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Magical Girl : trois êtres sous influence

La palpitante comédie dramatique de Carlos Vermut, composée d'histoires croisées qui tournent très mal, a remporté, lors de la 62éme édition du festival de Saint Sébastien, la Concha d'Or du meilleur film et la Concha d'argent du meilleur réalisateur.

Magical girls, un film de Carlos Vermut
Carlos Vermut, le réalisateur de Magical Girl, manifestement nourri de fanzines et de bande dessinée, faisait peut-être partie de ces enfants atteints d'un trouble de déficit de l'attention : il se dit incapable de suivre le fil narratif d'un film si celui-ci comporte beaucoup de sous-récits et si la trame est compliquée. C'est pour cela que les deux seuls films qu'il a faits à ce jour sont divisés en plusieurs chapitres qui lui permettent d'ordonner le récit, reconnaît-il. Dans Diamond Flash, il y avait trois trames : Famille, Identité et Sang. Dans Magical Girl, les trois volets font partie de la même intrigue, qui suit d'abord un personnage en particulier puis se concentre sur un autre, bien que les points de vue continuent de varier et que les ellipses soient nombreuses. À l'image du disque, sorti en 1970, de Los Brincos, un groupe des années soixante, les trois chapitres du film s'appellent : Monde, Démon et Chair. Ces notions, qui renvoient aux trois ennemis de l'âme : l'argent, Satan et le sexe, le réalisateur, athée, les a fréquentées enfant, au catéchisme. Ces trois mots, qui ont failli devenir le titre du film, représentent les obstacles auxquels se heurtent les personnages : le monde est l'ennemi du père de l'enfant malade en phase terminale (Luis Bermejo), car il n'a pas d'argent ; le démon possède la femme fatale (Bárbara Lennie) ; et, dans le cas du professeur qui sort de prison (José Sacristán), c'est la chair qui l'a condamné.

Le film fait clairement appel au symbolique, à l'irrationnel et à l'intuition, faisant confiance au public pour compléter lui-même les suggestions, les silences et les blancs qui émaillent le récit. Il le laisse aussi imaginer tous les mystères qu'il recèle et qui, nourris par l'imagination du spectateur, n'en sont que plus terrifiants. C'est que Vermut (un pseudonyme alcoolisé) s'intéresse beaucoup plus aux personnages qu'à la trame du récit. C'est pour cela que le réalisateur madrilène place leurs visages au centre des plans, nus et sans ornements superflus : il nous laisse vivre l'intensité qu'il peut y avoir dans un regard, une conversation, un geste. C'est ainsi que l'on découvre son monde, un monde où la beauté est partout, même dans un vieux bistrot de quartier – c'est d'ailleurs là qu'a lieu une des scènes les plus chargées en émotion du film.

En effet, la fatalité nous rattrape au tournant et l'homme est bien vulnérable quand il sort de son périmètre de sécurité, comme ce père de famille qui se trouve pris dans des imbroglios impossibles, un peu à la Fargo (dont l'humour noir, parfois amer, est une des références de Vermut). Dans Magical Girl, le désastre est provoqué par la passion la plus extrême que l'on puisse imaginer : l'amour infini d'un père pour sa fille. C'est ce sentiment absolu qui l'entraîne dans un engrenage terrible dont il perd le contrôle. C'est aussi par passion (bien qu'elle soit plus souterraine et inqualifiable) qu'un enseignant perd le contrôle de sa vie et tombe dans le crime. Comme dit le film : selon ce qui nous arrive, nous sommes tous des assassins en puissance.

Tout cela (et bien plus) fait de Magical Girl un des films les plus surprenants, originaux et perturbants de la nouvelle saison cinématographique en Espagne. C'est une tragicomédie où le spectateur commence par rire, avant de sentir son visage pétrifié en un rictus qui confirme qu'on assiste là aux débuts d'une carrière qui promet d'être aussi brillante qu'atypique. Vermut propose un langage et une esthétique si nouveaux qu'après seulement deux films, il est déjà une figure du nouveau cinéma espagnol, celui qui est en train de rompre avec les postulats plus classiques du cinéma qui le précède.

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