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Matador

Un Film de Pedro Almodóvar
Avec Antonio Banderas, Assumpta Serna, Nacho Martinez
Drame, Thriller | Espagne | 1986 | 1h 47min
Sortie en DVD le 01 Septembre 2022
Matador
Cinquième long-métrage officiel de Pedro Almodóvar, Matador (1986) est ressorti cet automne en version restaurée 2K - disponible en DVD/Blu-Ray - chez Tamasa Distribution, intégrant du même coup la collection dédiée au cinéma espagnol de l'éditeur (Aqui España). Une belle occasion pour revenir sur un titre relativement peu commenté du maestro manchego, qui constitue pourtant un film charnière de sa filmographie, comme l'indique dans l'entretien disponible en bonus le critique Marcos Uzal – rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma – et qui nous invite à une réflexion sur les mécanismes irrationnels du désir, de la passion destructrice et de l'obsession de la mort.
Réalisé dans la foulée de Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? (¿ Qué he hecho yo para merecer esto ?, 1984), comédie sociale aussi drôle qu'acerbe que l'on peut considérer comme étant la première grande réussite du cinéaste, Matador (1986) prend en quelque sorte le contre-pied de l'œuvre précédente. Le film s'ouvre sur Diego - un ancien matador qu'une blessure à éloigné définitivement des arènes de tauromachie – en pleine recherche d'extase intime devant un film d'horreur sanglant (en fait un montage de plusieurs films, dont le très stylisé Six Femmes pour l'Assassin de Mario Bava). Plus tard, c'est dans une salle de cinéma projetant Duel au Soleil (King Vidor, 1946) que les deux amants passionnés – Diego et Maria, une sérial killer qui s'inspire de la mise à mort exécutée par le torero pour éliminer ses victimes – vont se rencontrer pour la première fois. C'est donc sous le patronage d'un cinéma porté sur les émotions violentes, entre Eros et Thanatos (désir de vie vs désir de mort, "j'ai arrêté de vivre le jour où j'ai arrêté de tuer" dira Diego) – le tout enveloppé dans un style résolument flamboyant – qu'Almodóvar place son cinquième film, donnant une orientation formelle nouvelle à son cinéma. Dans son intervention en bonus de l'édition DVD/Blu-Ray, Marcos Uzal note l'élégance de la réalisation et une recherche de sophistication visuelle inédite jusqu'alors chez le maestro espagnol. Le cinéaste reconnait lui-même que son goût affirmé pour la composition scrupuleuse des décors et des objets (fétichisme) a vraiment débuté avec Matador. C'est d'ailleurs son premier film à se dérouler dans un milieu aisé, soit un environnement propice à laisser éclater sa verve baroque.

Et à ce dernier d'ajouter :

« C'est mon film le plus abstrait, bien qu'il parle de quelque chose de très concret, le plaisir sexuel et la mort. C'est mon film le plus éloigné du naturalisme et la réalité objective. J'ai essayé de faire de ce film une sorte de fable dont les personnages étaient plutôt des héros qui ne trouvent leur place que dans une légende parce qu'ils représentent ce qu'on ne peut arriver à faire dans la vie. » (1)

Dès lors, le fil conducteur du film (terme qu'on préférera à l'idée de « logique », associée généralement à la raison, ici absente au profit de la recherche irrationnelle du plaisir) est davantage à dénicher dans les pulsions de ses personnages, par le biais d'images souterraines et/ou symboliques (tournant toutes autour de la culture traditionnelle ibérique : tauromachie, machisme, religion avec l'évocation de l'Opus Dei, etc.) plutôt que dans le récit à proprement parlé, sans peine d'éprouver une certaine déception. Ce qui n'empêche pas Almodóvar d'y intégrer des commentaires concrets sur la société espagnole, à l'exemple des deux « mères » du film : l'une représentant le poids castrateur et répressif de la religion (Julieta Serrano), l'autre une forme d'émancipation et une force de caractère (le truculent personnage incarné par Chus Lampreave, pince-sans-rire comme jamais). Dans une séquence apparemment digressive, où il se met lui-même en scène, le réalisateur déclare « Ce pays est divisé en deux [...] d'un côté on y trouve les Envieux, et de l'autre les Intolérants ». Malgré son apparence hétéroclite (Marcos Uzal parle de « film Frankenstein ») et son intrigue débridée, le film laisse deviner une personnalité artistique qui s'affirme et se structure. Matador est d'ailleurs la dernière œuvre d'Almodóvar dont il ne soit pas le producteur (El Deseo, la société de production créée avec son frère Agustín, ne démarrera que l'année d'après avec la réalisation de La Loi du Désir), confirmant ainsi définitivement son indépendance en tant que créateur.

Autour du couple d'amants jouisseurs et autodestructeurs (Diego/Maria, Nacho Martinez/Assumpta Serna), l'histoire déploie tout un petit monde, soit une galerie de personnages en autant d'intrigues possibles qui se nouent et se combinent par des jeux de coïncidences et de résonnances, lui conférant des allures de vaudeville surréaliste et annonçant la théâtralité encore plus assumée d'un Femmes au bord de la crise de nerfs (1988). Au sein de cette troupe constituée de collaborateurs réguliers, Antonio Banderas - dans son premier rôle majeur et qui selon Almodóvar est "l'acteur masculin qui a le mieux communiqué ma vision des personnages masculins" (1) – resplendit à composer un personnage à l'innocence déphasée (et au prénom à la symbolique évidente : Ángel), dans un rôle proche de celui qu'il tiendra dans le futur Attache-moi ! (¡Átame!, 1989). Ce goût des intrigues parallèles apporte une certaine chaleur humaine à l'ensemble qui contrebalance avantageusement la distance maintenue sciemment avec l'histoire principale. Les Chicas Almodóvar, Carmen Maura et Verónica Forqué, accompagnées du flegmatique inspecteur de police incarné par Eusebio Poncela, complètent un casting particulièrement réjouissant.

Sans être son œuvre la plus réussie, Matador s'affirme cependant comme un film-clé de Pedro Almovódar, ouvrant sans nul doute la période la plus passionnante de sa filmographie.

Références :

(1) Extraits de STRAUSS, Frédéric, Conversation avec Pedro Almodovar. Éditions, Cahiers du Cinéma, 1994. 160p.

Les détails du DVD/Blu-Ray Tamasa :

Référence : 3700697002390

Collections : Aqui España, Auteurs, DVD

Genres : Eros et Thanatos, Espagne, Mise à mort, Serial killer, Tauromachie, Torero

Année d'édition 2022

Support DVD Digipack

Langues : Version originale (espagnol) sous-titrée en français + Version française

Durée : 1h43

Caractéristiques Espagne - 1986 - 16/9 - 1.85 - Couleur - Master restauré 2K

Bonus : "Un film charnière" par Marcos Uzal, 30' / Film annonce d'origine

Martin Vagnoni


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