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Affiche L'Echine du diable

L'Echine du diable

Un Film de Guillermo del Toro
Avec Eduardo Noriega, Federico Luppi, Fernando Tielve, Íñigo Garcés, Irene Visedo
Fantastique | Mexique, Espagne | 2001 | 1h47
Prix du Jury et Prix de la Critique Internationale au Festival de Gérardmer 2002
Sortie en DVD le 04 Février 2003
L’Echine du diable
1939, la Guerre d'Espagne fait rage. Le jeune Carlos est amené par les compagnons d'armes de son père mort au combat à l'orphelinat Santa Lucía. Celui-ci, dirigé par l'élégante Carmen et par le professeur Casares, accueille les orphelins des militants antifranquistes. Carlos se rend rapidement compte qu'il s'y produit des phénomènes étranges, la nuit apparaîtrait même un fantôme qui hanterait les sous-sols...
Faisant suite après Mimic à une première expérience hollywoodienne pour le moins frustrante, le réalisateur d'origine mexicaine Guillermo Del Toro s'est tourné vers l'Espagne (et notamment Pedro Almodóvar, producteur du film) pour son troisième long-métrage, un retour au film d'horreur poétique. S'inscrivant dans la veine de son premier essai, le séminal Cronos, ce nouvel opus s'impose néanmoins comme un nouveau départ pour un auteur qui parvient enfin, pour la première fois, à traduire de manière cohérente et aboutie les différents motifs qui composent son cinéma.

Pour ce faire, Del Toro adopte comme genre général le film de fantôme bien que son oeuvre témoigne de codes divers, en particulier un background de films de guerre. Après avoir traité du thème de l'immortalité dans Cronos, le cinéaste s'intéresse cette fois-ci à la figure du spectre, en l'étendant non seulement au revenant placé au cœur du récit, mais également aux autres protagonistes ainsi qu'au conflit intérieur. C'est en situant cette histoire dans un orphelinat à l'écart du monde, sous la menace de la Guerre Civile, que le réalisateur choisit de peindre le tableau d'une Espagne figée dans le temps, au même titre que cette bombe qui s'est écrasée dans la cour de l'école sans jamais exploser. Constante Epée de Damoclès, l'ogive symbolise une guerre qui ne s'est jamais réellement terminée pour le pays tout en présentant l'empreinte de l'auteur, fasciné par les éléments arrêtés dans le temps.

Guillermo Del Toro propose avec ce film singulier - Prix du jury et le Prix de la critique internationale au Festival de Gérardmer en 2002 - un conte de fées moderne pour les terreurs qu'il fait surgir, teinté d'un fantastique qui n'est pas sans rappeler le surréalisme d'un Buñuel (on songe bien sûr à la directrice avec sa jambe prothèse qui évoque la Catherine Deneuve unijambiste de Tristana). Le réalisateur puise dans ses souvenirs personnels et installe un inquiétant univers glauque où rien n'est jamais sûr ni rassurant.

Cet orphelinat isolé privé de repère spatial (les seuls plans de l'extérieur montrent une étendue désertique et le village le plus proche est, à ce que l'on dit, à une journée de marche) et où la notion de temps est incertaine (on sait que les franquistes se rapprochent sans que l'on sache quand ils seront là) est sous la menace verticale de noirs avions qui le survolent régulièrement.
L'Echine du Diable évoque la notion de spectre de différents points de vue, notamment comme quelque chose d'incomplet. Ainsi tous les personnages ont perdu quelque chose ou sont hantés. Le sentiment de menace naît d'adultes fragiles dont l'autorité n'est qu'apparente, tant ils sont en proie à leurs propres insuffisances (impuissance, vie malheureuse, enfance saccagée) et qui se révèlent peu rassurants par leurs désirs et leurs jeux bien plus dangereux que ceux des enfants (goût pour l'or, déviances sexuelles).

Le réalisateur entend montrer par la blessure au front du fantôme enfant (qui ne cesse symboliquement de saigner) la permanence de la souffrance de toute vie. Et il ne cesse de le rappeler avec un art consommé de la vision en associant vie et mort : on rappellera l'image récurrente du bassin plein d'une eau trouble qui peut représenter le liquide amniotique de la vie et qui sert de refuge au fantôme, donc à la mort ; ou encore ces foetus, symboles de vie, mais conservés morts par le docteur dans ses bocaux. C'est entre vie prénatale et mort que se déroule inéluctablement un film multipliant visions surréalistes et fantastiques dans un foisonnement d'images surprenantes et insolites, belles et cruelles, mais toujours magnifiquement filmées dans un style directement emprunté au maestro Mario Bava.

L'histoire présente deux principaux esprits hantant les vivants : le fantôme métaphorique qu'est la guerre elle-même, qui détruit passé et futur, et le fantôme littéral qu'est Santi, esprit revanchard. C'est avec ce film que Del Toro nous présente pour la première fois un monstre tout d'abord effrayant avant de s'avérer ne pas être le véritable monstre du film. Dans cette optique, Del Toro fait le choix audacieux de briser la règle de grammaire du cinéma d'horreur et de révéler très tôt le monstre à l'écran. A l'instar du Labyrinthe de Pan, le véritable méchant du film est incarné par un être humain à l'apparence séduisante comme peut l'être le Mal. Ces deux personnages sont condamnés à voir leur histoire se répéter inlassablement. Del Toro construit son intrigue de manière symétrique, favorisant les rimes (le début et la fin se répondent, Casares se reflète deux fois dans un miroir de façon différente, deux personnes différentes tombent dans le bassin, etc.) et la relecture qu'opère le film sur ses propres séquences se fait à chaque fois plus poignante.

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