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Affiche 108 - Cuchillo de Palo

108 - Cuchillo de Palo

Renate Costa
Avec la participation de Miguel Auad Petunia, Renate Costa, Manuel Cuenca
Espagne | 2010 | 1h31
« Le devoir de mémoire est le devoir de rendre justice, par le souvenir, à un autre que soi. » Paul Ricoeur.
C´est ce devoir intime et politique qu´accomplit Renate Costa dans son premier long-métrage « Cuchillo de palo », qui retrace la vie de son oncle, un homosexuel victime de répression sous la dictature de Stroessner dans les années 80 au Paraguay. Ce film a été développé dans le cadre du master de création documentaire de l'université Pompeu Fabra de Barcelone et produit en Espagne.
Animée par un besoin insatiable de vérité, la jeune réalisatrice, à qui il aura fallu six années de recherches pour mener à bien ce projet documentaire, sort de l'ombre quelques vieilles photos de famille et remue le couteau dans les plaies mal refermées de la dictature pour nous offrir en somme une ode métaphorique à la mémoire contre les politiques de l´oubli.

Fascinée par son oncle mort dans des circonstances mystérieuses, Renate revient à Asunción dix après pour éclairer d'un nouveau jour la « vraie » vie de cet homme dont elle garde un souvenir ému. C'est au gré des rencontres avec ceux qui l'ont côtoyé (voisines, professeur de danse, travestis…) que Renate remonte le temps et reconstruit l'histoire de Rodolfo Costa. Dès lors, le proverbe espagnol “En casa del herrero, el cuchillo es de palo” (dont la traduction littérale serait : « Chez le forgeron, le couteau est en bois ») donne tout son sens au titre car Rodolfo est bien la brebis galeuse dans cette famille où le métier de forgeron se transmet de père en fils. Sa faute ? Etre homosexuel et danseur dans une société conditionnée par l'autoritarisme politique et la religion. Mais ce n'est pas tout, car bientôt la cinéaste découvre que son oncle faisait partie de la liste des « 108 » homosexuels arrêtés et torturés sur l'ordre du gouvernement. Un numéro devenu outrageant depuis cette affaire d'état : « Les gens l'ont éliminé de leurs maisons, de leurs voitures, des chambres d'hôtels. Ils ont oublié d'où provenait ce mot » commente en off la cinéaste.

Ainsi, via l'investigation sur son oncle défunt, la cinéaste réveille la mémoire endormie de tout un pays et démontre que les cicatrices de la période Stroessner ne sont pas totalement refermées : si certaines personnes se confient aisément à Renate, d'autres préfèrent ne pas apparaître à l'image et garder l'anonymat. On découvre à travers ces témoignages les horreurs et humiliations infligées aux homosexuels. Les résonances du passé douloureux sont encore nettement palpables dans le présent, sinon comment expliquer que le club homosexuel dans lequel se rend Renate ait été baptisé « Trauma » ?

Mais cette enquête permet aussi à la jeune réalisatrice d'interroger inlassablement son père, un véritable « homme de fer ». Celui-ci semble peu connaître Rodolfo. En réalité, il préfère ignorer les atrocités subies par son frère et nous dresse un portrait glaçant de celui-ci : « Rodolfo n'était pas un homme, c'était un indéfini. » En questionnant son père, Renate se heurte à un mur d'incompréhension, à une mentalité rigide et inflexible qui n'a guère changé depuis la dictature. Aussi la jeune femme nous fait-elle toucher du doigt l'abîme qui sépare deux générations aux mœurs opposées : d'un côté la morale et les préceptes religieux, de l'autre la tolérance et l'acceptation de son prochain. La relation entre Renate et son père est complexe, comme le prouvent leurs discussions souvent tendues. Mais nous retenons particulièrement le silence pesant de la scène finale qui laisse enfin éclater la vérité sur Rodolfo et oblige le père de Renate à ne plus fuir les évidences. Enfin, cette relation se compose aussi et surtout de grands moments de tendresse et de complicité qui nous invitent à nous demander si les dictatures les plus sournoises ne sont pas celles que nous voulons nous imposer à tout prix.

Renate Costa signe ici un documentaire empreint de mélancolie et de délicatesse qui rend inextricables l'histoire (personnelle et intime) et l'Histoire (des grands événements sociaux et politiques). Les paroles apaisantes et poétiques de la réalisatrice qui commente en off se font l'écho de sa tristesse et de sa douleur face à la perte d'un être aimé, mais viennent surtout illustrer son combat acharné contre l'ignorance, l'intolérance et les lâchetés engendrées par les dictatures.

Emilie Parlange


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