La Mami : 90 minutes passées avec nos amies.

Laura Herrero Garvín est la scénariste, réalisatrice et photographe de ce documentaire à la production mexico-espagnole (Laura Imperiale pour Gadea Films, Laia Zanon, Patricia Franquesa). Un documentaire oui mais une tranche de vies bien plus. Des femmes réunies dans un lieu précis – les toilettes pour dames du cabaret Barba Azul au Mexique (Barrio La Colonia Obrera, Ciudad de México) – à un instant T, l’arrivée d’une nouvelle travailleuse « sociale ».

La Mami est celle qui prend soin des autres. De ses propres enfants, petits ou grands, et des clients du club. Des Hommes qu’elle doit supporter « del más fino al más patán ». Celle aussi qui prend soin d’elle, envers et contre tout. Laura Herrero Garvín réalise un documentaire au plus proche de son sujet : la femme qui travaille dans un salón de chicas. Ses fonctions sont l’accompagnement des hommes dans leur soirée : danser, parler et boire avec eux. Leur faire de la compagnie dans ce club nocturne. Elles sont rémunérées par leur présence et sur les consommations de leurs « compagnons » d’un soir. Rien d’autre. Des conversations, des rires, des pas de danse. Ce ne sont pas des « putas » mais des « travailleuses sociales » comme le rappelle la Mami à une cliente venue s’amuser dans ce club et qui questionne bien maladroitement les « ficheras ». La Mami, Doña Olga, veille sur elles et les soutient. Elle prie pour elles aussi, et reconnaît que leur travail est fait pour une bonne cause comme par exemple, le financement de traitements médicaux. Dès que les filles rentrent dans leur zone de préparation, jusqu’à leur descente au Salon de danse et la fermeture du cabaret, elles doivent danser et faire boire pour récolter l’argent dont elles ont besoin. La Mami garde leurs effets personnels et leur distribue du papier hygiénique. Elle peut également partager son expérience de 45 années à travailler comme « chica de compañía », « mesera » et « vendedora de canción ».

Toutes sont mises à nu, non seulement par La Mami mais surtout par la caméra qui les scrute. Elles et leurs reflets dans les miroirs face auxquels elles se parent. Nulle échappatoire pour « las chicas del salón ». Leurs gestes sont captés dans les moindres détails. Une chorégraphie qui les sublime et les propulse au rang des divas. Or, même filmées ainsi, dans une bienveillance féministe, ce que l’on perçoit aussi c’est leur côté obscur. Cette partie de nous tous finalement qui est absorbée, mutée, ravagée par le besoin de l’argent. Et ce n’est pas leur travail qui est spécialement ravageur, bien qu’on ressente de l’empathie, mais le système en tant qu’unique option pour survivre dans la réalité.

 

La Mami est l’œil salutaire. Elle est là quand elles ont trop bu, le plus souvent malgré elles. Elle est le corps qui fait écho à la célèbre devise « travailler plus pour gagner plus », elle est celle qui les encourage malgré leur épuisement. La Mami veille et leur rappelle aussi qu’il est possible de travailler tout en se respectant. Elle est là pour faire entendre que la juste motivation est primordiale pour se faufiler au mieux et le plus vite possible dans ce terrain professionnel.

 

La Mami c’est Doña Olga et toutes les mamans à la fois. Un sujet encerclé par la caméra de Laura, qui sait se faire discrète même dans la galerie aux miroirs des toilettes pour femmes du populaire cabaret Barba Azul. Un huis-clos duquel on sort uniquement pour entrer dans un autre à la fin du documentaire. Des femmes en captivité que l’on ne juge pas dans l’Art. Une présence de femmes sages dans un monde qui ne les épargne pas. Une pierre à l’édifice du féminisme contre les systèmes inégalitaires.