Interviews

Carlos Saura et la danse

Robert Wise, le réalisateur de West Side Story, m'a dit que j’étais en train d’inventer un nouveau type de films musicaux. 
La sortie en France de Fados était l'occasion rêvée de revenir sur le parcours de Carlos Saura dans le champ du cinéma et de la danse. Le réalisateur évoque cette manière si particulière qu'il a d'accompagner par la caméra le mouvement des corps dansants.
Carlos Saura en tournage
Fados est votre huitième film chorégraphique et musical. D'où vous vient cet intérêt pour la danse ?

Je crois que cette passion est née lorsque j'étais photographe au Festival International de Musique et de Danse de Grenade. J'étais surtout fasciné par les répétitions, l'engagement incroyable des danseurs et leur ténacité. Cette expérience a inspiré mon premier film musical, Noces de sang, que j'ai réalisé en collaboration avec Antonio Gades. Je voulais me détacher de la position du spectateur pour poser un regard de cinéaste sur la chorégraphie, c'est-à-dire pouvoir sélectionner des éléments et donner une plus grande dynamique à l'ensemble, en jouant par exemple sur la lumière ou sur les mouvements de caméra, de telle façon que le spectacle soit totalement nouveau.

On sent dans vos films musicaux une évolution d'un cinéma de fiction vers un cinéma de pures expressions musicale et corporelle.

Il est vrai que mes films musicaux sont de deux ordres : les premiers sont narratifs comme Carmen, El Amor Brujo, Tango, et les seconds dont Sevillanas, Iberia et Fados font partie, ne racontent aucune histoire, chaque artiste fait sa représentation et de l'ensemble naît une certaine cohérence. Cette dernière façon de procéder m'offre une plus grande liberté, aussi bien au niveau de l'expression que de la scénographie. Dans le cinéma de fiction, le réalisateur est assujetti à l'histoire et à l'espace. Dans les films musicaux tels que je les fais, en studio, avec ces grands panneaux de couleurs et ces miroirs, j'ai la possibilité de transformer le décor et la lumière à ma guise. Dans Fados, je mets en valeur les artistes en théâtralisant l'espace par un jeu de lumières évoquant la tombée de la nuit ou au contraire le lever du jour, je projette aussi des vidéos des rues de Lisbonne.

Cela fait de ces films des œuvres inédites qui ne ressemblent ni aux comédies musicales hollywoodiennes, ni aux films de Jacques Demy ou d'Alain Resnais...

Je crois effectivement que ces films sont uniques en leur genre. Lors de la nomination de Carmen aux Oscars, je me souviens d'avoir rencontré à Hollywood Robert Wise, le réalisateur de West Side Story, qui me disait que j'étais en train d'inventer un nouveau type de films musicaux. Il est vrai que ces films sont inclassables puisque ce ne sont ni des fictions, ni des documentaires. Quand nous avons projeté pour la première fois Fados au festival de Toronto, j'ai été surpris d'entendre le public applaudir entre chaque scène, comme si nous étions en train d'assister à une représentation d'un spectacle vivant. Cela montre bien la spécificité, le côté hybride de ces films.

Vous avez mis en scène du flamenco, du tango et aujourd'hui du fado, des danses aux racines fortes, mais qui sont aussi ancrées dans une certaine modernité.

Il y a des musiques dans le monde qui restent immobiles et appartiennent au folklore, à l'inverse, le tango, le flamenco et le fado évoluent et s'enrichissent d'autres apports musicaux. Aida Gomez, qui est une grande danseuse et chorégraphe, me disait qu'il est possible de danser le flamenco sur n'importe quelle musique, même du Vivaldi ou du Bach si vous voulez. Pareil pour le tango qui est confiné dans un rythme, mais ce rythme est tellement ample que des compositeurs comme Chostakovitch ou Albeñiz s'en sont emparés. Dans Fados, nous avons expérimenté pour le morceau "Meu Fado", interprété par Mariza et Miguel Poveda, une juxtaposition très réussie entre fado et flamenco, deux danses et deux mondes très différents. Cette séquence est en plus une innovation puisque la forme du duo n'existait pas dans le fado.


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