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Les avantages de voyager en train

Un Film de Aritz Moreno
Avec Luis Tosar, Pilar Castro, Ernesto Alterio,
Comédie dramatique | Espagne | 2019 | 1h43
Si par un jour d’été, une voyageuse…
Notre besoin d’entendre des histoires semble impossible à satisfaire. Atavique, peut-être, et surtout constitutif de notre rapport au monde. La durée d’un voyage est l’occasion, justement, de donner vie à un temps paradoxal, celui situé entre immobilité du corps et déplacement d’une machine d’un lieu à un autre. L’imaginaire s’y déploie, le temps d’une rencontre fortuite soumise au hasard de l’attribution des sièges. Plus l’histoire nous transporte – pensons à l’étymologie du mot métaphore – plus nous sommes ravis. D’aucuns lisent, tandis que d’autres s’aventurent à entrer en contact avec leur voisin. À leurs risques et périls. Dans Les avantages de voyager en train, adaptation du roman du même nom d’Antonio Orejudo, Aritz Moreno nous surprend, nous dérange, nous trouble, nous étonne et nous conduit, tel le joueur de flûte de Hamelin, au bord du précipice.

Si les minutes initiales rappellent l’atmosphère du premier sketch du film de l’Argentin Damián Szifrón, Relatos salvajes, qui a d’ailleurs eu en son temps d’étranges résonances avec l’actualité extra-fictionnelle, car il posait la question de la santé mentale des pilotes, Moreno fait le choix de nous emmener dans les méandres des récits, guidés que nous sommes par la parole hypnotique du conteur. Les rapports se complexifient, la mise en abyme commence, le pouvoir des histoires opère. C’est un autre voyage qui s’initie, une série d’incipits ou de micro-récits ayant en commun le même sujet : la folie.

Les acteurs, parmi lesquels Luis Tosar et Quim Gutiérrez, qui incarnent ces personnages atteints par diverses formes et degrés d’altération de la santé mentale, sont magistraux. Leurs personnages ont, en quelque sorte, leur mode d'être, leur propre logique, et cette dernière, en raison de l'angle d’approche choisi – d’ailleurs, les angles de prise de vue et les mouvements de caméra fantaisistes suggèrent au spectateur de voir le monde à l'envers –, ou encore, des mises en abyme vertigineuses, devient une proposition comme une autre pour (sur)vivre dans un monde contradictoire où chacun compose comme il peut, avec ses symptômes, son passé et ses blessures plus ou moins habilement soignées, dans l'absurdité ambiante.

On pense, dans certaines séquences, aux films de David Lynch, en raison de l’invitation à renoncer à nos codes de référence dans le fonctionnement normé des relations sociales. On pense aussi au Chapelier fou d'Alice, et au rire comme soupape plus ou moins rassurante pour désamorcer une situation conflictuelle… ou l’aggraver. On pense également, bien sûr, à Alex de la Iglesia, par le choix du ton trash dans l'évocation décomplexée des troubles psychiques : nos sociétés ont bien besoin de concevoir des alternatives en décalage avec l’homogénéisation et la mécanisation systématique des rapports humains.

Si l'idée était de donner vie au livre qui a inspiré le film, et donc de nous donner à entendre et à voir ces histoires qui reflètent l’importance d’écouter ce que la folie peut apporter au monde, le pari est réussi.

Au cinéma le 9 Août '23

253 petite

 

 

Audrey Louyer


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