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05 Avril 2018
Entretien avec Marie–Soledad Rodriguez, professeur de cinéma à La Sorbonne Nouvelle.

Invitée au 28ème festival de cinéma espagnol de Nantes en avril 2018, Marie–Soledad Rodriguez nous a parlé des difficultés pour les réalisatrices espagnoles de créer hier et aujourd'hui en toute liberté, et en toute égalité avec leurs collègues masculins

Filmer au féminin en Espagne hier et aujourd'hui
Marie –Soledad parle en connaissance de cause, elle qui a consacré une thèse à Jaime de Armiñán, un livre au cinéma de Julio Medem, collaboré à de nombreuses publications universitaires, et étudié le cinéma de Isabel Coixet, entre autres.

Filmer au féminin en Espagne, c'est un défi !

En témoignent les pionnières Ana Mariscal, Margarita Aleixandre, Rosario Pi, Elena Cortesina, Cecilia Bartolomé, Josefina Molina : des noms peu connus, sauf peut-être Pilar Miró, qui ne se déclarait pas féministe. Leur cinéma a tantôt été taxé de médiocre, de peu créatif, de reflet de la condition féminine (films intimistes, d'introspection) tant de critiques péjoratives qui dénient au cinéma réalisé par des femmes un attrait et une valeur universels. Non seulement les films de ces réalisatrices n 'ont pas eu le retentissement escompté ou égal à celui des hommes, mais ont du se satisfaire de budgets moindres, et d'une réception peu valorisante de la critique. Des films qui sont passés souvent inaperçus (comme par exemple en 1952 un film de Ana Mariscal qui présentait pourtant une œuvre néo-réaliste et une vision critique de la vie madrilène).

Une récente émergence 

Il faudra attendre la période de la transition pour que les femmes puissent s'affirmer, et être protagonistes dans les films ; citons Cecilia Bartolomé, qui a un réel engagement féministe lorsqu'elle illustre la difficulté à s'affranchir du mariage, et à choisir sa vie, et qu'elle éclaire le public sur le véritable statut de la femme dans Vámonos Bárbara et Margarita y el lobo.

Une autre cinéaste, Josefina Molina, réhabilite la figure de la femme en montrant que sa condition n'est que la résultante d'une série de contraintes, surtout sous la dictature franquiste qui a opéré un retour en arrière (droit de vote, droit au divorce, droit d'ouvrir un compte bancaire, etc).

La nouvelle génération des années 90 est analysée par Antonio Santamarina mais sans mettre en avant la créativité des femmes : il se contente de constater des constantes dans leur cinéma, sans faire le pendant avec celui des hommes ! Il est vrai que jusqu'à 1990 le cinéma féminin espagnol ne compte que 12 réalisatrices. Mais à partir de cette date on en dénombre 28, qui représentent 18,6 % des cinéastes. Le problème est que très souvent elles ne réaliseront qu'un seul film...

Il y a donc une discrimination envers les films de femmes : on les dévalorise, on nie leur créativité, on ne leur attribue pas les mêmes conditions, et leur réceptivité est moindre.

Car les difficultés sont nombreuses : difficultés à trouver un budget, difficulté à exprimer leurs différences (aujourd'hui encore pour créer en toute liberté financière il faut suivre la mode de la comédie, ou créer sa propre société de production, ou filmer à l'étranger comme l'a fait Isabel Coixet). Elles doivent attendre 40 ans en moyenne pour pouvoir réaliser leur premier film...

Les femmes cinéastes actuelles (sauf Iciar Bollaín ou Gracia Querejeta, issues de familles de cinéastes) ont eu des formations diverses : elles ont été techniciennes (monteuses), publicitaires, scripts, documentaristes,scénaristes avant de pouvoir accéder à la réalisation.

Donc, comme le signale Marie-Soledad Rodríguez "être une femme cinéaste en Espagne ne semble pas couler de source".

Vers une plus grande visibilité 

Et la reconnaissance de leurs pairs est rare : en 2006, l'association CIMA des réalisatrices espagnoles -qui revendique des budgets égaux avec leurs collègues masculins- met en évidence la représentation stéréotypée des femmes dans les films masculins, et note que l'Académie du cinéma depuis 1986 n'a primé que 4 fois des cinéastes femmes : Pilar Miró, Iciar Bollaín et deux fois Isabel Coixet.

De fait depuis 2005-2010 une nouvelle génération de femmes cinéastes s'affirme, avec Paola Ortiz, Laeticia Dolera, Mar Coll, Inés París, María Ripoll, Patricia Ferreira. Mais elles doivent se tourner parfois vers la comédie par souci d'obtenir un financement.

Aujourd'hui il y a environ 14 à 15% de femmes entre les réalisateurs en Espagne, contre 21% en France.

L'autre obstacle est aussi la réception de leur propre cinéma national par les Espagnols, il a souvent mauvaise presse, mais les critiques essaient de le valoriser.

En France, les étudiants de La Sorbonne-Nouvelle sont séduits par certains films, montrent un véritable intérêt pour les créations de Julio Medem, mais aussi de Mar Coll ou Isabel Coixet.

Le 28ème festival de cinéma espagnol de Nantes a rendu hommage à Isabel Coixet, et proposé des films de Carla Simón, Elena Martín, Meritxell Colell, Paula Cons, dans des productions originales, opera prima ou films nominés ou récompensés.

Les années 2017 et 2018 semblent montrer une nouvelle ère, celle des revendications féminines inaugurées par le monde du cinéma justement, en vue d'un plus grand respect, d'une véritable égalité des conditions et des salaires ; souhaitons que cette nouvelle ère balaye les préjugés !

Françoise-Claire Buffé-Moreno

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