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El otro país

El otro país

Esteban Cuevas
Documentaire | Argentine | 2020 | 1h 29min
38e Rencontres du cinéma latino américain
Quel autre pays ?
Les paroles de cette chanson disent : He visto al otro país  / Descalzo en el arenal / Con ojos de cunumí / Preguntándonos por la dignidad...
Et bien c'est exactement ce que ce documentaire soulève en nous : où se situe la dignité d'une équipe cinématographique lorsqu'elle réalise un outil de propagande ? Jusqu'où le cinéma est-il prêt à se faufiler pour exister ? Un documentaire qui ne va que dans une seule direction est-il un documentaire ? Un documentaire qui fait référence aux actions dites remarquables d'un gouvernement, est-il un documentaire ?

Le programme « Seguimos educando » mis en place au lendemain de l'annonce du confinement tente de répondre aux besoins de l'Education en République d'Argentine. Le documentaire fait parler ce programme qui veut éviter une période de rupture dans le consensus éducatif (2016-2019) ce qui a fait augmenter, d'après les données proposées via des cartes conceptuelles dignes d'élèves de seconde, la pauvreté et les inégalités. Il nous informe sur son fonctionnement, sa raison d'être et ses acteurs. Le dispositif de El otro país est transparent : faire un montage sensationnaliste d'une série d'images de salles de classe, d'écoles, de paysages de la capitale et de quelques lieux retirés, d'images télévisuelles avec des fragments d'entretiens de politiciens en place, de sociologues, de directeurs d'écoles, de scientifiques, de secrétaires, d'enseignants et autres. Tous en lien de près ou de loin avec la mise en place et le développement du programme d'état. Un air de publicité qui dure le temps d'un long-métrage... De la propagande ?!

El otro país est un film dans lequel se superposent des voix qui s'élèvent face à l' « aislamento preventivo y obligatorio » en Argentine et à la suspension des cours le 15 mars 2020. Elles jacassent pour expliquer les tenants et les aboutissants de cette aide qui, de manière prévisible, connaît un tel engouement qu'elle en serait un modèle pour d'autres pays d'Amérique latine. Cette multiplicité des voix, des lieux filmés, des images récupérées ne donne en rien de l'épaisseur au sujet mais « fictionne » la réalité telle que l'écrivait Jorge Luis Borges avec ses Ficciones. En ce sens, les interventions du président Alberto Fernández sont l'apothéose des raccourcis du film et de la vision unilatérale qu'il propose. Son ton pourrait même être perçu comme irrespectueux, un manquement à la pudeur, en dualité entre la ville et la campagne, entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Entre Buenos Aires et les autres (Le Río Negro, El Foyel, le Barrio ejército de los Andes, Munro, Neuquén, etc.).

La problématique a l'honneur d'être claire: « Cómo sostener la educación sin la presencialidad?" Pour ce qu'il en est du reste, il relève de l'autocongratulation pour les réponses apportées par l'Etat et par quelques bonnes âmes à son service. Ainsi, à partir de là, ce sont tour à tour les biens distribués qui sont évoqués : les manuels scolaires, les ordinateurs, la connectivité, l'outil médiatique télévisé « Seguimos educando » avec son respectif programme radiodiffusé lancé avec fierté par Nicolás Trotta. De surcroît, il ne se prive pas de dénoncer le manque d'investissement du gouvernement antérieur ni de louer sa propre réactivité « El día 16, lo teníamos todo listo para seguir educando ». Quelques témoignages de mères récités de mémoire à l'écran, remerciant l'aide fédérale qui semblerait leur avoir été plus que suffisante. Les cantines pour les familles dans le besoin tenues par quelques bénévoles dans des cuisines funestes, les sacs distribués dont nous ne verrons jamais le contenu...Qu'importe, le « Viva la patria » final entonné par des enfants était, à mon avis, de très mauvais goût.

Nous voyons dans ce film une expression complaisante qui aurait peut-être pour but de séduire les potentiels électeurs en les informant des actions du gouvernement en place. D'un point de vue cinématographique, rien d'extraordinaire sinon de jolis plans pilotés (usage de drones) d'avenues vides, de Buenos Aires pour la plupart. Une interrogation subsiste sur la justification de poétiques plans de transitions : des façades d'immeubles filmées à la nuit tombée, la lumière de certains appartements encore allumée, très peu de mouvements dans ces logements. Peut-être que cette piste narrative aurait été plus intéressante à emprunter pour parvenir réellement à « igualar las asimetrías » ? Ou encore cette photographie derrière une intervenante qui n'est certainement pas là par hasard. On y voit les manifestantes aux foulards verts pour la Loi sur l'avortement adoptée depuis 2020 (Cf. Femmes d'Argentine).

Film vu en ligne aux 38e Rencontres de cinéma latino-américain.

Pubié le 30 mars 2021.

Marie-Ange Sanchez


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