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Affiche Squat, la ville est à nous!

Squat, la ville est à nous !

Christophe Coello
Avec les membres du collectif barcelonais "Miles de viviendas"
France | 2011 | 1h34
Squat, mode d'emploi
Pendant cinq ans, Christophe Coello a suivi les actions de "Miles de viviendas" (Des milliers de logements), un collectif d'une trentaine de barcelonais qui résiste à la spéculation immobilière et investit des immeubles inoccupés pour se loger gratuitement. Une vision des squats bien éloignée de nos clichés, qui suscite une réflexion sur la question du logement et la réappropriation de l'espace public.
Christophe Coello est ce qu'on appelle un réalisateur engagé : les sept documentaires qui composent sa filmographie ont tous à voir, de près ou de loin, avec les résistances citoyennes, l'altermondialisme et le droit à vivre différemment. C'est en Amérique latine que ce français d'origine hispanique a d'abord posé sa caméra : en 1996, Ecole en terre maya s'intéressait à la préservation des langues indiennes, de même qu'en 2000, Mari Chi Weu était consacré plus particulièrement à la minorité mapuche du Chili. Entre ces deux documentaires, c'est encore dans ce pays qu'il tourne en 1998 Chili, dans l'ombre du jaguar, qui évoque les ravages sociaux du soi-disant miracle économique auquel la politique de Pinochet avait conduit dans les années 70-80.

Le documentariste poursuit ensuite sa filmographie en France : Regards croisés sur l'école (2006) traite de la scolarisation des enfants gitans, et Bonjour, bonsoir (2007) est centré sur un quartier HLM de Perpignan. C'est toutefois sa collaboration avec Pierre Carles et Stéphane Goxe qui lui permet de dépasser la confidentialité des sujets précédents. En 2003, il coréalise en effet avec eux le polémique Attention danger travail, puis en 2007 Volem rien foutre al pais, second volet de ce diptyque. Ce dernier documentaire partait notamment en quête de modes de vie alternatifs et proposait des solutions souvent subversives : chômage chronique volontaire, vol d'aliments dans les magasins, « décrochage » des compteurs électriques ou encore occupation illégale de logements vides à Barcelone.

La spéculation immoblière en ligne de mire

C'est à ce dernier sujet que Christophe Coello a cette fois exclusivement consacré son nouveau documentaire, Squat, la ville est à nous ! De 2003 à 2007, il a suivi les actions de Miles de viviendas, un collectif d'une trentaine de barcelonais qui résiste à la spéculation immobilière et investit des immeubles inoccupés pour se loger gratuitement. Les "okupas", comme on les appelle, sont nombreux en Espagne ; ils se sont développés dans les années 90 et surtout 2000, période économique faste où le prix de l'immobilier a explosé dans le pays, rendant de plus en plus difficile l'acquisition d'un appartement bien que le droit au logement soit inscrit dans la Constitution. Le collectif Miles de viviendas est ainsi né en 2003 : Emma, Gala, Vicente et les autres se sont rencontrés pendant les mobilisations contre l'envoi de troupes espagnoles en Irak. Partageant les mêmes idéaux, ils sont donc passés à l'action dans la Barceloneta. Cet ancien quartier de pêcheurs de la capitale catalane, proche de la mer, est logiquement devenu la proie des promoteurs qui rêvent de requalifier la zone pour réaliser de juteuses plus-values. « Requalifier », euphémisme qui concrètement implique d'en expulser les actuels habitants pour rénover et revendre ensuite à un prix élevé, transformant les quartiers populaires en lieux à la mode, mais formatés et sans âme.

Malgré la criminalisation croissante des mouvements sociaux, les membres de Miles de viviendas ont choisi d'apparaître à visage découvert car ils considèrent leur lutte légitime. Ces citoyens dont le but est de reprendre le contrôle de leur vie privilégient le faire au dire et optent donc pour des actions concrètes. Le film s'ouvre ainsi sur une « réappropriation urbaine », moment de vitalité et de jubilation intense, où au prix d'un peu d'alpinisme, nos okupas parviennent à pénétrer dans un immeuble muré. Pendant 1h34, Christophe Coello va suivre les membres du groupe, caméra à l'épaule, et coller au plus près de leur quotidien. Ce point de vue interne témoigne de la grande proximité qui s'est établie entre le réalisateur et le groupe, ainsi que de leur communauté d'opinions, comme le prouvent les remarques bien senties que Coello assène à ceux qui lui demandent parfois de cesser de filmer. Aucune voix off ne vient jamais expliquer quand, où, qui : le réalisateur laisse entièrement la parole aux membres du collectif, dans une suite de scènes où le spectateur doit jouer un rôle actif pour remettre en situation ce qu'on lui montre. De la même façon, les membres du groupe ne sont jamais présentés via un sous-titre qui mentionnerait leur nom ou leur activité : par ce choix, le réalisateur met en adéquation la forme de son documentaire avec les valeurs de Miles de viviendas. En effet, l'individu n'existe plus en tant que tel, il se fond dans le groupe, disparaît au profit du collectif et existe par ce qu'il fait au sein du mouvement. Comme le constate l'une des okupas du film, seul la « force collective », permet d'obtenir des résultats et de repousser les limites du possible.

Une vision des okupas à mille lieues des clichés

Le film traite chronologiquement l'histoire de cette occupation, du jour de l'entrée dans le bâtiment à celui de sa démolition en 2007. Retraçant le quotidien du collectif, il constitue une leçon d'autogestion et offre des propositions concrètes pour vivre autrement. Des travaux de remise en état du squat, véritable apprentissage mutuel où ceux qui savent faire enseignent aux novices, à la récupération d'aliments sur les marchés, en passant par la gestion des aspects les plus triviaux de la vie en groupe (tâches ménagères, courses, caisse commune...), le documentaire donne une vision des okupas à mille lieues des clichés. Comme le dit une voisine, on découvre ainsi « des gens normaux », dont la rigueur et l'organisation tranchent avec l'image que les médias transmettent habituellement des squatteurs, marginaux à la dérive. Les instants de détente (repas, concerts au squat, fêtes de quartier) alternent avec les moments d'abattement, notamment lors de l'avis d'expulsion : il faut alors trouver l'énergie pour repartir de zéro, chercher un autre immeuble à occuper et recommencer les travaux. La vie du squat est également émaillée de discussions animées qui révèlent la lucidité de ses membres, leur capacité à réfléchir sur leur engagement et à se remettre en question, souvent par le biais de l'humour et de l'autodérision.

Christophe Coello ne se limite pourtant pas à filmer la vie du squat, il suit également ses occupants dans toutes leurs activités. Leurs maîtres mots étant implication et solidarité, ceux-ci prennent part à de multiples actions de revendication : manifestations aux côtés des sans papiers, assemblées, défilé du 1er mai qu'ils transforment en journée de la précarisation et non plus du travail, placardage d'affiches dénonçant la corruption municipale et les conflits d'intérêts... Cette mobilisation énergique et communicative donne lieu à des scènes où la caméra est malmenée, notamment lors d'affrontements avec les CRS. Le collectif monte également des happenings destinés à sensibiliser la population à la nécessité de se réapproprier l'espace urbain, qui selon eux doit appartenir aux citoyens : c'est ainsi que dans une ambiance festive, ils organisent l'inauguration parodique de la ligne zéro du métro, évidemment gratuite, et invitent les usagers à sauter les tourniquets. Mais leur plus grande réussite, ce sont les liens inattendus qu'ils tissent avec les habitants de la Barceloneta, qu'ils initient à leurs méthodes et qui finissent par se mobiliser pour défendre leurs logements. Ils continuent d'ailleurs la lutte seuls aujourd'hui, preuve que l'objectif du groupe est atteint : former les autres afin que le combat ne cesse jamais.

Donner corps à une utopie

Squat, la ville est à nous ! est indéniablement un film éducatif que l'on pourrait même qualifier d'utilité publique. Sa qualité première est de donner corps à ce que beaucoup considèrent comme une utopie, prouvant du même coup qu'il est possible d'agir plutôt que de subir. On regrette donc d'autant plus que l'absence d'explications sur les événements et les protagonistes retire de la force aux propos du réalisateur. Le spectateur, ne mesurant pas toujours les enjeux de scènes parfois confuses, se trouve relégué au rang de simple observateur et se sent par conséquent peu concerné. Davantage d'individualisation des intervenants aurait notamment permis de créer un lien affectif entre les membres du collectif et le public, alors plus impliqué dans les épreuves qu'ils traversent.

Christophe Coello referme son documentaire comme il l'avait ouvert, sur une occupation : celle du service des affaires immobilières de la mairie de Barcelone, où nos empêcheurs de spéculer en rond installent une fausse Agence pour l'Occupation « contre la violence immobilière ». Le discours final est clair : Miles de viviendas n'est pas un service d'aide aux personnes passives ni une solution à leurs problèmes. Le collectif se veut juste un lieu de partage d'expériences et de savoir-faire qui permet de trouver ensemble les moyens d'avancer. Aux discours prévisibles et creux des politiques auxquels ils ne croient plus et qui ne les représentent pas, le groupe oppose une demande d'actes. Même si Miles de vivienda s'est dissout en 2007 après la destruction du squat, l'optimisme reste de mise. Le mouvement des indignés de mai 2011, que l'on voit occuper la Plaza Cataluña de Barcelone à la fin du film, est la preuve que d'autres reprennent le flambeau et poursuivent la lutte, toujours plus nombreux.

Christelle Guignot


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