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Affiche

20000 espèces d'abeilles

Un Film de Estibaliz Urresola Solaguren
Avec Sofía Otero, Patricia López Arnaiz, Ane Gabarain
Drame | Espagne | 2023 | 2h08
20.000 espèces d’abeilles : une lumineuse quête d’identité
Premier long métrage fictionnel de la réalisatrice Estibaliz Urresola Solaguren, 20.000 espèces d’abeilles sort dans les salles françaises ce 14 février. A travers l’histoire d’une petite fille trans en quête d’identité, ce film brosse aussi le portrait de trois générations de femmes. Un film lumineux récompensé par 3 Goya lors de la 38e édition qui s’est tenue le 10 février 2024 à Valladolid.

Un petit village basque en pleine nature, c’est le décor choisi pour développer l’intrigue de ce film essentiellement féminin. Ane débarque dans son village natal avec ses trois enfants chez sa mère, là où vivent également sa soeur et sa tante Lourdes. Élément annonciateur d’une rupture, le père des enfants n’est pas venu, ce qui ne tarde pas à susciter des interrogations de la part de la famille et du voisinage, dans un village où tout le monde se connaît.

Estibaliz Urresola place dans un premier temps sa caméra à hauteur d’enfant pour suivre de près l’évolution de Cocó et ses questionnements. A 8 ans, elle a du mal à savoir qui elle est. On comprend rapidement le malaise de cette enfant qui ne supporte pas qu’on l’appelle par son nom de naissance, Aitor. Mais elle mettra du temps avant de l’exprimer clairement. Même si celui de Cocó ne lui convient guère plus, il a l’avantage d’être neutre et de l’accompagner le temps de son cheminement personnel. C’est avec ce surnom qu’elle se présente aux autres enfants du village.

Cocó est très proche de sa mère Ane, interprétée par Patricia López Arnaiz. Mais celle-ci, elle-même en proie à une crise professionnelle et sentimentale, ne se rend pas vraiment compte de ce qui ne va pas chez Cocó. Si Ane ne comprend pas c’est surtout parce que depuis toujours, elle a inculqué à ses enfants une éducation féministe. Elle ne cesse de dire qu’il n’existe aucune différence entre les filles et les garçons. Aitor peut avoir les cheveux longs, aimer les sirènes et faire pipi assis sans que cela soit considéré comme un problème pour elle. Alors Cocó se rapproche de Lourdes, la tante de sa mère, remarquablement interprétée par Ane Gabaraín. Avec Lourdes, Cocó se sent libre et c’est devant sa grand-tante que pour la première fois, elle parlera tout naturellement d’elle au féminin.

Mais au fur et à mesure que le film avance, la caméra change peu à peu de point de vue et s’intéresse aussi aux adultes et plus particulièrement aux femmes de cette même famille. Si le film offre plusieurs histoires dans l'histoire, la réalisatrice l’explique de cette façon : « mon intention n’a jamais été de faire un film autour d’un seul sujet, principalement parce que je ne suis pas trans moi-même et que je ne voulais pas m’exprimer au nom de cette communauté. Ce qui m’intéressait, c’était la question de l’identité au sens large, et la manière dont les relations familiales peuvent affecter notre chemin vers l’autodétermination. ».  

Et ce changement de cap permet de comprendre que les adultes eux-mêmes n’en finissent pas de s’interroger sur leur vie, allant même jusqu’à remettre en question le passé et les non-dits familiaux. La relation entre Ane et sa mère est très intéressante. Bien que mère et fille, elles ne se comprennent pas. Celle qui semble la plus sereine est finalement la grand-tante Lourdes. Son attention se porte sur ses abeilles dont elle s’occupe avec soin. Des abeilles qui jouent aussi un rôle important dans le film. Tout d’abord parce qu’elles servent de métaphore aux relations familiales, comme l’explique très bien la réalisatrice : « Dans une ruche, les abeilles sont interdépendantes, mais en même temps, chacune y joue un rôle spécifique. À mon sens, cette image permettait d’évoquer les relations familiales telles qu’elles sont représentées dans le film. » Puis, c’est au contact des abeilles et grâce au temps passé avec Lourdes que Cocó finira pas trouver du réconfort et parviendra à se trouver.

20.000 espèces d’abeilles est un film qui écoute plus qu’il ne parle. Un film où Cocó se cherche, se trouve mais où elle ne change pas. Elle reste la même du début à la fin. Pétris de croyances et de certitudes, ce sont au contraire les adultes qui devront évoluer et changer leur regard. La jeune Sofía Otero (ours d’argent à Berlin) livre une interprétation très juste et émouvante de Cocó. Quant à Estibaliz Urresola Solaguren, elle nous régale d’un puissant récit de femmes fortes. Certes avec leurs failles mais aussi et surtout une détermination à toute épreuve.

20.000 espèces d’abeilles était nommé dans 15 catégories aux Goya 2024. ll en a remporté 3 : meilleur scénario original et meilleur premier film pour Estibaliz Urresola Solaguren et meilleure actrice de second rôle pour Ane Gabarain.

Vu en avant-première à Clermont-Ferrand, le 14 janvier 2024.

Agathe Ripoche


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