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Hondar Ahoak / Bocas de arena

Un Film de Koldo Almandoz
Avec Nagore Aranburu, Eneko Sagardoy, Sara Cózar
Thriller | Espagne | 2021 | 4*50 min
31ème édition du FCEN 2022
Un polar basque qui se démarque
Une légende de marins raconte que celui qui révèle les secrets de la mer sur la terre ferme aura la bouche remplie de sable, car les mots terrestres sont ceux qui laissent des traces. L’inspectrice Nerea Garcia est envoyée dans un petit village de pêcheurs pour enquêter sur la disparition d’un armateur du port de Ondarroa. Elle va rapidement se rendre compte que ce qui ressemblait à une enquête de routine est bien plus complexe et imprévisible que prévu.

La tragédie humaine.

Une sentence tombe dès le début de la série, prononcée par une voix off qui se définit elle- même comme telle : « Notre destin est de disparaître ». Le réalisateur Koldo Almandoz nous indique ainsi d’emblée, que même s’il s’agit bien d’une série policière et que la trame en est une investigation, son intention est ailleurs. Le premier épisode de la série a de quoi laisser dubitatif. On enquête sur la disparition d’un homme mais de toute façon tous les personnages souhaitent disparaître métaphoriquement ou pas et n’ont surtout pas l’air de se soucier de la disparition d’un de leurs proches. Car pourquoi s’inquiéter et chercher à éviter l’inéluctable ? La tragédie humaine est annoncée dès les premières images et les premiers mots de la voix off.

Le premier épisode est extrêmement bien construit. Le début et la fin se répondent : une voix off ouvre et referme cet épisode qui plante le décor et présente les protagonistes : au commencement, à travers leurs actions ou obsessions, puis, à la fin de l’épisode, on voit défiler tous les visages. Ils apparaissent et disparaissent à tour de rôle sous l’effet d’un jeu d’ombres et de lumières qui fait penser à l’éclairage d’un phare. On est devant une mise en scène théâtrale. En outre, la voix off, à la manière du chœur dans les tragédies antiques, prophétise et parle de la condition humaine, telle une divinité annonçant l’irrémédiable. Cet effet est renforcé par les plans en contre-plongée très présents tout au long de la série, comme si les « Dieux » (dans la mythologie basque, ils sont présents dans la nature) observaient les humains s’agiter en vain.

La mer ramène tout ce qu’on lui donne : on n’échappe pas à son passé.

Cette tragédie humaine est complexe : On cherche à disparaître mais surtout à fuir son passé. Tous les personnages sont rattrapés par le leur et en subissent les séquelles. Cette fuite en avant semble également être vouée à l’échec car la mer ramène toujours ce qu’elle a avalé, nous dit la voix off. Tout au long de la série, cette voix nous rappellera que les humains ne peuvent pas échapper à leur condition, que leur vie est régie par des lois inscrites dans le marbre, ou dans la nature. Ce passé destructeur est parfois personnel (la perte d’un être cher) mais aussi dans le cadre du pays basque, c’est un passé commun : sont évoquées les corruptions politique et policière, l’ETA, la drogue et la loi du silence. C’est le titre de la série qui nous le rappelle : Hondar Ahoak signifie bocas de arena, bouches pleines de sable. La voix off nous explique ce titre, qui correspond à une légende : la bouche de celui qui trahit les secrets de la mer sur la terre se remplira de sable.

 Nature versus friche industrielle

Le décor, le village d’Ondárroa tout comme la nature qui l’encercle, sont également des personnages à part entière de cette série. Ils sont les échos de l’immuable, la nature, et du passé, ce village, composé essentiellement d’un port désormais très calme et de friches industrielles. Le passé a laissé ses marques sur ce village isolé, où tout le monde se connaît. Ce qui lui donne une ambiance claustrophobique. Le travail esthétique est magnifique ; sous la houlette du directeur de la photographie Javier Aguirre, chaque plan et chaque angle sont travaillés à la perfection. On peut parler de poésie visuelle. Pour ne citer qu’un exemple, on voit l’inspectrice de dos observant un petit tableau puis peu après on la voit au premier plan de face avec une façade très géométrique derrière elle, comme si elle était rentrée elle-même dans un tableau…c’est à son tour d’être observée. Ironie du sort : elle fait désormais partie du tableau, du village, de la tragédie qui s’y joue.

Ironie, douce ironie.

« Je déteste les histoires qui commencent avec une voix off », ainsi commence cette histoire dans laquelle le réalisateur n’aura de cesse d’ironiser sur le genre de la série policière. L’inspectrice posera par exemple cette question à sa co-équipière : « que ferait-on maintenant dans une série ? ». C’est une manière légère de nous rappeler que toutes les intrigues se ressemblent et qu’ici ce qui importe ce n’est pas tant la trame policière que ceux qui la façonnent, qui la vivent. Et pour autant, on se laisse prendre par cette intrigue bien ficelée. L’ironie est présente sous d’autres formes. Le réalisateur nous rappelle que nous sommes bien dans une fiction : l’écran sous toutes ses formes est très présent dans la série. Les personnages vont voir un film dans un cinéma désert, regardent les images en direct d’une plongée sous-marine, les enregistrements des caméras de sécurité, etc. Cet effet est accentué par le jeu de la caméra : on voit à travers un hublot, dans le reflet des miroirs, etc.

De multiples références.

Ironiquement, le réalisateur est aussi lui-même « prisonnier » de son passé : ce jeu de reflets et d’écrans multiples lui permet de faire écho à son passé de cinéphile. Il y a de nombreux clins d’œil à d’autres films ou séries. Chacun y trouvera les références propres à sa culture cinématographique. Quand certains y verront l’empreinte de Jim Jarmusch, de mon côté, j’ai trouvé que c’était un univers très « lynchien ». Certains passages m’ont évoqué Twin Peaks ou le film Mulholland Drive : la forte présence de la nature, le rêve de l’inspectrice, les regards dans les miroirs, les personnages et les dialogues parfois un peu surréalistes dans le commissariat…

 Le pays basque a le vent en poupe.

Dans cette série entièrement tournée en basque, les personnages sont en effet très complexes et le jeu des acteurs est brillant. On y retrouve deux acteurs de la série Patria, Nagore Aranburu et Eneko Sagardoy, qui interprètent les deux inspecteurs, signe que la création télévisuelle a le vent en poupe au pays basque. Surtout quand il s’agit de thrillers et d’investigations policières. Dernièrement de nombreux romans policiers, ayant pour toile de fond le pays basque, ont eu beaucoup de succès en Espagne et se sont vus transposés au cinéma ou à la télévision. On pense à Dolores Redondo, Eva García Saenz de Urturi et tout particulièrement dans le cas de cette série à l’univers d’Ibon Martin. Vive le polar basque.

Réalisation vue à l'occasion de la 31è édition du festival de cinéma espagnol de Nantes, du 8 au 20 mars 2022.

Sébastien Maury


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