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No sé decir adiós

No sé decir adiós

Un Film de Lino Escalera
Avec Nathalie Poza, Juan Diego, Lola Dueñas, Pau Durà, Miki Esparbé, César Bandera
Drame | Espagne | 2016 | 1h36
Goya 2018 de la meilleure actrice pour Nathalie Poza, Cinespaña Toulouse : Actrice (N.Poza) et photographie (Santiago Racoj) , Málaga : Actrice (N.Poza), Acteur second rôle (Juan DIego), scénario et Prix spécial du jury, Cinehorizontes Marseille :Meilleur FIlm - Meilleur scénario
Un impossible au revoir
Malade d'un cancer José Luis se meurt. Appelée à son chevet, sa fille Carla, célibataire, employée dans une entreprise de Barcelone et cocaïnomane retrouve sa sœur Blanca, mariée et mère d'une jeune fille, qui n'a, quant à elle, pas quitté sa région d'origine et rêve d'étudier la comédie à Madrid. Tous les trois réunis ils vont tenter de faire face à la maladie et la mort. Un sujet grave que le réalisateur Lino Escalera a choisit de traiter de manière sombre et austère sans toutefois sombrer dans le pathos.

Un huis-clos familial

L'histoire se focalise sur ce duo père-fille formé par José Luis et Carla. Le personnage de Blanca se définissant essentiellement comme le contrepoint de sa sœur. A la solitude d'une working girl en tailleur rigide qui partage sa vie entre son entreprise barcelonaise, un appartement vide et les bars où elle tente de s'évader, s'oppose Blanca une mère émotive et passionnée de comédie qui rêve de prendre des cours à Madrid. L'imminence de la mort du père, présentée dès le début du film comme inéluctable sans que cela ne soit jamais évoqué clairement et donc inconsciemment accepté, frappe les deux sœurs qui tentent de surmonter l'épreuve selon leur propre sensibilité et leurs caractères définis par leur histoire personnelle. La présence des autres personnages, médecins, membres de la famille ou collègues de bureau ne fait que renforcer l'impression de solitude des personnages et les enferme dans un huis-clos familial dont ils peinent à s'évader.

Une esthétique de l'enfermement

Cette impression d'enfermement se traduit dans l'esthétique même du film. L'utilisation pratiquement systématique de plans rapprochés ou de gros plans et l'absence de profondeur de champ isole les personnages qui évoluent dans un environnement gris et froid, un décor formé de non-lieux comme le sont le hall d'un aéroport, les bureaux d'une grande entreprise ou les couloirs aseptisés des hôpitaux. Les lieux privés quant à eux sont les témoins d'une intimité souvent maladroite et empreinte de non-dits. Loin d'être de rassurants cocons protecteurs, ils sont eux aussi marqués par la froideur et le dépouillement, à l'image de la vie de leurs occupants, tel l'appartement désespérément vide de Carla.

Malgré leurs déplacements on est frappés par une certaine immobilité à laquelle Carla tente d'échapper en emmenant son père à Barcelone, le mouvement, l'action se faisant porteurs d'espoir et d'avenir. En vain. Ce voyage, ultime tentative pour sauver son père souffrant, illustre l'impossibilité que sa fille éprouve à le laisser partir. La bande-son n'échappe pas à cette impression de morosité qui imprègne le film. Peu de musique extra-diégétique mais les sons de la ville, des silences et des dialogues souvent hachés, tronqués, avortés. Le film commence et se termine ne manière abrupte et s'organise en séquences séparées par des ellipses, quelques secondes brutales d'interruption, de noir et de silence.

Une sobriété sans pathos

On l'aura compris, dans No sé decir adiós, Lino Escalera aborde le sujet de manière grave et accorde aux personnages et aux spectateurs peu de moments de répits. Les émotions que les protagonistes ressentent sont empreintes de tristesse, de colère, d'incompréhension mais révèlent aussi par moments une tendresse fragile, fugitive. Paradoxalement, Blanca qui semble être résignée est la seule qui véritablement apparait tournée vers l'avenir. La lutte de Carla est vaine puisqu'elle poursuit l'impossible, tente de stopper la mort inéluctable. En cela elle est sans espoir car elle tente d'arrêter le temps au lieu de regarder la mort père en face et de l'accepter. Lui-même, par des gestes quotidiens, boire un verre dans un bar ou fumer une cigarette, tente de conjurer le sort et de ranimer un corps rongé par la maladie.

En formant ce trio, Lino Escalera interroge frontalement la façon dont nous affrontons la maladie et la mort, comment celles-ci font irruption dans le cours d'une vie et s'entrechoquent avec les trajectoires individuelles. En toile de fond de ce drame, les vies de chacun marquées par le chômage, les frustrations ou les addictions à la drogue. Le tableau est donc sombre mais l'on ne tombe jamais dans le pathos ou le jugement. Car tous sont dignes et luttent à leur manière contre le mal qui les guette, sans jamais sombrer.

Film vu à l'occasion de la onzième édition du festival Dífferent! 11 à Paris en juin '18.

Sophie Almonacil