miriam « Tu t'es lavé le visage ? », « Tu as bien peigné tes cheveux ? », « Qu'ils sont beaux comme cela !(lissés) » qui nous prouvent entre autres son souhait d'oublier et de faire oublier la couleur et l'origine de sa propre fille, de même qu'elle cherche à dévaloriser son père. Ainsi, elle crée chez sa fille une insécurité, une timidité et un manque de confiance en elle et en ses sentiments. Les noirs se croient inférieurs car la négritude, c'est la pauvreté.

Selon la réalisatrice, la meilleure façon de lutter contre le racisme est d'abord de parler de sa propre vie. C'est cette authenticité qui provoque l'empathie du spectateur, qui s'identifie à Miriam. La surprise viendra de l'attitude de sa meilleure amie, et de celle du fiancé presqu'imaginaire...

Difficiles prises de position : la sortie du film dans les Caraïbes a d'ailleurs suscité une polémique, des menaces contre les auteurs (également producteurs).

Une peinture sociale réussie, un film qui suscite l'intérêt et qui émeut. Une habile conjugaison des souhaits et des réalités qui sont le propre de l'adolescence.

Françoise Claire Buffé-Moreno

Film vu à l'occasion du festival Cinélatino de Toulouse, Mars 2019. 

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