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Carlos Marqués-Marcet - 10 000 km

Le film n'est pas strictement autobiographique, même s'il se base en partie sur ma propre expérience 
Le réalisateur de 10 000 km nous livre dans cet entretien la manière dont il a pensé le film et travaillé avec les acteurs Natalia Tena et David Verdaguer. Il cherchait avant tout une grande complicité des interprètes, qui ont enrichi le scénario lors des répétitions et improvisations.
Carlos Marqués-Marcet - 10 000 km
Quelle est l'origine de ces "10.000 kilomètres" ?

L’idée est née quand je suis parti vivre et étudier à Los Angeles grâce à une bourse. Quand je suis arrivé là-bas, je me suis rendu compte que j'avais d'un côté mes amis de Barcelone, avec qui je parlais par Skype, et de l'autre, les nouvelles personnes que je rencontrais. J’ai remarqué que pour parler avec mes proches en Espagne, j'utilisais les mêmes outils que pour faire des films. J'avais une caméra, un écran et, d'une certaine manière, je devenais le propre réalisateur et acteur de ces échanges en choisissant le cadre, ma position et en jouant avec le hors-champ. Mon interlocuteur faisait de même, et je ne savais pas ce qu'il portait en dehors du cadre, s’il portait des chaussures par exemple. C'est au moment de la visite d'un ami, le photographe Aleix Plademunt (celui qui a fait les photos du projet d’Alex dans le film), que le personnage d'Alexandra est né dans ma tête. J'ai pensé qu'il serait plus intéressant si c'était elle qui partait, et je profiterais de son métier de photographe pour montrer la ville de Los Angeles. Sergio est apparu ensuite, et j'ai commencé à recueillir autour de moi des histoires de personnes qui vivaient la même situation. Une tâche très laborieuse. Le film n'est pas strictement autobiographique, même s'il se base en partie sur ma propre expérience.

Étant donné les spécificités du film, est-ce que le choix des acteurs a été difficile ?

Nous avons eu de la chance ! Il y a trois ans, quand nous cherchions à financer le film, nous avons décidé de faire un court-métrage à partir de séquences tirées du scénario. Nous voulions expérimenter l'approche visuelle et faire un teaser de cinq minutes qui nous aiderait à convaincre des financeurs. Pour ce court-métrage, nous avons réalisé un large casting avec des acteurs de Barcelone. Le plus important pour moi était que les deux acteurs s'entendent et qu'il s’opère une alchimie entre eux. Sinon, le film n’aurait eu aucun sens. Évidemment, nous avons beaucoup travaillé en répétition, mais il fallait que ces bases soient là. Grâce au court-métrage, nous avons pu obtenir un financement, mais cela nous a obligé à trouver une actrice plus renommée. A six semaines du tournage, l’actrice choisie nous apprend qu'elle ne pourrait pas être présente à cause d'un autre tournage dont les dates avaient été changées. Ma productrice à Los Angeles, Jana Diaz Juhl, a alors pensé à Natalia Tena. Nous avons contacté son agent, nous lui avons fait une offre, et puis, quatre semaines avant le tournage, elle nous a donné son accord. Nous sommes alors allés la rencontrer à Londres avec David Verdaguer et, au bout de cinq minutes, j'ai su que cela fonctionnerait, l'alchimie opérait. Évidemment, pour chacun des personnages nous cherchions des traits spécifiques. Dans le cas d'Alex, nous recherchions une actrice avec beaucoup de force, très masculine et sensuelle à la fois, qui serait capable de porter le rôle avec une grande intensité. Elle interprète un personnage qui ne parle pas beaucoup, mais qui, quand elle le fait, exprime beaucoup de choses. En contrepartie, pour le personnage de David, nous avions besoin de quelqu'un de drôle et de bavard, l'antithèse d'Alex, mais qui, dans le fond, ne dit pas grand-chose.

Dans le générique, vous créditez les acteurs comme auteurs des dialogues additionnels. Comment ont-ils participé à ce processus créatif

Le processus a été complexe. La plupart des dialogues étaient écrits. Nous avons beaucoup travaillé les scènes en répétitions. Nous lisions la scène et ensuite je leur demandais "ça va donner quoi ?". Je voulais savoir s'ils avaient compris les enchaînements, les intentions qu'ils devaient apporter pour que le premier personnage entraîne l'autre à faire quelque chose. Toutefois, ce qui existe dans le texte est important sans être déterminant. Tu peux dire parfois à une personne que tu la détestes, tout en lui exprimant l’amour que tu lui portes au fond de toi. J’ai cherché à explorer toutes les possibilités qui existaient dans le texte. En répétition, nous avons plusieurs fois enregistré des improvisations sur un smartphone. La nuit, je visionnais ces vidéos avec ma scénariste, Clara Roquet, et nous retenions tous les éléments qui nous semblaient spontanés et qui nous plaisaient, pour ensuite les injecter dans le scénario. Pour cette phrase que dit Alex, "je t'envoie un enfant par mail", nous avions regardé cette scène avec les acteurs et ils nous ont fait cette suggestion que nous avons trouvée plus juste et qui révèle aussi le sens de l'humour de David et Natalia. Pendant le tournage de scènes moins dramatiques, je leur donnais la liberté d'improviser à certains moments. De ces moments ont surgi trois ou quatre plaisanteries ou phrases que nous avons gardées. L'improvisation me plaît beaucoup, mais je sais qu'il est très dangereux d’en dépendre totalement, c’est pourquoi je cherchais une sorte "d'improvisation contrôlée".

Skype possède une sonnerie très reconnaissable, et ceux qui ont expérimenté une relation à distance savent, pour le pire ou pour le meilleur, que cette musique est marquante. Mais dans le film la sonnerie Skype ne sonne pas de la même manière. Pour quelle raison ?

Pour le court-métrage, nous avons utilisé cette sonnerie qui emmène directement à des émotions concrètes. Si tu as connu une relation à distance, tu peux vite finir par la détester. Mais lorsque nous avons tourné le film, nous avons contacté Skype pour leur demander les droits et ils nous ont répondu : "Oh la la ! S’il y a une scène de sexe par Skype, nous ne pouvons pas vous donner notre accord !". Comme si jamais personne n'avait utilisé Skype de cette manière. C’est pour cette raison que nous avons finalement utilisé un autre logiciel.

Et pourquoi avez-vous choisi la chanson "El dolor de la belleza" du chanteur catalan Roger Mas ?

Nous avons choisi la chanson avant le tournage. En réalité, je voulais construire le film autour de trois chansons. Une chanson pour chaque langue : l'anglais, le catalan et l’espagnol, plus la chanson de Roger Mas. La voix du chanteur a quelque chose qui me rappelle celle de David. Cette façon de mettre une chanson sur le mur (Facebook) d’une personne exprime aussi beaucoup de choses. Les paroles "quand tu pars, tu laisses la porte ouverte, puis tu reviens, tu n'es plus le même", c'est comme un message qu’il veut lui transmettre. Je l'ai aussi choisie car le personnage n'est pas un hipster moderne, il mélange le contemporain et le traditionnel de façon presque contradictoire. Au final, nous avons décidé de ne pas sous-titrer la chanson en estimant que la lecture des paroles éloignerait le spectateur de l'émotion du personnage.

Avez-vous tourné aux États-Unis ?

J’en avais eu l’idée et nous voulions le faire. La société de production américaine La Panda est arrivée juste au moment de préparer le tournage, et je me suis dit : "Ce serait super de le faire pour de vrai". Je voulais tourner dans ma maison de Los Angeles, et comme nous avions l'équipement et les techniciens, il n'y avait pas réellement de différence de coûts. Mais Natalia est arrivée si tard dans le projet qu'il n'y avait plus de marge pour les vols. Pour cette raison, nous avons tourné à Barcelone. Les photographies de Aleix Plademunt qui datent de 2011 ont réellement été faites à Los Angeles, et aussi la vidéo tournée en 16mm depuis la fenêtre de ma voiture.

Avez-vous remarqué une différence entre le public américain et espagnol dans les festivals de South by Southwest (Austin) et celui de Málaga ?

Le public nord-américain a beaucoup ri. Il a trouvé amusant de se voir représenté depuis un point de vue extérieur, habitués qu'ils sont à s’identifier par eux-mêmes ou à regarder des réalités différentes de la leur. Par exemple, la phrase "ils ne mangent pas de lapin, ils les ont en mascotte" a beaucoup fait rire. C’est un public en général très reconnaissant et fasciné. À Málaga, c’était difficile au début. Le public était plus diversifié, multi-générationnel, et moins cinéphile qu'au South by Southwest. Le public de Málaga a pris du temps pour rentrer dans le film, ils ont commencé à rire assez tardivement. En Autriche, le public était spécial, les gens ne riaient pas autant car ils sont sans doute plus sérieux, mais, pour autant, ils ont fini par nous donner le prix du public. Dans chaque endroit, le public se comporte d’une manière différente. Regarde, par exemple, au Festival de Cinéma d'Autor de Barcelone, les gens riaient énormément. Cela dépend de beaucoup de choses...

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