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Et le gagnant est… ¡Los Ilusos!

Los ilusos, deuxième long-métrage de Jonás Trueba, a été le grand gagnant hier soir de l'édition 2013 du festival Cinespaña, où il a remporté pas moins de trois prix, dont la Violette d’Or du Meilleur film et le prix du Meilleur acteur pour Francesco Carril, à l’unanimité. Le film a reçu en outre le prix de la Meilleure musique originale et le jury, présidé par Nathalie Baye, ne s’y est pas trompé, soulignant à travers la récompense à Abel Hernández, son compositeur, l'un des éléments clés du film. Tourné en 16 mm et autofinancé, ce sensible hommage au cinéma a été le grand vainqueur de la soirée.
Et le gagnant est… ¡Los Ilusos!

Tourné avec une caméra chargée d’histoire familiale (son oncle, Javier Trueba, l’avait utilisée pour le documentaire sur Atapuerca) ce long-métrage ne comporte qu’une seule copie que Jonás Trueba, entouré de son équipe d’acteurs ilusos, accompagne et présente de festival en festival.

De Buenos Aires, où Francesco Carril avait déjà été récompensé par le prix BAFICI du meilleur acteur, à San Sebastián, en passant par Katowice en Pologne ou Toulouse pour Cinespaña, le jeune réalisateur et ses complices partagent ce journal intime de cinéaste avec de multiples publics. Sa découverte chaque fois renouvelée semble être pour ces ilusos(utopistes, rêveurs) passionnés de cinéma, une source inépuisable d’enrichissement et de plaisir.

 

Suite à son premier long métrage Todas las canciones hablan de mi et un moyen métrage, Miniaturas, tourné avec la caméra de son téléphone portable, Jonás Trueba avait le désir de raconter ce qu’il vivait, ce que vivent les cinéastes entre deux films, entre deux projets : « C’est un film sur le désir de faire du cinéma, ou sur ce que font certains cinéastes quand ils ne font pas du cinéma, sur la perte de temps et le temps perdu, sur les discussions, les soirées arrosées, les repas et routines, sur les balades à la sortie du ciné, sur le fait d’être amoureux, être seul et avec des amis, à construire de futurs souvenirs pour un futur film. »

« Nouvelle Vague » à la madrilène

40 ans après La Nuit Américaine de François Truffaut, Jonás Trueba nous offre sa réponse, comme un reflet dans un miroir inversé. Autant le film de Truffaut montrait l’aspect factice du cinéma, autant Los ilusos en chante la sincérité, "l’utopie". On assiste là à des préparatifs, des prémices, un entre-deux poétique où la foi dans le septième art et le plaisir de faire du cinéma sont plus que palpables. Loin du simple making-of auto-complaisant, la facture soignée, l’interprétation des acteurs extraordinaires de justesse et surtout un noir et blanc lumineux font de ce film un poème en vers libres, une ode au cinéma et ses amoureux. Le choix de la photo transporte le spectateur dans un Madrid actuel et magnifié où il effectue, au rythme des pérégrinations du héros, une promenade dans les endroits imprégnés de cinéma.

Jonás Trueba, sur les pas de León, son alter ego (ou pas) merveilleusement interprété par Francesco Carril, rend un vibrant hommage aux petits cinémas, aux salles indépendantes telles que les cinémas Renoir de la rue Princesa, le Golem, le Pequeño Cine Estudio et bien d’autres, où l’on peut encore avoir le privilège d’être le seul spectateur d’une séance. Enfin, la bande-son, douce et poétique, fait la part belle à la chanson Cabalgar de El Hijo, l'un des points d’inspiration du film, tandis que le montage, tout aussi soigné, suspend une séquence ou au contraire laisse une scène s’effilocher, laissant ainsi le champ libre aux acteurs. Chacun sa tâche, l’acteur propose, le réalisateur choisit.

Pour sa première incursion dans le cinéma, Francesco Carril, plus habitué aux scènes de théâtre qu’aux plateaux de tournage, interprète avec beaucoup de finesse León, en qui l’on pourrait voir un double de Jonás Trueba, mais qui est surtout l’incarnation de ce qu’est un jeune cinéaste, avec ses moments de vide, d’inspiration, de réflexion et son amour du cinéma comme source d’énergie. Aura Garrido a la beauté d’une Jean Seberg des années 2000. Son personnage, dont les fêlures sont plus apparentes que celles de Patricia dans A bout de souffle, lui laisse cependant le même éventail d’interprétation. Elle est tour à tour douce et émouvante, fragile et mystérieuse, distante et lumineuse.

Enfin, tels des gamins facétieux, Los ilusos font de nombreux clins d’œil au spectateur. Du clap de début qui lance le film à la cascade de VHS finale, on ne pourra s’empêcher de sourire au jeu du Loup-Garou, aux plaques de Lanterne Magique, à l’apparition à la manière d’Hitchcock de Jonás Trueba dans un plan très bref, à la scène de cinéma muet où il est question de Blu-Ray et de satellite, et à bien d’autres malices encore.

Il y a dans Los Ilusos une vraie recherche artistique et une fraîcheur, un enthousiasme poétique très émouvant. Sans pédantisme ni prétention, ce deuxième opus à la fois riche et léger est une belle appropriation des grands maîtres. Jonás Trueba marche sur leurs traces.

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