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La venta del paraíso

La Venta del Paraíso

Un Film de Emilio Ruiz Barrachina
Avec Ana Claudia Talancón, William Miller, Carlos Iglesias, Juanjo Puigcorbé
Comédie dramatique | Espagne | 2012 | 1h42
Le défi de la magie du désespoir
Je n'ai pas de rêves. On me les a tous volés. Les uns après les autres.

Voici la réplique qui trace la première ligne directrice du film d'Emilio R. Barrachina adapté de son roman éponyme : Le rêve déchu, les espoirs et frustrations de l'immigration. Les premières images de La Venta del paraíso nous plongent ainsi dans un réalisme social guidé par l'histoire de Aura María (Ana Claudia Talancón), jeune mexicaine à qui l'on vient de promettre un travail à Madrid. Mais dès son arrivée, rien ne se passe comme prévu. Personne ne viendra la chercher à l'aéroport. Le travail promis n'existe pas, pas plus que le logement et le billet retour qui n'étaient que mirages déguisés en un dossier que la jeune femme serre fort contre elle lors de ses premiers pas avant de définitivement le déchirer. Aura María est alors confrontée à une réalité bien éloignée du paradis rêvé, dont l'entrée en matière reste cependant teintée de surprises qui serpenteront le film, minute après minute. La pérennité des représentations en est ébranlée, et il est difficilement possible de prédire ce qu'il va se passer. La terre d'exode n'est pas celle à laquelle on s'attend. Le Mexique est fantasmé, sur fond de célébration heureuse de la fête des morts. L'étrange boîte confiée à la jeune femme à son départ ne contient pas la drogue que l'on aurait pu voir arriver de loin.

Et à côté des surprises, il y a les symboles, notamment celui de la mort qui suit Aura María dans une robe sombre tout au long du film. L'annonce de drames encore latents ? Le doute est pleinement offert par le réalisateur qui jongle sans cesse entre drame, humour et poésie. Cette entaille dans la tension dramatique sera amorcée par la rencontre de Aura María et de Paisa, cet homme qui n'est « ni d'ici ni d'ailleurs » et qui la mènera à la pension de Doña Pura, véritable refuge surréaliste où elle fera la connaissance d'autres laissés pour compte de la société avec qui elle tissera une solidarité et trouvera une échappatoire, notamment avec Oswaldo, chef d'orchestre argentin sans orchestre, Olivetti, traducteur travesti, ou Andrés, jeune homme d'une autre époque.

Dans cette auberge sortie tout droit de la tragicomédie du Siècle d'Or, on paie sa pension en donnant de sa personne à la ligne de téléphone rose installée pour l'occasion, pendant que la patronne voue un culte à Don Rocco, et que dans la même rue, une vieille dame sort son mari en laisse pour sa délivrance quotidienne.

La pension de Doña Pura est le berceau d'un surréalisme très vivant dans l'oeuvre d'Emilio R. Barrachina, et qui, sans passer par un flot délirant d'images, correspond à la description qu'en fit Buñuel : l'exposition d'un même récit par des personnages venus de mondes différents. Ainsi, tour à tour, Aura María, Paisa, Oswaldo ou Olivetti se feront les conteurs fantaisistes du déracinement et du désespoir. Au-delà du fil narratif, le surréalisme laisse son empreinte dans l'esthétisme du film, notamment dans des scènes peintes tels des tableaux qui prennent vie. C'est le cas de l'image d'Aura María dormant nue et flagellée, enroulée autour de l'arbre planté au milieu de son lit, ou encore de celle d'un dîner imaginaire prenant les aspects de la Cène.

Si le film baigne encore dans de multiples références culturelles, nombreux sont les messages subliminaux apportant également à La Venta del paraíso une lourde charge d'analyse et de critique sociale. Machisme (Aura María se fera tripoter à plusieurs reprises lors de ses périodes « d'essai »), crise économique, prostitution, terrorisme, corruption, homophobie etc. Le film passe au peigne fin les travers d'une société dans un contexte actuel et reconnaissable qui finira par éclater sous la résonance révolutionnaire de l'ouverture 1812 de Tchaïkovski, telle que le compositeur lui-même la décrivit : « L'ouverture sera explosive et tapageuse ».

Mais tout éclate trop vite. Le florilège de références culturelles et sociales tire peut être trop les rênes de la folie, et ne laisse malheureusement pas assez de temps à l'exploration des différents personnages brillamment interprétés, comme c'est particulièrement le cas de Juanjo Puigcorbé dans la peau de cet homme veuf travesti pour ne jamais s'offrir la chance de trouver autre amour.

Cependant, ces références sont comme des fenêtres innombrables qui apparaissent tout au long du film, que le spectateur est libre d'ouvrir et qui en cachent encore d'autres, à l'infini. C'est sans doute dans cela que réside la magie de ce film qui évite le mélodrame malgré la cruauté de la situation, en nous menant ainsi de surprises en surprises.


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