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Le cinéma espagnol garde les yeux grands ouverts

03 Avril 2014 | 15 Avril 2014
Focus sur trois films présentés en compétition officielle au Festival du Cinéma Espagnol de Nantes : Vivir es fácil con los ojos cerrados, 15 años y un día et La por.
Le cinéma espagnol garde les yeux grands ouverts
Au palmarès de cette 24ème édition du Festival du Cinéma Espagnol de Nantes, le réalisateur David Trueba remporte le tant convoité prix Jules Verne, ainsi que le prix du Public, pour son film Vivir es fácil con los ojos cerrados (Il est facile de vivre les yeux fermés). Grand vainqueur des Goya 2014 (les César espagnols) avec six récompenses dont celle du meilleur réalisateur, Trueba est en passe de devenir le petit chouchou du cinéma hispanique. Rappelons qu'il était reparti bredouille en 2012 à Nantes avec Madrid 1987, film poétique et sarcastique. Le frère cadet de Fernando prend donc une belle revanche.

Le Jury Jules Verne a tenu également à récompenser La por (La peur) du catalan Jordi Cadena, en lui attribuant une mention spéciale. « Deux films nécessaires et complémentaires » selon le Jury. La por remporte aussi le prix du Jury Jeune. « Nous l'avons récompensé pour son esthétique magistrale, la construction minutieuse de chaque scène, la vraisemblance de son histoire, l'émouvante tragédie qu'il raconte et la tension omniprésente »

Vivir es fácil con los ojos cerrados : un road-movie rock'n'roll sous le soleil andalou

Vivir es facil con los aojos cerradosEspagne, 1966. Antonio San Roman est un jeune prof d'anglais dans un collège d'Albacete. Pour initier ses élèves à la langue de Shakespeare, il utilise les chansons des Beatles. Mais Antonio a un rêve, celui de rencontrer John Lennon. Dans sa petite Seat 850, il va partir à la recherche de son idole en plein désert. En chemin, il croise la route de deux jeunes fugueurs...

Autour du film : Dans Vivir es fácil con los ojos cerrados, fiction et réalité s'entremêlent. Living is easy with eyes closed, traduction anglaise du titre du film, est une chanson que composa John Lennon lors de son séjour à Almería en 1966. A cette époque le musicien, en pleine crise existentielle, s'essaye alors au métier d'acteur. Mais les références historiques ne s'arrêtent pas là : le film s'inspire aussi de Juan Carrión et de sa méthode d'apprentissage de l'anglais. Un professeur qui a réellement existé dans l'Espagne franquiste.

L'histoire : David Trueba présente son film comme un hommage à la génération de ses parents. A sa façon, il aborde la fin du franquisme dans une Espagne alors autoritaire et intransigeante. Sur fond d'image jaunie par le soleil du désert, trois personnages vont se rencontrer et se comprendre malgré leur différence d'âge. Belén, une jeune femme qui cache un secret dans son ventre, et Juanjo, un ado de 16 ans qui ne veut pas qu'on lui coupe les cheveux. Tous deux, paumés, sont prisonniers d'un certain mal-être dans un pays qui ne les accepte pas. Chacun à leur manière, ils fuient l'autorité. Et puis il y a Antonio, qui orchestre ce petit monde. Au fur et à mesure, une réelle empathie pour les personnages s'installe. Et c'est presque avec une certaine nostalgie que l'on quitte le trio à la fin.

Les acteurs : Saluons ici l'interprétation de Javier Cámara qui lui a valu un Goya. Dans ce rôle de groupie, l'acteur est à la fois cocasse et touchant. Natalia de Molina, alias Belén, a remporté le Goya du meilleur espoir féminin. Avec Vivir es fácil con los ojos cerrados, David Trueba prouve encore une fois qu'il sait manier avec brio l'humour grinçant, et confirme donc son talent pour la comédie.

Egalement présenté en compétition officielle, le long métrage de la madrilène Gracia Querejeta (fille du producteur Elías Querejeta), 15 años y un día (15 ans et un jour) trouve écho au film de Trueba, mais à une autre époque.

15 anos y un dia15 años y un día : une génération paumée ?

L'histoire : Jon, 15 ans, est un ado turbulent. Elevé seul par sa mère, il aime traîner avec des mauvais garçons. Quand il est exclu du collège, sa mère, totalement désarmée, décide de l'envoyer chez son grand-père. Ancien militaire à la retraite, cet homme strict vit comme un ermite dans sa grande maison. Tous deux vont avoir du mal à se comprendre, mais un tragique évènement viendra les rapprocher.

Au-delà du mal-être lié à l'adolescence que le film aborde, 15 años y un día est aussi un état des lieux de la société actuelle : le manque de perspectives d'avenir pour les jeunes, mais aussi la perte de repères et la délinquance. Gracia Querejeta brosse ici le portrait d'une jeunesse désenchantée. Le film, teinté d'humour, hésite entre la comédie et le mélodrame, entre les rires et les larmes, pour finalement prendre une tournure dramatique. Et même si le constat reste amer, 15 años y un día se termine sur une note d'espoir. Lors du Festival de cinéma de Malaga en 2013, le film a obtenu pas moins de quatre prix.

Face à face avec la peur

La por, de Jordi CadenaL'histoire : Derrière des apparences d'adolescent équilibré et heureux, Manuel, 16 ans, vit chez lui un enfer. Violent, son père s'en prend régulièrement à sa mère et traumatise toute la famille. Manuel est incapable d'expliquer ce qu'il se passe réellement, que ce soit à sa petite amie ou à ses copains.

Une porte claque, et la vie qui s'était figée reprend peu à peu son cours, pour venir se suspendre à nouveau quand rentre le père. Prisonniers de leur peur, Manuel, sa petite sœur et leur mère vivent en sursis.

Il avait déjà marqué le public avec Elisa K (2010), film coup de poing qui abordait les séquelles du viol. Avec La por, le catalan Jordi Cadena se penche sur la violence conjugale. Un sujet tabou, encore trop ignoré dans le cinéma français. Dans ce film, le réalisateur choisit de montrer le point de vue du fils aîné, loin de celui de la victime. Usant des plans serrés, il filme la peur à travers les visages, les regards, les gestes et les silences. Le corps de la mère porte les stigmates de cette violence, que le réalisateur a choisi de ne pas montrer à l'écran. Le film, presque mutique, est d'autant plus percutant qu'il laisse le spectateur face à face avec la peur. Jordi Cadena a donc fait le choix de la pudeur en suggérant plutôt qu'en montrant. Le réalisme violent et la cruauté qui se dégage de la dernière scène laisse le public déstabilisé et secoué. « C'est un film à questions, pas à réponses », comme l'avait annoncé le réalisateur lors de la présentation du film au Festival.

Qu'ils soient comiques ou dramatiques, appartenant au passé ou au présent, ces trois films ont en commun de montrer une société sans fard, mais surtout une réalité brute et parfois cruelle. Trois films qui, à leur manière, nous prouvent donc que le cinéma espagnol garde les yeux grands ouverts et ne tourne pas le dos à la réalité.

Elise Chevillard

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