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Mariana, peut-on tuer le père?

13 Décembre 2017
Mariana est une quarantenaire issue de la bourgeoisie chilienne qui a connu et participé, ou du moins soutenu, la dictature de Pinochet. Un peu blasée de sa vie, dénigrée par son mari et son père, elle décide de prendre des cours d'équitation. Son professeur est un ancien colonel du régime totalitaire ; Mariana, attirée par cet homme qui ne semble pas être ce qu'il fut, entame avec lui une liaison qui la mettra face à sa famille et aux démons du passé.
Affiche

Marcela Said, réalisatrice chilienne, s'est illustrée au début de sa carrière dans le documentaire. Elle s'est toujours intéressée à l'histoire de son pays dans des travaux qui défient l'ordre établi; Opus Dei (2006) interroge l'influence de l'organisation catholique au Chili, I love Pinochet (2001) se centre sur les fervents défenseurs du dictateur chilien. Son troisième documentaire, El Mocito (2011), trace le portrait d'un chilien qui travailla en tant qu'homme à tout faire dans un centre de torture lors de la dictature. Cet intérêt pour le totalitarisme se poursuit dans la deuxième œuvre de fiction de Marcela Said : Mariana (Los Perros en V.O). Le passé est une nouvelle fois interrogé pour tenter d'extirper les démons que beaucoup souhaitent oublier. Dernièrement, le cinéma chilien est porté par ce besoin de compréhension que l'on retrouve dans les films de Patricio Guzmán (Nostalgie de la lumière) et de Pablo Larraín(No, Neruda). Marcela Said, pour sa part, choisit de faire le portrait d'une femme en détresse, tiraillée entre la fascination pour son professeur d'équitation, ex colonel accusé de violation des droits de l'homme, et l'affection ambivalente pour son père (Alejandro Sieveking) qui refuse toute réminiscence du passé. Il a soutenu la dictature et s'est enrichi grâce à elle. Le politique devient personnel et le personnel devient politique : Mariana choque le spectateur par ses choix qui semblent dépasser l'entendement.

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Le personnage de femme abusée, violentée, dénigrée est la pièce centrale du film. Elle est entourée de chiens, d'hommes qui l'oppressent et qui lui donnent des ordres qu'elle se refuse d'accomplir. Mariana prend une tournure différente et tente une percée sur un terrain qui aurait pu être plus approfondi : celui du féminisme. Les symboles sont forts et marqués : Mariana (Antonia Zegers; El Club en 2015, entre autres) est abusée par un policier, représentant de la loi, alors qu'elle prend du plaisir avec un complice de la dictature (Alfredo Castro). Le casting, composé par des acteurs pour la plupart reconnus et percutants, incarne des personnages complexes ; ils nous obligent à rompre nos stéréotypes sur le bien et le mal. La musique pose une tension qui finit par exploser : le film dérange et le choix de porter la caméra à l'épaule nous rend complice de l'histoire qui est en train de se nouer. Le film, d'une grande maîtrise cinématographique et scénaristique, nous pousse à interroger l'histoire d'un regard différent. Quelques maladresses apparaissent cependant, notamment lors de la confrontation entre Mariana et le policier : l'action semble décousue par rapport au reste de la trame. Mariana est un film fort, symbolique et métaphorique comme on aimerait en voir plus souvent : il faut prendre le temps de le déchiffrer et d'accepter le fait d'être dérangé et retourné par ce personnage central d'anti-héroïne qui ne parvient pas à affronter ses peurs, celles qui l'empêchent d'être qui elle souhaite être.

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Aurore Kusy

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