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Algunas bestias

Un Film de Jorge Riquelme Serrano
Avec Paulina García , Alfredo Castro , Andrew Bargsted
Thriller | Chili | 2019 | 1h 35min
Cinélatino 2022, Nuevos Directores, Festival de Cine de San Sebastián, España, 2019., Ccas, Festival Cinélatino de Toulouse, Francia, 2020, Mejor Actor de Soporte (Gastón Salgado), Premios Caleuche, Chile, 2022
L’enfer, ce ne sont pas les autres, mais sa propre famille.
Écrire une chronique sur un film peut s’avérer être un exercice périlleux, surtout quand le film en question aborde un thème essentiel mais très sensible. C’est pour cette raison que je voudrais commencer par une mise en garde à la manière d’un « âmes sensibles s’abstenir ». Une scène du film est en effet particulièrement horrible parce qu’elle montre une victime d’inceste et que ce passage est particulièrement réaliste. Cette scène met le spectateur très mal à l’aise, visant en cela le but recherché. Le film est quant à lui construit un peu comme un film angoissant dans lequel le danger aurait pu venir de l’extérieur. Ce ne sera pas le cas.

Un film, dans lequel les monstres sont bien réels.

Dans le film, Algunas bestias, les bêtes ne sont pas des animaux, la bestialité devenant ici le propre de l'homme. Cependant le réalisateur Jorge Riquelme Serrano laisse planer le doute une bonne partie du film. Le film s'ouvre en effet sur l'image d'une petite île vue du ciel (un magnifique plan en contre-plongée). Cette image est accompagnée d'une musique très lente, triste et légèrement oppressante. On imagine d'emblée qu'il va se passer quelque chose sur cette île d'où on ne peut arriver et repartir qu'en bateau. C'est ce que semble démontrer le plan suivant : un groupe de personnes descend d'une barque et se dirigent vers ce qui semble être l'unique maison de l'île. C'est ainsi que pourrait commencer un film d'horreur, une histoire dans laquelle il arrive des choses horribles à des êtres humains dans un endroit totalement isolé. D'ailleurs quand les membres de la famille sont en extérieur, ils sont filmés sous tous les angles : en contre-plongée, de dos, la caméra tournant autour d'eux, comme si un prédateur les observait, tapi dans la nature. La nature va d'ailleurs devenir de plus en plus hostile au fur et à mesure de l'intrigue : on passe d'un temps sec à la pluie, puis à l'orage. Ce sentiment d'angoisse est renforcé par l'isolement des personnages qui finissent par se retrouver coincés sur cette île, où les ressources sont rares.

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Huis-clos insulaire

Car il s'agit d'un huis-clos psychologique, qui rappelle la pièce de Jean-Paul Sartre. Et si tout ceci n'était qu'un rêve, un cauchemar, ou tout simplement un des premiers cercles de l'Enfer. La famille se retrouve coincée sur cette île car l'unique employé, celui qui connaît parfaitement l'endroit, disparaît avec le bateau. Le spectateur n'aura pas plus d'informations que les protagonistes sur cette disparition. Le réalisateur Jorge Riquelme Serrano s'est inspiré de l'Ange exterminateur de Luis Buñuel. Dans le film de Luis Buñuel, une force invisible empêche des convives de quitter le salon d'une grande demeure bourgeoise. Les invités sont donc contraints de cohabiter dans cet espace restreint pendant plusieurs jours et ils finissent par se comporter comme des bêtes. Dans Algunas bestias, s'il n'y a pas de force mystérieuse, l'employé de l'île disparaît sans explication. Les domestiques dans l'Ange exterminateur quittaient la maison sans motif apparent. Un autre point commun : la plage est filmée en contre plongée à plusieurs reprises comme pour nous indiquer que la séparation entre l'eau et le sable est en quelque sorte cette ligne invisible que les protagonistes ne peuvent franchir chez Buñuel. En revanche quand chez Buñuel, l'enfer est clairement representé par les autres, il n'en est rien chez Jorge Riquelme Serrano : l'enfer, c'est sa propre famille, tant et si bien que l' "autre", en tant que l' "étranger", une personne avec laquelle nous n'avons rien en commun, serait préférable !

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Une famille plus que dysfonctionnelle.

Tout commence avec l'apparition de cette famille, tellement traditionnelle, qu'on se croirait dans un vieux jeu de 7 familles : les grands-parents, les parents et les enfants, un garçon et une fille. Tout pourrait sembler normal mais dès le début le comportement des uns et des autres, par petites touches successives, nous indiquent que sous le vernis de la famille parfaite, rien ne va.

Même la mise en scène très théâtrale des repas à l'intérieur de la maison semble nous l'indiquer. Quand la famille se retrouve autour de la table pour manger ou jouer à un jeu de société (quelle ironie !), ils sont au premier plan. Mais derrière la table, en arrière-plan, on voit le reste de la pièce, où les personnages vont et viennent. C'est comme si le premier plan était celui des convenances sociales et de l'hypocrisie et le second, celui de la réalité, une réalité sordide. Les membres de la famille jouent un rôle jusqu'à ce que l'isolement et l'angoisse les contraignent à se dévoiler, et à quitter leur masque.

 Une dimension politique.

Au-delà de cette vision cynique de l'espèce humaine, à travers le portrait d'une famille aisée, on entrevoit aussi une dimension politique. Le couple formé par les grands-parents représente le Chili conservateur, les nostalgiques de la dictature de Pinochet. Rappelons qu'aux dernières élections présidentielles au Chili en 2021, la candidat qui est arrivé en seconde position n'hésitait pas à clamer haut et fort son admiration pour l'ancien dictateur. Ce couple fait d'ailleurs penser au pathétique couple Pinochet tel qu'il est representé dans le roman de Pedro Lemebel, Tengo miedo torero. Dans Algunas bestias, ils détestent l'autre dans toutes les acceptions du terme : celui qui n'a pas la peau aussi blanche qu'eux, celui qui n'est pas de la même classe sociale, l'étranger... même un chat ne trouve pas grâce à leurs yeux ! Comme leur fille a choisi d'épouser un homme à la peau plus sombre et ne faisant pas partie de la même classe sociale, ils le détestent et le méprisent. Le pouvoir économique de ce couple de « monstres » leur permet de contrôler la vie du reste de leur famille, et les empêchent d'accéder à leurs rêves, de devenir indépendants. On imagine aisément que ce comportement se réfère à quelque chose de présent à l'échelle du pays. Le poids du passé est encore trop présent et pesant, et la seule solution semble être celle choisie par le fils : partir à l'étranger. Il faudrait également évoquer aussi la fille qui est totalement écrasée par le machisme ambiant, au point de ne plus savoir ce qui est normal ou pas. Si le film n'est pas optimiste d'un point de vue politique, notons toutefois que les Chiliens ont néanmoins pu célébrer récemment la victoire d'un président de gauche et le décès de celle qu'ils appelaient la « vieja », l'épouse de Pinochet. Célébrer la mort d'une personne n'est pas anodin. Dans le film, on pense à la grand-mère qui dit à sa fille qu'elle n'aura la main sur l'héritage de ses ancêtres qu'après son décès. En attendant, elle entend contrôler et gâcher la vie de sa fille...

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Des acteurs de théâtre

Ce couple de « bestias » est magistralement interprété par deux monstres sacrés du cinéma chilien : Paulina García et Alfredo Castro, qui sont également des acteurs de théâtre. Alfredo Castro nous démontre une fois de plus qu'il est capable d'interpréter tous les rôles à la perfection ; dans ce rôle, il est détestable alors que dans d'autres films, il peut être vraiment attachant. Les autres acteurs ne sont pas en reste. Tout est admirablement orchestré ou chorégraphié comme dans une pièce de théâtre, ce qui donne au film des allures de tragédie antique et une dimension intemporelle et universelle.


 

 

Sébastien Maury


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