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Diógenes

Diógenes

Un Film de Leonardo Barbuy La Torre
Avec Gisela Yupa, Cleiner Yupa, Jorge Pomacanchari
Drame | Pérou | 2022 | 1h20
Diógenes, ou du cynisme dans les Andes péruviennes
Diogène arpente les rues d’Athènes, armé d’une lanterne en plein jour, à la recherche d’un véritable être humain, et préfère, dans cette attente, la compagnie de ses chiens. Le personnage et son attitude marginale ont marqué l’histoire universelle, et dans ce long-métrage péruvien, le réalisateur se saisit de l’archétype pour le croiser avec une histoire individuelle, celle d’une famille andine.

1. Diogène loin des hommes 

Après Retablo d’Álvaro Delgado Aparicio (2017), qui donnait à découvrir une famille d’artisans fabriquant des retables à Ayacucho, Leonardo Barbuy, La Torre, primé à Málaga de la biznaga d’argent pour le meilleur film ibéro-américain et le meilleur réalisateur, explore cette fois le contexte de création des tablas de Sarhua. Ces planches de bois peintes à même l’écorce, déclarées Patrimoine Culturel de la Nation au Pérou depuis 2018, racontent des scènes de la vie quotidienne des habitants de la région. Diógenes (Jorge Pomancanchari), avec ses deux enfants et loin de leurs congénères, vit de la vente des peintures pour subvenir aux besoins de sa famille.

 

2. Diogène, les chiens et la terre

On est sensible à l’importance accordée au rituel du feu et au rapport à la terre. Terre nourricière, mais aussi terre qui permet de se séparer en paix des morts. Car la mort est omniprésente : la mère absente, le cadavre du chien dès le premier plan, mais aussi la mort de Diogène lui-même. Comment représenter la disparition à l’écran ? Quel rythme choisir pour accompagner les personnages ? Comment passer du déni à l’acceptation ? Comment se fait le travail du deuil ? Autant de questions auxquelles Barbuy La Torre propose des réponses pudiques et sensibles. On se souviendra par exemple de la procession funèbre des deux enfants, Santiago et Sabina, incarnés respectivement par Cleiner Yupa Palomino et Gisela Yupa Chuchón, reproduisant les rites observés par leur père avec leurs chiens, gardiens de la famille.

 

3. Diogène et le silence

C’est un fim qui s’écoute et qui se laisse contempler, d’une savoureuse lenteur, où chaque détail est signifiant, et le premier plan donne le ton. Les arbres, témoins séculaires et silencieux, y sont comme des personnages supplémentaires, et le soin apporté au son du vent que l’on entend entre les feuilles montre cette inscription des êtres humains dans leur environnement. Tourné en quechua, le long-métrage pourrait sembler déroutant pour qui ne connaît pas la culture andine, et pourtant…  On écoute avec attention et curiosité l’histoire des dieux que l’on se raconte à voix basse, ces mythes et légendes qui circulent dans l’air, la nuit, avant de s’endormir.

 

4. Diogène et la lanterne 

L’esthétique du choix du noir et blanc, fréquent dans le cinéma péruvien contemporain, permet ici de dépeindre la région d’Ayacucho, dans les Andes péruviennes, et cette famille, qui résiste à l’épreuve de l’histoire, du temps et de la violence. Certains plans-portraits sont dignes des photographies de Martín Chambi, dans les lignes des visages, des vêtements, dans les détails des mains, des pieds, des lèvres, par une lecture à mi-chemin entre le naturalisme et la poésie. Le travail de la photographie de Musuk Nolte et Mateo Guzmán est en ce sens remarquable. Mais plus encore : on est attentif à la pudeur de la caméra, car l’action se trouve parfois dans le hors-champ. Ainsi, on ne verra pas les visages lors des funérailles, mais plutôt le geste de l’enterrement. Les panoramiques – verticales, horizontales, à 180° - sont une trouvaille qui fait l’originalité du regard de ce jeune réalisateur.

 

5. Diogène, reflet d’une Histoire

Mais ces éléments esthétiques disent bien plus. De même, au-delà du récit cosmique qui nous rappelle que l’histoire se répète toujours, le passé récent du Pérou est présent en filigrane. Au plafond peint de la demeure de Diógenes, on voit des personnages couverts de capuches noires et des scènes de violence qui évoquent le conflit armé interne et inscrivent ce film dans la thématique de la « postviolencia ». Les tablas de Sarhua, en tant qu’expression culturelle, et sublimées dans ce film, ont donc beaucoup à dire sur la valorisation nécessaire des pratiques artistiques et sur le travail de mémoire historique à l’œuvre au Pérou.


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