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Le Roi du monde

Un Film de Carlos Saura
Avec Ana de la Reguera, Manuel Garcia-Rulfo, Isaac Hernández, Greta Elizondo, Giovanna Reynaud
Drame, Film musical | Espagne, Mexique | 2021 | 1h 35min
Avant-Première 21e Festival CineHorizontes 2022- Marseille
El rey de todo el mundo : des ponts tendus entre les mondes
Ce film de Carlos Saura, tourné à Guadalajara et Jalisco, semble créer des ponts entre l'Espagne et le Mexique. Mais en regardant (et en écoutant) de plus près, on remarque de nombreux autres liens qui unissent plusieurs univers.
La musique et l'image : au commencement serait le son ?

On pourrait presque suggérer au public d'écouter le film avant même de le voir. Dans ce mille-feuilles de mélodies où cohabitent ranchones, corridos, boleros et même reggaeton, la traditionnelle mélodie de la llorona reprend ses lettres de noblesse dans une approche multiple et soignée d'une musique signée par Alfonso G. Aguilar et Carlos Rivera Guerra ; composition et recomposition, dans un travail collaboratif, constituent un riche arrière-plan. Les musiques créent une ambiance, elles nous racontent une histoire : la petite histoire du narrateur de la chanson, qui reflète l'histoire des personnages du film, et qui retrace elle-même l'histoire d'un pays. Mais on ne s'arrêtera pas à la dimension sonore, car tout est habilement lié : grâce au travail du directeur de la photographie Vittorio Storaro, Saura mêle les effets visuels, les tableaux, les peintures murales, les figures nationales, nombre d'éléments de la culture mexicaine pour partager une atmosphère, une âme, celle d'un pays cartographié dans diverses expressions artistiques.

Le travail et la création : le work in progress

Au cœur du long-métrage se trouve la scène, dans sa géométrie, ses lignes, ses diagonales qui dépassent l'opposition frontale typique des comédies musicales, mais aussi ses formes et ses couleurs : c'est un territoire habité un temps par les danseurs qui font vivre le lieu, et lui donnent une dynamique. Les cadrages en jeux de miroirs et les mouvements de caméra, notamment le travelling latéral au moment des répétitions, réinventent sans cesse, à chaque nouvelle séquence, la vision de l'espace scénique. Mais ce film, c'est aussi un témoignage, celui du récit du travail de construction d'une œuvre : un montage technique méticuleux et exigeant dans lequel interviennent des personnages qui sont aussi des êtres humains. Ceux-ci doivent composer à partir de leurs pulsions, de leurs désirs, pour donner corps à la création, car comme le rappelle Diego (Isaac Hernández) à sa partenaire Inés (Greta Elizondo), les danseurs ne sont pas de simples pantins.

La fiction et la réalité : le jeu des métalepses

La transgression des niveaux fictionnels n'est pas une nouveauté, ni en littérature, ni au théâtre, ni au cinéma. Et pourtant... Saura parvient à faire de la scène ce monde alternatif et symbolique auquel accèdent les personnages du premier niveau de la trame. Où est la fiction ? La feinte ? Où est le symbole ? A quel niveau le projet de Manuel (Manuel García Rulfo) se situe-t-il dans la progression narrative ? Le brouillage des frontières, présent dès les premières minutes, invite le spectateur à naviguer entre les strates fictionnelles pour démêler les différentes réalités imbriquées en mise en abyme. Le regard caméra subtilement mesuré, le recours à l'écran dans l'écran sont autant de portes ou de passages qui nous font voyager d'un monde à l'autre.

D'un genre à l'autre : un mélodrame à fin heureuse ?

Au cœur de l'histoire, il y a une héroïne, Inés. C'est elle la charnière, un de ces personnages qui appartiennent aux deux mondes : celui concentré dans l'espace scénique, et l'autre, où se jouent d'autres drames. Mais ceux qui mènent la danse, c'est Sara (Ana de la Reguera), femme trompée qui, prisonnière fictive de son fauteuil roulant et obnubilée par les miroirs, n'est pas sans rappeler un double esthétisé de Frida, et Manuel, archétype de l'artiste cherchant à réparer ou à sublimer son existence par le biais de la création : ils écrivent l'histoire à mesure qu'elle se déroule. Pourtant, et heureusement, certains aspects leur échappent, et c'est pourquoi il reste difficile de déterminer l'appartenance du film à un genre. Tragédie ? Drame ? Comédie musicale ? C'est ce qui fait le style de Saura. En tout cas, la tension dramatique se joue très souvent hors scène, dans des séquences tout aussi réussies, qui font de cette mosaïque un portrait en chair et en os (« en corps », dirait-on ?) de la société mexicaine.

Audrey Louyer


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