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Femmes au bord de la crise de nerf

Femmes au bord de la crise de nerfs

Un Film de Pedro Almodóvar
Avec Carmen Maura, Antonio Banderas, Julieta Serrano, Rossy de Palma, Fernando Guillén
Comédie dramatique | Espagne | 1988 | 1h28
Oscar du Meilleur film étranger en 1989
Femmes au bord de la crise de nerfs d’Almodóvar au cinéma... Encore !

Burlesque, déjanté, trash, hilarant, kitsch... Le dernier Almodóvar, Les Amants passagers, a fait couler beaucoup d'encre. Certains diront qu'il s'agissait d'une récréation en attendant un film d'une plus grande envergure, d'autres y verront un retour aux sources, une comédie qui rappelle sa marque de fabrique. Ainsi, pour les nostalgiques des premiers Almodóvar ou pour ceux qui ne l'ont toujours pas vu, Femmes au bord de la crise de nerfs, sorti en 1988, revient sur les écrans.

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"Il y a quelques mois j'ai emménagé avec Ivan tout en haut de cet immeuble. Comme Noé, j'aurais aimé avoir un couple de chaque espèce animale dans cette basse-cour que j'avais installée sur la terrasse. Ce qui est sûr en tout cas, c'est que je n'ai pas réussi à sauver le couple qui m'intéressait le plus, le mien", résume une voix off dès les premières minutes. C'est celle de Pepa (Carmen Maura), éperdument amoureuse de Ivan (Fernando Guillén). Tous deux comédiens de doublage, ils se jurent tous les jours fidélité et amour à l'écran, jusqu'au jour où il la quitte. Anéantie, Pepa veut connaître les raisons et surtout lui parler.

Pour ce film, Almodóvar s'est librement inspiré de La Voix humaine de Jean Cocteau. Déjà, La Loi du désir, sorti en 1987, annonçait la couleur de Femmes au bord de la crise de nerfs lorsque Carmen Maura, dans le rôle de Tina, actrice transsexuelle, interprétait l'une des scènes de la fameuse pièce de théâtre de 1958, monologue d'une femme au téléphone désespérée d'avoir été abandonnée par son amant.

Signe d'incompréhension entre les personnages, d'attente et surtout de frustration lorsque Pepa n'arrive pas à joindre Ivan, le téléphone occupe une place centrale dans un décor parfois surréaliste et kitsch à dominante rouge sang. Le film a ainsi souvent été comparé à un vaudeville pour ses éléments burlesques et ses situations incongrues. Il faut dire que Pepa a quand même un poulailler sur son balcon, qu'un taxi extravagant version léopard-cougar est toujours là au bon moment, qu'elle brûle son lit en voulant détruire la valise d'Ivan, sans oublier le gaspacho bourré de somnifères qui provoque un endormissement presque salvateur face à l'hystérie générale de ces femmes en pleine crise de nerfs. Car si l'action gravite autour de l'histoire d'amour déchu des deux amants, les personnages s'accumulent au fur et à mesure dans l'appartement de Pepa, lieu privilégié de l'action.

Portraits de femmes

Contrairement au dernier Almodóvar où les personnages sont principalement des hommes, qu'ils soient homosexuels, bisexuels ou en quête d'identité, Femmes au bord de la crise de nerfs met en valeur une série de portraits de femmes toutes aussi différentes les unes que les autres. Des femmes en mouvement, modernes (pour l'époque) et indépendantes, sauf vis-à-vis des hommes. Des femmes à la fois sensibles et hystériques, interprétées par des actrices au jeu théâtral.

Il y a d'abord Carmen Maura dans le rôle de Pepa, toujours perchée sur ses talons aiguilles. Longtemps qualifiée de "muse d'Almodóvar", l'actrice est la vedette de ses premiers films. Mais Femmes au bord de la crise de nerfs signe également une longue séparation entre le réalisateur et l'actrice qui, pour des raisons plus ou moins sentimentales paraît-il, ont arrêté de travailler ensemble. Ce n'est qu'en 2006 que l'actrice renoue avec Almodóvar dans Volver, traduction de "revenir" en espagnol. Un clin d'œil aux retrouvailles avec sa muse des années 1980? Pourquoi pas.

Julieta Serrano, que l'on retrouve entre autre dans Matador et Attache-moi, interprète Lucía, ex-femme d'Ivan. Elle est l'hystérie incarnée que les séjours en hôpital psychiatrique n'ont certainement pas aidée. Malgré son air de bourgeoise coquette, elle offre une magnifique parodie de thriller lors de la course poursuite vers l'aéroport. Candela (María Barranco), meilleure amie de Pepa, se retrouve dans une situation quelque peu hors du commun en tombant amoureuse d'un terroriste chiite qu'elle a hébergé chez elle. Morte de peur à l'idée d'être arrêtée pour complicité, elle ajoute un peu de stress et de burlesque. Un petit rôle également pour Rossy de Palma, qui passe tout le film endormie profondément sur la terrasse pour avoir goûté un peu de gaspacho. Sa gourmandise lui a au moins permis de passer un moment plutôt plaisant, parsemé de rêves érotiques. Chacune amène ainsi un petit brin de folie supplémentaire et détourne Pepa de son objectif principal.

Toutes ces femmes ne seraient pas au bord de la crise de nerfs sans la présence d'Ivan, véritable coureur de jupons, la cinquantaine passée, encore séduisant, homme mûr en quête de renouveau. Le deuxième homme de l'histoire est son fils, interprété par un Antonio Banderas parfait contraire de son père, peu sûr de lui et pas vraiment à son avantage avec sa houpette et ses lunettes old school.

Ainsi, avec tout cet univers et ses personnages, Femmes au bord de la crise de nerfs marque un tournant dans la filmographie du réalisateur espagnol. Toujours imprégné de la Movida, il s'en éloigne cependant : il ne s'agit plus vraiment de choquer mais plutôt de plaire. Ce n'est donc pas anodin si ce septième long-métrage fut son premier succès à l'international. A voir ou à revoir donc sur grand écran !


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