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Face à la catastrophe politique : guerre(s) et dictature(s)
Au cours de la conférence plénière d'ouverture, Vicente Sánchez Biosca introduit le sujet sous le signe du politique : le traumatisme de la guerre civile espagnole, grande catastrophe responsable de la séparation de deux fractions de la population, perdurerait dans la mémoire collective du XXI ? siècle. Pour le prouver, le chercheur souligne la pénurie en matière de documents visuels en provenance des maquis et utilise cette donnée comme une donnée historiographique à part entière s'appuyant sur une perspective pragmatique, puisqu'elle nous informe des conditions de vie et de réalisation des rares documents visuels représentatifs de la dissidence ayant incorporé les archives. « Cette pénurie, nous dit-il, naît de la peur » et « la peur avec laquelle une photo est tirée pénètre dans la photo elle-même ». Ceci est parfaitement visible, par exemple, dans les images d'archive utilisées dans le documentaire Aquí en otro tiempo, qui introduisent en plus de la problématique de la distance temporelle entre le moment de leur production et leur ré-utilisation, des aléas enfin de la reconstitution mémorielle.
D'un autre point de vue, s'appuyant sur les films Las bicicletas son para el verano et La voz dormida, Jorge Nieto Ferrando a montré l'utilisation des canons esthétiques propres au genre cinématographique de la catastrophe dans la filmographie contemporaine sur la guerre civile espagnole, comme par exemple, à partir de l'introduction de la figure de ce que Jordi Balló appelle « l'intrus destructeur » dans les conflits de situation. Dans les conflits d'ordre social où le franquisme exerce le rôle de l'opposant, le chercheur compare avec Antigone les femmes qui -ayant un rôle principal- aident les vaincus malgré l'interdiction institutionnelle. Ainsi, les représentations de la guerre civile déambuleraient entre le cinéma de la catastrophe et la tragédie.
Dans ce même registre de la guerre civile, mais cette fois-ci opérant un déplacement spatial important, Maria-Benedita Basto, s'emparant du film documentaire Cartas de Angola, a montré « l'importance de la transmission d'un vécu catastrophique » et le choix esthétique du témoignage pour établir un lien entre le passé et le présent, pour attirer l'attention des nouvelles générations et leur venir en aide dans leur quête identitaire par la voie de la transmission.
Pour sa part, Pietsie Feenstra, en explorant les fantômes du passé de la période de la dictature militaire en Argentine à partir de La Historia Oficial et Los rubios, trouve dans le cri la figure sonore qui permet de créer ce qu'elle nomme la mémoire photographique de l'absence. La voix filmique, forme sonore par excellence, acquiert une intensité fortement expressive dans le cri, mise en scène de l'absence des disparus.
Face à la catastrophe naturelle
Malgré les nombreuses catastrophes survenues dans le continent américain, Álvaro Fernández a souligné la relative inexistence du genre dans la filmographie latino-américaine tout en avançant l'hypothèse des forts investissements nécessaires. Malgré tout, il trouve quelques tentatives dans le cinéma de série B depuis les années soixante jusqu'à nos jours. Et Alejandro Izquierdo nous permettait de découvrir que, malgré cette tendance générale, les dommages matériels et humains causés par la catastrophe de 1999 dans le territoire de Vargas ont trouvé des traces indélébiles dans la cinématographie vénézuélienne : El chico que miente, El rumor de las piedras et La hora menos en constituent des exemples.
D'un autre point de vue, Francisco Montaña interprète l'enfance comme une vraie catastrophe inscrite dans l'évolution naturelle de tout un chacun en tant que période située « tragiquement » hors de l'expérience du discours. Dans cette même mise en perspective de l'enfance par rapport à l'adulte, Véronique Pugibet, à partir de quelques films d'animation, souligne qu'en dépit des discours officiels qui prétendent éviter à l'enfant les images trop choquantes ou cruelles, la réalité nous montre que même dans les films à caractère éducatif, le pessimisme gagne l'espace des représentations. C'est le cas, par exemple d'Eskimal où la relative fin heureuse de l'enfant sauvé in extremis avec son animal de compagnie trouve sa contrepartie dans l'idée d'une fin du monde fatalement incontestable.
Á ce propos, plusieurs chercheurs soulignent des possibles effets de manipulation : Diego Zavala Scherer explore « les limites de représentation de la réalité » et les effets de la représentation cinématographique de la catastrophe sur le spectateur. David Wood nous met en garde contre l'excessive médiatisation de la catastrophe et met en valeur la cinématographie expérimentale et les documentaires qui s'insurgent contre cette spectacularisation, comme La isla: archivos de una tragedia, Los rollos perdidos et Aro Tolbukhin: en la mente de un asesino. Enfin, la conférence plénière de clôture de Julia Tuñón abondait dans le même sens, tout en nous réservant un point de vue extrêmement novateur. S'appuyant sur un fond documentaire aussi riche que varié, Julia Tuñón remarque à la fois un vide cinématographique et une exaltation des médias face à la catastrophe naturelle. Elle nous fait noter l'extrême médiatisation de la solidarité civile devant l'incapacité institutionnelle à faire face à la catastrophe du tremblement de terre de 2014 dans la capitale du Mexique et souligne l'effet amplificateur des inégalités sociales.
Face à la catastrophe économique et sociale
Nombreux ont été les chercheurs espagnols qui ont soulevé la catastrophe sociale dérivée de la crise économique de 2008. Sonia García a souligné l'importante mobilisation citadine dans ce climat apocalyptique et ses échos dans un cinéma qui met en cause les discours institutionnels légitimateurs des mesures économiques restrictives. S'appuyant sur le documentaire de Mercedes Álvarez intitulé Mercado de futuros, Rafael Tranche attire notre attention sur la débâcle urbaine issue de l'éclatement de la bulle immobilière et le maintien d'une logique financière qui efface la mémoire collective liée à un espace singulier, provoque la rupture du tissu social et uniformise la configuration urbaine. Alors que Vicente Benet, dans son analyse du documentaire de Moreno Edificio España, trouve dans les travaux de destruction une allégorie de la vanité du capitalisme et une synecdoque de l'effondrement des rêves de puissance de l'Espagne d'après-guerre. De l'édifice à l'humain, de l'humain à l'édifice, le son d'un des travailleurs imitant un cop s'approprie autant la bande sonore que les cavités intérieures de l'immeuble et dote ce dernier des capacités gutturales de son référent animalier. Dans la ligne de l'œuvre fondatrice En construcción, Edificio España présente pourtant une différence majeure : tandis que le temps a un caractère cyclique dans le premier, dans le deuxième la catastrophe aboutit à une destruction sans construction possible. Á partir de là, les propos d'Antonia del Rey Reguillo prennent une ampleur inouïe, puisqu'elle met l'accent sur les conséquences humaines et sociales, sur le vécu pluri-individuel et les renversements qui ont transformé le quotidien des classes moyennes et des ouvriers. Pour le montrer, elle s'appuie sur trois films qu'elle considère comme un reflet de la débâcle : Cinco metros cuadrados, Hermosa juventud et La chispa de la vida.
Mêmes impressions venant d'autres territoires d'outre-mer où, selon Álvaro Fernández, ce qui prédomine dans le cinéma latino-américain, c'est la catastrophe sociale. La catastrophe sociale fait l'objet des analyses d'Ana María López dans son étude de l'œuvre du cinéaste chilien Dunav Kuzmanich, dont la filmographie, centrée sur la violence et les situations sociales conflictuelles, fut censurée. C'est dans ce passage du discours politique au discours cinématographique que David Jurado trouve une ligne de recherche intéressante pour analyser La Sonámbula de Fernando Spiner. Entre le rêve et la réalité, ce film nous est présenté comme un film apocalyptique « au sens propre du terme, c'est-à-dire, comme une révélation ».
Non moins révélatrices des problématiques sociales contemporaines sont les analyses de Joaquín Manzi et d'Alberto Da Silva. Si l'un et l'autre centrent leur travail sur la peur de l'autre, Alberto Da Silva rend compte, à partir des films Les bruits de Recife et La Guerre de Canudos, des fortes inégalités économiques et sociales endémiques à la société brésilienne et de la « paranoïa collective » de la « classe moyenne émergente effrayée par l'invasion des classes défavorisées ». Alors que Joaquín Manzi examine ce sentiment de peur face à l'altérité se centrant sur le cinéma fantastique et le cinéma d'horreur latino-américain. La peur de l'autre, décelable dans des films tels que Las Antípodas, Invasión et Juan de los muertos, le conduit à la conclusion suivante : l'autre, l'envahisseur, le zombie, signifie que la crise et la catastrophe « ne sont ni exogènes ni exceptionnelles » mais « systémiques et endogènes » et qu'en Amérique Latine la mondialisation est conflictuelle.
Le cinéma face à la crise économique, entre catastrophe et aubaine
Paul Julien Smith montre que la baisse des subventions allouées à la réalisation cinématographique s'est vue accompagnée d'une transformation des séries télévisées de plus en plus proches de l'esthétique et des ambitions cinématographiques. La crise aurait en quelque sorte déplacé les fonds et interverti les habitudes en matière d'investissements.
La question des conséquences des restrictions budgétaires sur le cinéma ibéro-américain fut posée, entre autres, lors de la rencontre avec le réalisateur Carlos Vermut et la productrice Piluca Baquero. Pour sa part, Carlos Vermut a souligné les effets des progrès techniques sur l'activité cinématographique qui ont rendu plus abordable l'achat d'une caméra et apporté par conséquent une certaine démocratisation au métier. Par ailleurs, Piluca Baquero estime que la baisse de subventions s'accompagne d'une liberté accrue.
Dans le même ordre d'idées, le journaliste Javier Tolentino, auteur de l'ouvrage « El cine que me importa » et directeur de l'émission radio El séptimo vicio, souligne les nouvelles possibilités formelles que les progrès techniques ont apporté et que les nouveaux cinéastes espagnols sont en train d'incorporer à leurs créations avec des résultats esthétiques remarquables. Pour lui, de la même manière que pendant la Dictature il y a eu un excellent cinéma espagnol (Saura et Buñuel en sont des exemples concluants), la crise voit apparaître des jeunes cinéastes du cinéma indépendant fort intéressants. De quoi réjouir la cinéphilie et terminer le colloque avec une note d'espoir dans l'avenir.
« C'est le truc le plus beau qui puisse t'arriver. Avoir un enfant avec la personne que tu aimes », Voilà ce qu'entend Carlos, le héros de La Belle jeunesse, lorsqu'il annonce à l'un de ses copains que Natalia, sa petite amie, est enceinte. Lire la suite
La traduction des titres de films d'une langue à l'autre reste toujours un mystère. Si Carlos Vermut a choisi d'intituler son film Magical Girl, en référence au nom d'un manga animé (Magical Girl Yukiko), le distributeur français, lui, a préféré La Niña de fuego, clin d'œil à la chanson éponyme de Manolo Caracol, qui revient tel un leitmotiv dans... Lire la suite
Bonjour Carlos, tout d'abord, félicitations pour votre film! Comment vivez-vous votre arrivée à Paris? Est-ce que vous connaissiez la capitale française et le festival Different, l'autre cinema espagnol?
Merci beaucoup, oui, je connais cette ville car je suis venu à Paris plusieurs fois pour des raisons professionnelles. Lire la suite