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Selfie

Tout le film de Víctor García León est centré autour de Bosco, fils d'un politicien malhonnête qui se retrouve seul et livré à lui-même après l'arrestation de son père. Seul ? Pas vraiment puisqu'il est continuellement suivi par une caméra, celle du cinéaste qui se substitue aux smartphones qui ne nous quittent plus et à travers lesquels nous dévoilons nos vies. Le film s'ouvre sur une scène banale, la fête d'anniversaire qui réunit un groupe de jeunes amis dans une villa d'un quartier huppé de Madrid. On n'échappe pas à l'incontournable selfie pour immortaliser l'instant.
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Quand la réalité est mise en scène...

Ce que nous montre Víctor García León c'est les rapports du personnage avec les autres et avec le monde qui l'entoure. La villa dans laquelle il vit et son milieu social symbolisent un monde à part, celui des happy few, c'est le théâtre d'une vie où les rapports sociaux sont creux, où tout est idéalisé et basé sur les apparences. Dès la révélation du scandale, Bosco (Santiago Alverú, bientôt dans Miamor perdido, 2018) se retrouve sans amis et pour ainsi dire sans famille, sa sœur part vivre à New York, sa mère se volatilise et son père à qui il rend visite en prison rejette son besoin d'aide et d'attention.

Ce monde en toc dans lequel est allègrement enfermé le personnage - dépeint comme ignorant et niais, un imbécile heureux qui affiche un petit air bête et énonce des phrases toutes faites, des banalités sous forme de sentences, qui nous rappellent d'ailleurs celles que l'on voit sur les réseaux sociaux - Bosco devra le quitter et se confronter à la vraie vie, dirions-nous. Ironiquement cette rupture se fait à la suite de la révélation télévisée du scandale financier qui émaille son père. Un autre de ces objets qui altèrent notre rapport au monde...

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Et voilà notre jeune ingénu brusquement projeté dans un tout autre univers, celui de ceux qui galèrent, de ceux qui vivent à Lavapiés, quartier populaire et multiculturel de Madrid. Plus de voiture, c'est maintenant en transports en commun que Bosco devra se rendre à son travail, dans un centre qui accueille des trisomiques ; plus de villa sur les hauteurs de la ville et de maison familiale avec piscine, désormais Bosco devra louer une chambre dans un appartement et vivre en colocation avec un migrant venu d'Afrique du sud et un jeune étudiant qui trime et partage sa vie entre un petit boulot et ses études pour s'en sortir. Et que dire de sa nouvelle petite copine aveugle jouée par Macarena Sanz (Las Furias de Miguel del Arco)? Renversement ironique pour celui dont toute la vie est basée sur les apparences et qui perçoit le monde à travers un filtre. Mais des deux n'est pas le plus aveugle celui que l'on croit...

Une comédie grinçante

Ce qui ne quitte pas Bosco, c'est cette caméra qui le suit en permanence. Cette caméra gênante et égoïste qui capture des instants sans demander l'avis des autres ("mais la rue n'est-ce pas l'espace public, un espace qui appartient à tout le monde et donc à personne ?"se défend Bosco avec mauvaise fois). Víctor García León fait de lui un personnage insupportable, égocentrique, et incapable d'empathie, ce qui se traduit dans le film par la fréquence d'utilisation des gros plans et des plans poitrines qui isolent le personnage de l'environnement dans lequel il évolue. Bosco est celui qui occupe l'espace (filmique) de manière égoïste, se souciant bien peu de l'avis des autres, incapable de se mettre à leur place, il est d'ailleurs inapte à entretenir des rapports sociaux, ne voyant le monde que par le prisme de son expérience personnelle et donc étriquée.

Cette caméra qui le suit se révèle gênante pour les autres qui ne cachent pas leur agacement. Le ton du film est faussement comique et penche plus vers une ironie amère. Certes Bosco est niais, pas méchant ou mauvais, mais sa bêtise se révèle parfois cruelle pour les autres. Ces images dérangeantes invitent le spectateur à s'interroger et à remettre en question son rapport au monde.

A-t-on le droit de tout filmer et surtout quel en est l'intérêt ? Car ce que fait Bosco en exposant sa vie à la caméra c'est ce qui alimente nos réseaux « sociaux ». Il se dégage du film une vague impression de malaise. Le cinéma, cet art qui donne sens aux images filmées et qui voit la caméra s'effacer pour produire de l'illusion, dénonce celles qui dans nos vies sont omniprésentes au point de transformer le réel en trompe-l'œil. Le monde à l'envers...

Film vu à l'occasion du Festival de Cinéma espagnol de Nantes, Mars-Avril 2018. 
Récompensé par le Prix Jury Jeune.  

Filmographie du réalisateur:

Más pena que Gloria, 2001 / Hay motivo!, 2004 / Véte de mí, 2006. 

Sophie Almonacil

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