Interviews

Javier Cámara – Los Amantes pasajeros, Les Hommes ! De quoi parlent-ils ?-, Ayer no termina nunca

Travailler en France serait pour moi un triple salto. 
Invité d'honneur du festival CineHorizontes de Marseille, qui projetait trois de ses films les plus récents – Los Amantes pasajeros de Pedro Almodóvar, Les Hommes ! De quoi parlent-ils ? - de Cesc Gay et Ayer no termina nunca d'Isabel Coixet –, le désormais incontournable Javier Cámara a accordé à Cinespagne.com une longue interview... en français dans le texte !
Javier Cámara – Los Amantes pasajeros, Les Hommes ! De quoi ...
Tu sembles pouvoir interpréter tous les rôles, des plus drôles aux plus introvertis. Comment fais-tu ?

Merci ! Je ne sais pas, je pense que c'est le scénario, le réalisateur, la mise en scène. Il faut te donner au personnage, faire le travail, suivre les demandes du réalisateur.Je parle avec les réalisateurs, parce que je pense que le film leur appartient. Je veux bien faire mon travail, j'écoute tout, je rentre chez moi et je prends beaucoup de notes, de livres, de références littéraires, musicales, historiques...

Tu es un bon élève alors ?

Je n'étais pas un bon élève à l'école, mais maintenant je suis très content parce que j'ai trouvé mon rôle, mon travail, et je suis très content car c'est un travail très émouvant et très pédagogique pour moi.

C'est une vocation ?

Pas au début. J'ai découvert ce métier très tôt, mais quand j'étais petit, j'ai toujours eu du mal avec l'interprétation, les films, les caméras, toujours. Le théâtre, moins.

Tu n'es pas comme ces acteurs qui disent « depuis l'âge de dix ans, je veux être... »

Non, jamais. J'ai fait une crise d'adolescence à l'école, quand j'avais 16, 17 ans. Je suis parti de mon petit village, je cherchais quelque chose, et je me suis souvenu du théâtre. J'avais un professeur de théâtre fantastique, il m'a dit « Tu peux faire ça », mais je lui ai dit « Pour vivre ? », et il m'a répondu « Mais oui, tu peux gagner ta vie avec ça ! ». J'ai passé l'examen d'entrée de l'Ecole Supérieure d'Art Dramatique de Madrid (RESAD, Real Escuela Superior de Arte Dramático, ndlr), et pour moi le premier jour ça a été « J'adore ! ». La première fois que je suis entré dans une salle d'interprétation, j'ai vu le travail des autres et je me suis dit « Ouah, c'est quoi ça ? ».

Un coup de foudre ?

Oui, absolument, merci, c'est une expression merveilleuse, un coup de foudre !

Comme tu joues dans tous les registres, comment choisis-tu tes rôles, quel est le facteur décisif ?

Je ne pense jamais au style du film, je me demande si je peux donner ma vie au personnage, un morceau de ma vie, et surtout si le personnage me raconte quelqu'un de nouveau. Parce qu'il y a des personnages que je connais bien, qui ne sont pas une surprise pour moi. Quelquefois tu trouves ça fantastique, parce que tu connais bien le personnage et tu te dis que tu peux le faire, mais j'adore quand un personnage me raconte aussi un morceau de ma vie. Je lui donne ma vie, mais le personnage me donne aussi un morceau de sa vie.

Il t'apprend des choses...

Oui, surtout pour me connaître un peu plus, pour être une meilleure personne, pour être sûr de mon travail, pour être fort dans la vie, je ne sais pas...

Tu n'es pas comme ces acteurs qui ont un plan de carrière, qui planifient leurs rôles pour varier les styles ?

Non. Tout le monde me demande quel sera le prochain personnage que j'interpréterai, quel rôle je rêve de jouer, et je n'en sais rien. Si tu prends ce film (Ayer no termina nunca, ndlr), c'est très particulier, dans ce personnage il y a tout : l'histoire, le drame, la tragédie, le bonheur, l'espoir, la haine, tout, tu peux tout lui donner. Après, le style, c'est quelque chose qui appartient au réalisateur.

Alors si je te demande quel sera ton prochain rôle, tu n'en sais rien ?

Je ne sais pas, je n'ai pas de projet. J'aimerais bien faire du théâtre, parce qu'il faut être fort, préparé, tenir sur la durée. Surtout parce que l'an dernier j'ai beaucoup tourné, j'ai fait cinq films.

Justement, 2013 a été une année très productive...

Incroyable ! Regarde les réalisateurs : Almodóvar, Isabel Coixet, Cesc Gay, Jorge Torregrossa – c'est un nouveau réalisateur –, et surtout David Trueba, avec qui j'ai tourné mon dernier film, qui est un succès en ce moment en Espagne. C'est une année vraiment incomparable.

Comment l'expliques-tu, alors que c'est la crise en Espagne ?

C'est inexplicable, pour moi c'est une surprise, un enchaînement de situations. Je me souviens par exemple qu'Isabel n'avait besoin que de deux semaines avec moi pour faire le film, et Cesc Gay juste deux jours. Et c'est facile de faire des films avec les amis, il y a peu d'argent et de temps, mais beaucoup d'histoires merveilleuses.

Hier, quand tu as présenté Una pistola en cada mano, tu as dit que le film s'était construit petit à petit et que les acteurs avaient rejoint le projet à mesure. Cesc Gay a-t-il fait appel à toi tout de suite ? Quand es-tu arrivé sur le projet ?

Clara Segura et moi avons été les premiers. Cesc a répété un peu plus longtemps avec nous, environ 4-5 jours, je crois qu'avec nous il cherchait le style du film. Clara est une actrice très drôle mais aussi très dramatique, elle est fantastique, même si elle ne fait pas beaucoup de cinéma. Alors Cesc voulait tester sur nous quel genre de film il était en train de préparer. Il voulait pouvoir expliquer aux acteurs suivants « Voilà, c'est ça que je veux, c'est ce style, cet humour subtil, mélodramatique mais aussi humiliant pour l'homme, la femme est plus intelligente mais souffre aussi, elle ne se moque pas de l'homme, elle le respecte », un tas de détails. On a été des espèces de cobayes, d'échantillons pour les autres, des pistes.

Cesc Gay avait-il immédiatement pensé à votre couple pour ces deux rôles, ou ignorait-il quels rôles il allait vous donner ?

Oui, il avait pensé ces deux rôles-là pour nous. Nous n'avons pas lu la totalité du scénario, uniquement notre histoire. On a donc découvert les autres après, et j'ai adoré ; j'ai adoré l'histoire de Candela Peña et d'Eduardo Noriega, celle de Ricardo Darín, celle d'Alberto San Juan et de Leonor (Watling, ndlr) dans la voiture. Ce sont des situations que nous vivons tous, constamment, dans tous les pays.

De même que le film d'Isabel Coixet, dans un autre style...

Oui, c'est un drame beaucoup plus personnel, perdre un enfant. J'imagine que pour des parents, perdre un enfant est la chose la plus terrible qui puisse arriver. Ce n'est pas dans l'ordre logique des choses, tu n'enterres pas tes enfants.

Tu as qualifié le film de Cesc Gay de « film choral, très français ». Que lui trouves-tu de français ?

J'ai l'impression que l'humour et le rythme sont les meilleures choses que le cinéma français ait apportées. C'est un film très français dans le sens où c'est un film très cosmopolite, très urbain, les personnages sont des trentenaires ou des quadragénaires, des personnes mûres. En France ce n'est pas risqué de faire des films comme ça, les gens sont habitués, les comédies n'ont pas besoin de forcer le trait pour que les gens aillent au cinéma, il y a un respect du spectateur. Je crois que ce genre de film raconte exactement des histoires qui s'adressent à ce type de public. La subtilité de l'humour est aussi très française.

En effet, beaucoup de films français racontent des histoires croisées comme celles-ci, mais l'humour présent dans Una pistola en cada mano est très espagnol...

Oui, et Cesc est lui-même quelqu'un de très drôle, mais il ne voulait pas en rajouter dans la comédie, juste trouver le point où il y aurait du respect.

Son film rappelle Le cœur des hommes (de Marc Esposito, ndlr), une histoire d'hommes mûrs qui se confient les uns aux autres, qui évoquent leurs problèmes sentimentaux, mais pas avec la même dose d'humour. As-tu vu ce film ?

Non, il faudra que je le voie. Je crois que l'humour est nécessaire dans les histoires de couple, car il est question de séparations, de rencontres, de tentatives de rencontres, d'amour, de désamour, alors il faut de l'humour.

Oui, sinon tu finis comme Candela Peña...

Exact, même si elle semble peu à peu surmonter la situation.

Tu as tourné plusieurs fois avec Almodóvar, Isabel Coixet, Fernando Colomo... As-tu l'impression de faire partie d'une famille cinématographique?

Et avec Cesc Gay aussi. En fait je me sens partie intégrante du cinéma espagnol, une petite partie, mais je crois que désormais j'en fais partie. J'ai fait 30 films, je n'en suis donc pas à mes débuts, je suis déjà dedans. Je fais partie des acteurs du cinéma espagnol, du théâtre ou de la télévision. Mais c'est vrai que c'est une chance de travailler plusieurs fois avec un réalisateur aussi exigeant que Pedro Almodóvar, par exemple, surtout parce que nous n'appartenons pas à la même génération. J'ai travaillé trois fois avec lui, c'est le réalisateur avec qui j'ai le plus tourné. Il a écrit le personnage des Amants passagers, Joserra, pour moi, et c'est une merveilleuse surprise. Travailler avec des réalisateurs de ma génération, comme David Trueba, Isabel Coixet, Cesc Gay, c'est un contact nécessaire parce que je n'ai pas commencé avec eux. Je tourne avec eux seulement maintenant. J'ai fait ma carrière en solitaire, nous nous sommes rencontrés à certains moments, et nous qui sommes de la même génération, nous travaillons enfin ensemble !

Tu as souvent interprété des hommes gauches, maladroits, qui inspirent la compassion. Ça correspond à ton caractère, à ce que tu es, ou c'est ce que les réalisateurs projettent en toi?

J'ai entendu un jour une phrase merveilleuse de Meryl Streep : « Si tu veux savoir comment je suis, regarde mes films, environ une centaine, et dans chaque film tu verras un peu de ma personnalité, et si tu mets bout à bout tous les films, tu peux voir qui je suis ». Je pense la même chose. Je ne sais pas lequel de mes personnages est semblable à moi, mais quand je ne comprends pas le personnage, j'ai besoin d'y mettre quelque chose de vraiment personnel. Parfois, le personnage n'en a pas besoin, c'est une autre histoire. Je pense que ma personnalité apparaît parfois dans les films, à certains moments. Je ne suis pas un mec maladroit, mes personnages sont très différents de moi, mais je suis content que les gens pensent que je suis comme ça, tendre, émouvant. C'est le rôle que j'interprète dans les films qui ont été les plus vus.

Tu as dit plusieurs fois pendant le festival que tu aimerais travailler en France, notamment avec Guédiguian.

Oui, j'adore ce pays ! J'ai dit Guédiguian parce qu'on m'a dit qu'il fallait que je travaille ici à Marseille, et à Marseille Guédiguian est incroyable. Ses acteurs, sa femme Ariane Ascaride, sont incroyables. Ils ont la même relation que Cassavetes et Gena Rowlands, c'est une création vraiment familiale, personnelle. J'aimerais connaître cette vie, découvrir un autre pays à travers le jeu avec un réalisateur. Pour moi ce serait un triple salto: travailler avec un grand réalisateur, dans un autre pays et dans une autre langue, contrôler une situation que tu ne contrôles pas, et voir ce qu'il y a autour du cinéma français et de son succès. J'adore le fait qu'en France le public adore les acteurs, les artistes, alors qu'en Espagne nous avons des différends avec une partie du public. J'aimerais étudier cette sensation, je pense qu'aller dans un autre pays c'est prendre un risque. Je suis un acteur réputé en Espagne, il faut maintenant que je traverse les frontières pour voir comment ça se passe ailleurs.

Outre Guédiguian, il y a d'autres réalisateurs français avec qui tu souhaiterais tourner ?

Audiard. Pour moi, Un prophète est un film in-cro-ya-ble ! Et beaucoup d'autres réalisateurs. Leos Carax, j'adore ces films. Je ne sais pas, il y en a beaucoup. Mais il faut apprendre le français, maîtriser la pro-non-cia-tion, c'est très difficile, pfff, mon Dieu... Mon père était musicien, je pense que j'ai donc une bonne oreille. J'ai étudié l'anglais pendant cinq ans et je ne le maîtrise pas. L'anglais se situe dans ma tête, alors que le français est dans ma poitrine, pas au niveau du cœur mais à côté. L'espagnol est dans tout mon corps, mais le français est proche des sentiments. Il faut l'étudier, le sentir, le pratiquer, mais je sens que je peux me débrouiller, j'en ai l'envie.

Peux-tu nous parler de tes derniers rôles dans La vida inesperada de Jorge Torregrossa et Vivir es fácil con los ojos cerrados de David Trueba ?

La vida inesperada n'est pas encore sorti en Espagne, la première aura lieu le 31 janvier. Vivir es fácil con los ojos cerrados est l'un des films dont je suis le plus content. Je suis très touché par ce petit film : la musique de John Lennon, l'histoire vraie de ce professeur d'anglais dans les années 60, c'est un petit film mais il est fantastique. C'est un beau succès en Espagne, dans ces moments difficiles. C'est mon premier film sur lequel la critique et le public sont d'accord. Et surtout, comme la première fois où j'ai vu Parle avec elle, lorsque j'ai vu Vivir es fácil..., j'ai pleuré. Je ne suis pas du genre à attendre les erreurs, à me dire « Quelle horreur ! ». Quand j'ai vu ce film, je me suis dit « Mon Dieu, c'est petit mais c'est joli », je me suis laissé aller. C'est une sensation très personnelle, mais que le public ressent aussi. C'est quelque chose de miraculeux, il y a une harmonie dans ce film. Tu en sors avec le sourire, en te disant qu'on peut être quelqu'un de bien. Il y a un avenir pour l'Espagne, je pense.

Christelle Guignot



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